À n’en pas douter, les assises passionnent. Pas un jour ne passe sans qu’une plume ne se délecte de ses succès ou de ses échecs. Tout se déroulant comme si, finalement, tout le monde avait cerné ce qu’elles sont. Pourtant, pour le juriste, elles restent un objet juridique non identifié. Surtout, lorsqu’une grande partie des observateurs et des acteurs politiques se prononcent pour leur souveraineté.
De deux choses l’une.Ou bien, les assises ne sont qu’un cadre solennel de discussion et de bilan auquel cas, elles déboucheront sur des recommandations non contraignantes. Ou bien, les assises sont un cadre formel de décision auquel cas, elles formuleront des résolutions obligatoires. Cependant, si l’on se place dans cette seconde hypothèse, l’on se heurtera à des problématiques juridiques très peu aisées à surmonter.
Les assises nationales, pour novatrices qu’elles soient, s’organiseront dans le cadre étatique d’un ordre juridique déjà établi. Dans celui-ci, il existe une norme suprême : la Constitution. Suprême d’abord, en ce qu’elle se place au sommet de la hiérarchie.Suprême, ensuite, en ce qu’à partir d’elle découle toutes les autres normes. Suprême, enfin et surtout, en ce qu’elle est l’œuvre justement du souverain.
Du constituant souverain. Une norme ne tient sa validité aux Comores que pour autant qu’elle soit en conformité avec la Constitution. Il est là le nœud du problème. Dire que les assises seront souveraines, c’est prétendre qu’elles puissent se libérer de l’étau de la Constitution. C’est postuler l’idée selon laquelle, elles pourront édicter des normes et des obligations qui s’imposeront à tous.
Même à la constitution en vigueur. Au fond, des assises souveraines, c’est s’offrir la possibilité de réviser la constitution voire d’en imposer une nouvelle par la seule volonté de celles-ci. Qu’importe la forme et le fond. La perspective est séduisante. Et, il faut le dire, assez logique. Si les assises ne débouchent que sur un rapport de propositions laissé à la discrétion des politiques, c’est qu’elles n’auront servi à rien. La souveraineté c’est, alors, s’assurer de l’effectivité des actes qui en découleront.
Il faut bien s’en rendre compte qu’il n’y a qu’un moyen de le faire. C’est de se placer en dehors du Droit. Un coup d’État qui ne dirait pas son nom, mais qui au fond serait accepté par tous. En effet, cela ne pourra se passer que par une auto proclamation des assises elles-mêmes. Elles devront prendre la responsabilité de renverser l’ordre juridique établi au motif d’en constituer un autre. Aucun acte juridique (décret, loi…) ne pourra proclamer cette souveraineté à leur place.
Les actes juridiques étant des normes, elles se doivent d’être en conformité avec la constitution. Alors, un acte qui soit réviserait soit remplacerait cette dernière serait d’emblée nul. D’une nullité absolue, comme si elle n’avait jamais existé. Dans l’ordre juridique qui est encore le nôtre, la souveraineté appartient au peuple qui l’exerce lui-même ou par le biais de ses représentants et, en plus, dans le respect de la Constitution.
En somme, la souveraineté des assises ne peut être qu’une question de fait. Elles devront s’imposer comme telles. Au risque de renverser l’ordre constitutionnel. C’est une hypothèse qui dépasse le cadre du droit. Une hypothèse “a-juridique” régie par les révolutions.
Mais celles-ci peuvent être apaisées et entamées dans le consensus des forces vices de la nation. Alors, pourquoi pas ? L’histoire africaine est là pour nous l’illustrer. La transition démocratique des années 90 a été le fait essentiellement de conférences nationales. D’abord, simples lieux de palabre, elles se sont, ensuite, autoproclamées souveraines. Prenant leur responsabilité devant l’histoire d’aller contre les Constitutions d’alors.
Quoi qu’il en soit, il s’agit encore une fois de la responsabilité des acteurs politiques. Le juriste se gardera bien d’encourager des voies en dehors du Droit. Il préférera les sentiers battus par la Constitution. Au moins ont-ils le mérite de nous identifier un souverain connu de tous : le peuple. Rien ne nous garantit que celui-ci aura sa place dans une souveraineté autoproclamée. Gardez toujours à l’esprit que le souverain, surtout si c’est un constituant, crée un nouvel ordre juridique ex nihilo. Son pouvoir est donc illimité et permanent. Les seules bornes étant son imagination. Pesons, donc, le pour et le contre.