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Chronique / Feu le représentant

Chronique / Feu le représentant

Politique | -   Contributeur

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Il est des choses dont on doit nuancer l’analyse et chercher des raisons d’accorder le bénéfice du doute. Ce n’est pas le cas du projet de la nouvelle constitution. Que la lecture soit transversale ou approfondie, le constat est le même : que de régression ! Cela va de la séparation des pouvoirs jusqu’à la protection des libertés. Mais le vice le plus inquiétant de cette constitution se loge dans le cœur même de la démocratie. Il touche à la fiction juridique qui fait fonctionner les États modernes : la représentation.

 

L’idée est assez simple. L’idéal démocratique réside dans la belle formule d’Abraham Lincoln : «le gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple». Seulement, jadis, le peuple se réunissait dans un forum et décidait des politiques publiques. Cela paraît difficilement faisable aujourd’hui. Les États se sont agrandis, les populations se sont amoncelées puis la citoyenneté s’est élargie. Il a fallu trouver un moyen pour permettre au peuple de gouverner pour lui et par lui. Ne pouvant plus le faire directement, le peuple se choisira alors des représentants. Élus du peuple ou de la Nation, les représentants agissent au nom de ceux-ci pour exprimer la volonté générale. Ainsi, la santé démocratique d’un État se jugera selon la marge de manœuvre du représentant. Plus il sera libre d’effectuer son travail, plus l’on se rapprochera de l’idéal démocratique. La constitution à venir contrevient à ce postulat de départ. La représentation y est sévèrement encadrée. Ses deux fonctions (légiférer et contrôler) sont quasiment subordonnées.

Régression de la fonction de législation

L’Assemblée de l’Union sera enfermée dans une position de vassalité avec le pouvoir exécutif.

D’abord, l’initiative de la loi, le privilège par excellence du représentant est vidé de sa substance. C’est la loi qui exprime la volonté générale, mais celle-ci risque de rester souvent muette. La Constitution nouvelle oblige les députés avant de proposer une loi de soumettre la proposition à l’examen du gouvernement. Celui-ci aura tout loisir pour formuler des observations dont on sait très bien qu’elles pourront aller jusque disqualifier l’initiative des représentants. Cette initiative est aussi balisée par le fait que la règle d’or de l’équilibre budgétaire ne s’imposera qu’aux lois voulues par les parlementaires. Celles engagées par le Président pourront creuser le déficit cela ne posera aucune difficulté.

Ensuite, le représentant est cantonné dans un domaine précis. Des pans entiers de la vie de cité lui échapperont. Si par malheur, il venait à déborder son cadre, le Président pourra le censurer par un simple décret. Il est vrai que le représentant doit s’abstenir de pénétrer dans le domaine réglementaire. Seulement, c’est normalement le juge constitutionnel qui peut venir le constater et le sanctionner. Mais le chef de l’État, à la fois juge et partie, sera le seul à pouvoir décider des bornes de son domaine. Rappelons que lui ne se gênera pas pour occuper le domaine du représentant puisqu’il peut toujours légiférer en lieu et place du parlement par ordonnances. Celles-ci ne doivent même plus être validées par les députés, mais simplement être déposées à l’Assemblée.

Régression de la fonction de contrôle

La présidentialisation du régime se durcit à son paroxysme. Privé de la discrétion de son pouvoir législatif, voilà le représentant botté en touche. La nouvelle constitution offre au Président le droit de vie et de mort sur le Parlement. Que le second manifeste trop d’hostilité que le premier fera tomber la foudre de la dissolution sur lui. Pourtant en face, le gouvernement devient complètement irresponsable. Exit la pétition de limogeage qui permettait aux députés de censurer des membres du gouvernement. Exit la motion de fin des pouvoirs exceptionnels qui plaçait les représentants en gardien de la normalité constitutionnelle face à un Président abusant d’une situation faussement exceptionnelle. Tout juste, nous avons laissé à l’Assemblée le droit de parler pour ne rien dire. Les résolutions ne pouvant de toute façon contenir aucune mise en garde ni injonction au gouvernement.

Mohamed Rafsandjani

Doctorant contractuel en Droit public
Chargé d’enseignement à l’Université
de Toulon

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