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Le premier journal des Comores

De quoi les assises sont-elles le nom ?

De quoi les assises sont-elles le nom ?

Politique | -

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Il est sans nul doute que la démocratie n’est pas une pratique très enracinée dans l’ordre politique en Afrique. À l’âge du monde bipolaire, en occident, lorsque les Comores déclaraient leur indépendance de façon unilatérale et pacifique, Michel Crozier, Samuel Huntington et Joji Watanuki ont déclenché la sonnette d’alarme sur ce qu’ils ont appelé dans un livre The Crisis of Democracy, publié en 1975. En Afrique, il en est loin, on ne parle pas de crise démocratique. Nous sommes dans des dictatures, dans des conflits intra et interétatiques. Aux Comores, durant la période postindépendante, entre 1975 et 1989, nous nous sommes préoccupés de "l’Union sacrée" et de la consolidation de l’État. Au lendemain de la conquête de la souveraineté nationale, les autorités de l’époque avaient considéré que la nature de la nouvelle nation serait exposée à des fragilités, à des menaces incessantes contre lesquelles il fallait un pouvoir fort au sens Hobbesien pour en conjurer les méfaits et préserver les citoyens de la libération des passions et de l’insécurité. Rien de tel pour en restaurer les conditions de la préservation qu’un parti unique, parce qu'une très forte propension à la liberté compromettrait celle de la sécurité et de l’Union.

 

1989, fin d’une époque. À l’échelle internationale, c’est la chute du mur de Berlin. Dans l’ordre national, la chute d’un régime et son corollaire, le parti unique. Sonne alors un vent nouveau à l’échelle planétaire et plus particulièrement en Afrique. Depuis, des politologues de renom, à l'instar de Francis Fukuyama, avaient prophétisé l’avènement de la fin de l’Histoire caractérisé par la suprématie absolue et définitive de l’idéal de la démocratie libérale comme l’horizon indépassable de notre temps.

À La Baule, François Mitterrand lance le coup d’envoi, "le souffle de la démocratie fera le tour de la planète", prédit – il le 20 juin 1990 devant un parterre des chefs d’État africains. Le Bénin fait sa conférence nationale, dans les rues de l’ex-Zaïre, au Mali, des manifestations ont eu lieu. C’est le triomphe de la démocratie. Dorénavant, elle est synonyme de multipartisme. Un leurre. C’est vrai, les derniers États forts sont tombés en Europe centrale. C’est vrai les dernières colonies ont rendu leur tablier.

C’est vrai des tentatives d’alternance ont été constatées en Afrique, au Bénin, en Afrique du Sud, aux Comores, en Liberia, au Sénégal. Mais c’est vrai également que cette démocratisation ne s’est pas exprimée sans conflictualité et sans formes de résistances mêlées d’instabilité politique, de séparatisme, de partition  de territoire et de souverainetés de plus en plus entravées.

Des critiques externes comme internes pleuvent et pointent du doigt les États en faillite, en déclin et la démocratie en peau de chagrin. Robert Kaplan estime que la démocratie tant encouragée dans des régions pauvres du monde conduit à des formes d’autoritarismes. Abdoulaye Wade, lui aussi, s’en prend au régime de multipartisme qui n’est rien d’autre, selon lui, qu’un régime d’un parti unique confisquant le pouvoir du peuple par la dictature de la majorité. C’est dire que la démocratie en terre africaine est à rude épreuve.

C’est ainsi que des esprits brillants ont proposé une troisième voie, une alternative à la démocratie représentative. Désormais,  pensent-ils, il  ne suffit pas d'investir les citoyens  dans des opérations électorales et de leur demander d'aller  voter uniquement, il faut également les intégrer, les impliquer de plus en plus dans l’élaboration des décisions publiques, et par conséquent, de fonder la légitimité politique non sur la délégation ni sur la représentativité, mais sur l’implication politique des citoyens. Cette troisième voie a un nom : la démocratie délibérative.

Depuis les années quatre-vingt-dix, les comités des sages, les conférences nationales ont préfiguré un nouveau mode d’encadrement et d’engendrement de la décision publique dans différents pays de la planète. Dans notre pays, les Comores, nous avons connu des tentatives des formes d’expérimentation de la démocratie citoyenne, mais la portée était très limitée.

Il fallait attendre Azali II pour qu’émerge une nouvelle grammaire de l’action publique avec la mise en place des Assises, émaillées de jury de citoyens ayant pour vocation de réunir des acteurs à des logiques d’intérêts différents, mais à la recherche du bien commun. C’est la première fois dans l’histoire politique des Comores qu’on est en train de vivre une expérience la plus aboutie d’intégration des citoyens à l’élaboration et à la mise en œuvre des politiques publiques.

Bien que l’on voit depuis une décennie s’organiser  d'autres conférences de consensus participant à la formation des choix publics, ces jurys d’assises se veulent cette fois élargir, faire norme de débat sur les grandes questions, pouvant servir d’aide à la prise des décisions en prise avec les attentes et le vécu des populations.

L’introduction des dispositifs délibératifs dans le cadre des Assises intègre de nouveaux acteurs dans le processus de construction de choix démocratique. Les Assises opèrent deux mouvements contradictoires et historiquement antagonistes. Elles délogent la parole des représentants tout en relégitimant les citoyens qui étaient naguère dépossédés de la parole publique. Cette relégitimation n’est pas sans amoindrir le monopole de l’expertise des élites.

