logo Al-Watwan

Le premier journal des Comores

France-Afrique noire francophone : Et si on changeait de siècle...

France-Afrique noire francophone : Et si on changeait de siècle...

Politique | -

image article une
Les relations entre les deux parties seront porteuses de progrès et de développement, le jour où les plus hautes autorités politiques de l’”ancienne puissance coloniale”, ses stratèges monétaires et militaires sauront s’émanciper de l’Afrique noire francophone et le jour où, en face, les responsables africains se décideront, enfin, à prendre leur destin en main. Malheureusement et si l’on en juge par l’absence de vision et de nouveautés dans la teneur des rencontres récentes, à Paris, entre les plus hautes autorités ivoirienne, française et sénégalaise, et les premiers pas” du nouveau locataire du siège du pouvoir en France, rien n’indique qu’on en prenne le chemin.

 

La France s’est dotée d’un nouveau président de la République. Des observateurs de la vie politique de ce pays ont pu considérer le pari d’un si jeune homme, Emmanuel Macron, de diriger la cinquième puissance du monde comme une gageure. Ils ont raison.

Les difficultés économiques, financières et les attentes sociales du pays et, sur le plan international, l’importance des enjeux sur la scène européenne et la rude concurrence économique et diplomatique que lui livrent ses principaux concurrents dans le monde, l’attestent.

D’autres ont parlé de “changement” dans les relations entre ce pays et ses “anciennes” colonies  d’Afrique noire francophone. A ce sujet on ne peut, malheureusement, rien considérer comme allant de soi.

En effet, je doute fort que le “choc” de l’arrivée d’un jeune homme du sérail économique et financier, fut-il de 39 ans, puisse être considéré comme plus grand que celui que la France a encaissé à l’arrivée, il y a trente six ans, de François Mitterrand, une personnalité clairement estampillée de gauche et censée, en principe, être porteuse de changements dans la manière de faire de la politique et de voir le monde. Et pourtant cela n’a changé en rien à la nature des relations de ce pays avec cette partie de l’Afrique.

En outre, alors qu’au sein de l’Hexagone une ébullition s’est installée aux niveaux des états-majors politiques pour tenter d’exister face à la nouvelle donne politique, du côté des responsables subsahariens, c’est le silence radio.

On est même en droit de se demander si ces responsables prennent la juste mesure des incidences sur leurs pays des évolutions au sein d’une “ancienne puissance coloniale” qui contrôle jusqu’à leur monnaie nationale, a en charge, souvent, des pans entiers de leur sécurité et même, parfois, les occupe. Autrement dit, un pays qui détient la manette quand il s’agit de leurs souverainetés et de leurs économies.



Modernité et audace, confiance en soi et effort

Pour qu’un changement intervienne dans ces relations et, contrairement à ce dont semble convaincu Jean-Michel Severino1, un des concepteurs de la “politique africaine” du nouveau président, la France et ses dirigeants n’ont pas que l’”aide au développement” pour “seul véritable outil” pour agir sur les problèmes structurels et les dossiers importants du continent africain. Loin de là.

Ce qu’il faut pour cela, c’est autre chose qu’un changement de taux de l’”aide au développement”, un “choix” dans sa gestion, un “meilleur usage” de cet “outil de développement”, ou encore la fougue d’un jeune homme de 39 ans. Ce qu’il faut, c’est que les autorités françaises osent changer de “politique africaine” en revisitant leur vision de la place des pays d’Afrique subsaharienne francophone dans la conduite des affaires de leur propre pays.

En effet, entre les pays d’Afrique noire francophone et la France, il ne s’agit pas de pourcentage de taux d’aide atteint ou pas, de chiffres et d’ordre de grandeur. Il s’agit, bien plus, de volonté politique ou pas de changer un format de relations anachroniques et contraire aux intérêts immédiats économiques, politiques, diplomatiques et en termes d’image de l’Afrique et, à plus long terme, à ceux d’une France qui aurait tout intérêt à faire preuve de plus de modernité et d’audace.

Les relations entre les deux parties seront porteuses de progrès et de développement, le jour où les autorités politiques de l’ancienne puissance coloniale, ses plus hauts stratèges monétaires et militaires seront parvenus à s’émanciper de l’Afrique noire francophone. Le jour où, en face, les responsables africains se décideront, enfin, à prendre leur destin en main.

