On rappellera d’abord que le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, comme son nom l’indique, est le droit reconnu à un peuple de pouvoir s’affranchir de toutes formes d’asservissement ou de colonisation. Mais, un peuple, seuls les Comoriens dans leur ensemble le sont. Il n’y a pas de peuple grand-comorien, anjouanais ou mahorais. Pas plus qu’il n’y a pas un peuple corse, basque ou breton. Tout autant qu’il n’existe qu’un seul peuple français, il n’y a qu’un seul peuple comorien.
Et, à celui-ci a été reconnu le droit de disposer de lui-même. Une consultation populaire a été organisée. À la majorité absolue des voix, ce peuple comorien a choisi l’indépendance. On rappellera aussi que le suffrage universel est indivisible. On ne peut pas disséquer une élection. Les résultats d’un scrutin s’apprécient dans leur unité. Ils se comptabilisent dans leur entièreté. Il n’est pas possible, juridiquement, d’isoler les résultats selon la partie du territoire dont ils proviennent. Sinon, on aurait qu’à faire de Marine Le Pen, la Présidente des territoires français qui ont voté pour elle. Et d’Emmanuel Macron le Président du reste. Absurde, vous pensez ? Ça l’est tout autant en ce qui concerne Mayotte.
Quant à ceux qui glosent sur le pluriel employé dans l’expression “les populations”, on concédera qu’ils ont la grammaire de leur côté. Grand bien leur fasse ! Mais, sûrement pas le droit. Sinon, que n’a-t-on adopté 4 lois, pour organiser 4 référendums, à l’attention de 4 populations différentes ? Ce qui pour le coup aurait donné 4 résultats distincts. Non, le législateur français a, assurément, plus de cohérence. Il a décidé d’un seul référendum parce qu’il n’y avait qu’un seul peuple à consulter. Donc, un seul résultat à dépouiller. On rappellera ensuite, et les juristes le savent bien, qu’il ne faut pas confondre : “dire le droit “ et “imposer le droit”. Les résolutions de l’Assemblée générale de l’ONU n’imposent pas le droit international. Certes ! Mais elles le disent.
Tout comme bon nombre de principes généraux de droit découlent des avis de la Cour internationale de justice, lors même que ses avis ne sont que consultatifs. L’argument qui consiste à dire : “au diable les résolutions elles ne sont pas contraignantes” ! C’est de la mauvaise foi. C’est vite oublier que le droit peut ne pas être sanctionné, cela n’enlève en rien au fait qu’il existe. D’aucuns font semblant d’ignorer que la question de Mayotte se pose dans l’ordre international. Le droit international n’a que faire des désidératas nationaux et de la hiérarchie des normes internes.
Pour ce qui lui concerne, placé dans son ordre juridique, il n’en a même pas cure de la suprématie de la Constitution. C’est donc en vain que d’aucuns soulèvent le droit interne pour s’en opposer. En vain ! On rappellera enfin que les coutumes internationales produisent bien des effets en droit interne. Surtout en droit interne français. C’est la constitution française elle-même qui le dit. Excusez du peu !
Le 14e alinéa du préambule de 1946 dispose que “la République, fidèle à ses traditions, se conforme aux règles du droit public international”. Qu’est-ce donc une coutume internationale, si ce n’est une règle de droit public international ? Soit ! Le constituant français rappelle alors, d’une part, que celle-ci est respectée par la République et que d’autre part, elle le fait en étant fidèle à ses traditions. Pour s’en convaincre, il suffirait de plonger dans les archives du Palais royal à Paris. L’on se rendrait compte que le Conseil d’État, dans sa jurisprudence, reconnaît, fut-ce implicitement, l’applicabilité en droit français d’une coutume internationale.
Alors oui, le principe de l’Uti possidetis juris est une règle coutumière. Mais, même en tant que telle, elle oblige la France. L’Uti possidetis juris postule qu’un État nouvellement indépendant hérite des frontières léguées par l’ancienne puissance coloniale.
Ainsi, le nouvel État comorien né en 1975 s’étire jusqu’à Mayotte. Dans la mesure où c’est jusque-là que s’étalaient les frontières des îles Comores colonisées, alors jusque-là s’étaleront les frontières des îles Comores indépendantes. Pourquoi ? Parce que, conformément au principe mentionné, le droit international rappelle, lui aussi, que uti possidetis, ita possideatis : “vous posséderez ce que vous possédiez déjà”. Voyez comme le droit est simple ! Et, il est de notre côté…
Mohamed Rafsandjani Doctorant contractuel en droit public
Chargé d’enseignement à l’Université de Toulon