C’est la raison pour laquelle on comprend la résistance d’une partie de l’élite politique traditionnelle. Parce qu’elles considéraient la chose publique comme « leurs affaires », « leur domaine réservé », et cette fois, elle est devenue une affaire de tous. Une grande partie de la population se voit investie d’une légitimité inespérée il y a de cela 42 ans. Elle veut parler à son nom. Le mouvement "Sidekina" illustre bien cette appropriation de cette aubaine.

Que les Assises s’inscrivent dans un répertoire des technologies institutionnelles visant à concilier ces deux formes de légitimité, elles permettent de réduire le fossé entre les profanes et les professionnels, entre la société civile et les politiques, en corrigeant les insuffisances de la démocratie représentative par la démocratie délibérative et la gouvernance politique. Au fond, en convoquant la société civile de participer aux Assises, le pouvoir actuel invite ceux qui n’avaient pas voix au chapitre d’entrer légitimement dans les discussions politiques.

Mais par la résistance qu’elle affiche, l’opposition donne une impression qu’elle ne tolère pas que le pouvoir en place soit le premier à donner la parole à une large majorité de la population, et elle essaie d’étouffer un principe fédérateur qui fera tomber les barrières symboliques entre les deux catégories.

Entreprise de pacification et de démocratisation, les Assises balisent la voie de la conversion de la colère en revendications, de la révolte en doléances, de critiques négatives en propositions sérieuses.

Elles inaugurent la mise en place du dialogue national entre les jeunes et les politiques, renforcent la solidarité entre les générations, rétablissent le lien entre le sommet et la base. Elles proposent enfin un cadre de réflexion en commun du destin national.

En décidant de faire appel à tous les acteurs et de faire les Assises un mode de participation inclusive, le pouvoir actuel affiche son intention de se démarquer d’un mode perçu distant et très éloigné des citoyens.

Ce dispositif des Assises inaugure donc la rencontre entre l’expertise et la connaissance de la réalité vécue, entre la théorie et la pratique. Il s’agit d’une invite à l’égalité d’accès à l’espace  public au sens Habermatien, à l’égalité de participation, à l’importance accordée à l’opinion de chacun et donc à la gouvernance politique.

On peut conclure que cette mobilisation rassemble tous ceux qui estimaient avoir leur mot à dire, se sentant fondés à exprimer un avis autorisé dans une assemblée investie d’une autorité  et d’une mission la plus haute qui soit, celle de penser ensemble au destin commun et à l’avenir des générations futures.

En incluant ceux qui ne jouissent pas d’une légitimité sociale (en raison de leur faible surface sociale et professionnelle), d’une légitimité politique (en raison de leur statut minoré), de la légitimité scientifique (détenus par les savants), les Assises ouvrent la voie originale de la légitimation de l’expérience pratique des jeunes fondée sur leurs ressources distinctes, de compétences associatives, attestant la recherche de la proximité. Et c’est bien  de cela que se dresse l’opposition contre sa légitimité en invoquant des inquiétudes.

Pourtant, malgré les tentatives de boycott d’une minorité de l’opposition, le dispositif mis en place cumule plusieurs gages de sincérité. Gage de la science grâce à l’usage de l’expertise locale et internationale, gage de la démocratie directe à travers les multiplications des rencontres locales, gage de la libre expression grâce aux questions ouvertes adressées à la population sous forme des fiches de contributions, gage de la démocratie représentative grâce aux auditions des personnalités publiques avec le chef de l'État, gage d’observation internationale grâce à l’implication délibérée du système international, toute une ingénierie de garanties visant à faire foi de sincérité et mettant en branle les gesticulations infondées de l’opposition.

La résistance de celle-ci donne le sentiment qu’elle tente de faire passer la démocratie de projet à une démocratie de rejet, et la démocratie de confrontation à une démocratie d’imputation et d’intention.

Or, il est à noter qu’un parti politique est censé jouer un rôle tribunitien, faire vœu d’appropriation de cet espace dont la vocation est d’appeler à toutes les forces sociales de venir réfléchir sur le destin collectif. S’y opposer, l’opposition s’ampute d’une dimension fondamentale de la vie politique et tend à discréditer la légitimité de son existence.

Sans doute, cette apathie pour la démocratie délibérative et pour l’implication des citoyens dans le débat public de la part de certaines familles politiques renvoie à la nécessité de réfléchir sérieusement sur les fonctions des partis politiques.

À l’âge où l’on veut corriger les insuffisances de la démocratie représentative à l’échelle mondiale, les Assises sont venues à bon point. Mais quelques appréciations  sont nécessaires pour capitaliser cet espace des possibles.

Sur le plan des principes, il va falloir que la loi institutionnalise cette nouvelle grammaire d’élaboration des décisions ayant, entre autres choses, une incidence importante sur l’environnement (cf. affaire Handouli), sur l’aménagement du territoire, sur la résolution des conflits inter ou intravillageois. Ainsi fait, en faire un véritable principe de participation citoyenne.

Sur le plan des procédures, il faudra instituer des commissions locales d’information et de consultation du public pour accompagner la mise en place des programmes d’action publique. Ces Assises ne doivent être une fin en soi ni une première et dernière mise en débat public.

Elles doivent préfigurer l’implication et la participation citoyennes au processus de prise des décisions publiques naguère réservées à l’expertise. Elles doivent faire date d’un nouveau mode de démocratisation de la vie politique.

Sur le plan des collectivités locales, il faudrait rationaliser le modèle de la démocratie de proximité, instaurer les conseils des quartiers, et mettre en place la reconnaissance de référendum de consultation locale sur des questions concernant les populations.

C’est comme cela que l’on peut pérenniser cette démocratie de projet dont les Assises incarnent en continuant à reconnaitre l’opinion de chacun lorsqu’il s’agit du destin collectif.

 

MSA Ali Djamal

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