Le jour où les premières se départiront de leur conviction solidement ancrée selon laquelle les “intérêts” de leur pays en Afrique sont garantis, non pas par un partenariat d’égal à égal, mais, largement, par des rapports d’un autre temps avec une Afrique noire fermement tenue en laisse et où, en face, les seconds sauront prendre conscience que, pour leurs pays, il n’existe aucune autre voie pour s’épanouir que celle de la confiance en soi, de l’indépendance, de l’ouverture au monde et de l’effort.



Un temps révolu

Dans ces conditions, si on avait un conseil à donner au nouveau locataire du siège du pouvoir français, c’est que – armé de “son âge qui le libère des contingences de l’Histoire, par ses méthodes transgressives”1, il préside à un véritable changement de la nature des relations entre l’Afrique noire francophone et la France.
Cette France que nous respectons pour avoir été à l’origine de la toute première révolution démocratique de l’histoire moderne, pour avoir contribué à vaincre l’idéologie raciste nazie et pour avoir contribué à l’épanouissement des sciences et des techniques dans le monde.

Mais aussi, de cette France qui continuera à inquiéter tant que ses autorités n’auront pas compris qu’on ne peut pas se permettre impunément d’organiser – exactement comme elles l’ont fait aux Comores – un vote sur le quart du territoire d’un pays indépendant et membre de l’Onu, le déclarer à soi au mépris des usages, du bon sens, du droit, de la culture et de l’histoire.

De cette France qui continuera à inquiéter tant que ses autorités n’auront pas admis que leur pays peut s’émanciper de l’Afrique en arrêtant de se convaincre que ses propres intérêts nationaux sont liés à la perpétuation de “rapports particuliers” d’un temps révolu avec quatorze pays d’Afrique noire à grand renfort de vassalisation de monnaies et, donc, de finances et d’économie nationales, d’ingérences politiques, et tant qu’elles n’intégreront pas que l’argent que leur pays “a dans sa poche” ne devrait pas nécessairement “venir de la poche de l’exploitation de l’Afrique”. 2



Au regard de l’Histoire

Malheureusement, si l’on en juge par l’absence de vision nouvelle, le caractère désespérément routinier du contenu des visites effectuées récemment dans la capitale française par deux des plus hautes autorités politiques subsahariennes, Alassane Ouattara et Macky Sall, ainsi que les premiers pas du nouveau président, il ne semble pas que nous en prenions le chemin.

A cet égard, comme on n’a pu le constater durant les cinq ans du mandat du prédécesseur d’E. Macron, la “sortie de l’univers louche de la Françafrique”3, constatée par l’ancien directeur général de l’Agence française de développement, n’a, en rien, rien changé aux fondamentaux.

Au total, il ne semble pas, en effet, que les deux parties soient, enfin, résolues à enterrer le format  anachronique des relations actuelles entre l’ancienne puissance coloniale et ses anciennes possessions. Il ne semble pas qu’elles soient, enfin, résolues à entrer dans le XXIe siècle en contribuant à mettre fin à leur histoire coloniale désastreuse en laissant, enfin, respirer et vivre l’Afrique noire francophone et ses peuples qui seront alors débarrassés de néocolonialisme, et en mettant un terme à l’occupation illégale d’un autre temps du territoire d’un pays indépendant, Mayotte, qui cessera, alors, d’être la dernière colonie de l’histoire et fera en sorte que la France ne soit plus, du point de vue du droit international, le dernier Etat colonialiste de l’humanité.

C’est le prix à payer pour que change vraiment l’image de la France et celle de l’Afrique noire aux yeux des hommes de progrès, des peuples d’Afrique et du monde. Et, peut-être surtout, au regard de l’Histoire.

MH
-------------------------------------------

1Cité par Cyril Bensimon, journaliste au “Monde”, dans son article “Le président Macron saura-t-il faire souffler un vent nouveau sur les relations avec l’Afrique?”
2 Jacques Chirac, président de la République française quatorze ans durant
3 Jean-Michel Severino

Commentaires