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De l’État de droit à l’État administratif

De l’État de droit à l’État administratif

Politique | -   Contributeur

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Le mal n’est pas nouveau. Mais de sporadique hier, il tend à devenir systémique. Le mal frappe partout, tout le temps, et sans égard aucun ni pour le bon droit ni pour le bon sens. Même sans sévir, il demeure toujours là, rampant et menaçant toutes les sphères de la vie citoyenne. C’est un peu comme la main invisible, non pas celle du marché, potentiellement régulatrice, mais celle de l’administration, totalement destructrice.

 

À coup de décrets, d’arrêtés, de circulaires, de notes internes et autres communiqués, l’administration tisse sa toile sur l’État de droit. À l’origine imaginée neutre, protectrice et au service de l’intérêt général, l’administration s’avère partisane, liberticide et au service du pouvoir exécutif.

L’on a même vu un préfet prendre part à une réunion politique. Nous voici glissant peu à peu dans ce qu’on pourrait appeler un État administratif gouvernemental où toutes les logiques juridiques sont inversées au mépris de l’autorité du juge, de la primauté de la loi et de la majesté de la Constitution.


Le mépris de l’autorité du juge

Édouard Lambert doit s’en délecter. Lui le premier à agiter le spectre du gouvernement des juges en sera plus que rassuré. Ce n’est pas une tare qui pourrait prospérer dans notre pays. Nos gouvernants ont comme trouvé le totem et en garde jalousement le secret. C’est ainsi qu’à plusieurs reprises, les décisions de justice ont été ignorées par le gouvernement.

Lorsqu’un jugement prononce la réouverture d’un média, la circulaire d’un ministre viendra ordonner la confiscation du matériel de transmission. Lorsqu’un arrêt de la Cour constitutionnelle constatera l’irrégularité d’une élection municipale, l’arrêté d’un ministre viendra décider de reconduire le maire déchu. Lorsque cette même Cour sanctionnera un député pour usurpation d’identité et imposera la tenue d’une nouvelle élection, le gouvernement s’abstiendra d’exécuter l’arrêt dans l’impunité.

La Cour a bien neutralisé la loi sur les pratiques religieuses. Mais l’administration n’en a cure. Elle l’imposera en tout temps, le 31 décembre, le mois de Mawlid, à la fête de l’Aïd. Elle l’imposera partout, dans les mosquées, au sein des maisons ou sur la voie publique. Il suffira d’une note interne pour cela.

Le mépris de la primauté de la loi

L’autorité de la chose jugée ne semble plus contraindre personne. Le pouvoir discrétionnaire reconnue à l’administration ne trouve plus ni à se justifier ni à se fonder. La discrétion se mue en arbitraire, mais tant que c’est décrété, c’est le droit !

Rousseau doit se retourner dans sa tombe. Lui le chantre de la loi, expression de la volonté générale. Que la constitution bride la loi, passe encore. Il pouvait le concéder. Mais qu’elle soit mise en branle par le pouvoir réglementaire du gouvernement, il en tomberait des nus.

Voici que l’administration décide de nous filmer dans la voie publique sans passer par le législateur. Voici qu’il verbalisera pour avoir grillé un feu rouge alors même que la loi ignore le dispositif et n’a même pas prévu ni  infraction en ce sens ni sanction.


Le mépris de la majesté de la Constitution

Voici que des protocoles d’accord sont signés en matière électorale en parallèle de la loi électorale ou que des crédits seront alloués pour financer telle commission ou telles assises sans la loi de finances. Même quand la situation réclame la protection de la loi, c’est à peine si l’on y pense. Songez à cette dérive du “Revenge porn”. Mais vous comprenez la loi c’est compliqué. Il faut proposer, discuter, amender, délibérer puis voter. Vu l’urgence et les nécessités, l’on trouvera toujours plus expédient de décréter et d’arrêter.

Louis Favoreu se félicitait du politique saisi par le droit. Il constatait le passage d’un État légal à un État de droit grâce à la suprématie de la Constitution. Il n’a pas vécu assez pour connaître l’Union des Comores.

C’est à se demander si la Constitution a toujours cours. Les lois sont votées, mais non promulguées, parfois elles sont promulguées sans n’avoir jamais été votées, les droits et libertés sont malmenés qu’il serait vain d’en faire une liste, la Cour constitutionnelle est neutralisée faute d’avoir été renouvelée et l’intégrité territoriale est fragilisée.
C’est en cela qu’on dit que la logique juridique est inversée.

Au sommet de la hiérarchie des normes trône l’acte administratif unilatéral. La Constitution a perdu de sa suprématie et beaucoup de sa superbe. Ce bien commun ne semble pas intéresser grand-monde. Dernier rempart contre l’État administratif, il n’est pas loin de céder dans l’atonie totale d’un peuple à qui on fait regarder ailleurs.

Mohamed Rafsandjani
Doctorant contractuel en droit public
Chargé d’enseignement
à l’Université de Toulon

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