logo Al-Watwan

Le premier journal des Comores

Hamada Madi, secrétaire général sortant : «J’ai servi l’Indianocéanie au mieux de mes capacités»

Hamada Madi, secrétaire général sortant : «J’ai servi l’Indianocéanie au mieux de mes capacités»

Politique | -

image article une
Après quatre années passées à la tête de la Commission de l’Océan indien (Coi), Hamada Madi a remis les clés de la maison sise à Ebène à l’Ile Maurice à son successeur Vêlayoudom Marimoutou . Il se dit “fier” d’avoir mis son expérience au service de cette organisation régionale composée des Comores, de la France (Ile de la Réunion), de Madagascar, de Maurice et de la République des Seychelles. L’ancien premier ministre comorien estime avoir mis “La Maison Coi” sur de “nouveaux horizons encore plus prometteurs”.

 

Vous venez de passer le flambeau à Vêlayoudom Marimoutou. Quels sont vos sentiments personnels en ces instants solennels?

Il y a beaucoup d’émotions en pareil instant. J’ai remis les clés de “La Maison Coi” au professeur Marimoutou avec le sentiment du devoir accompli. C’est une belle et noble mission qui m’a été confiée et le sentiment qui domine c’est la gratitude d’abord envers Allah qui a guidé mes pas depuis mon enfance m’amenant à servir mon pays, puis la région.
La gratitude à l’égard des autorités de mon pays et des Etats membres de la Coi qui m’ont fait confiance et m’ont apporté un soutien fraternel tout au long de mon mandat. La gratitude envers mes collaborateurs de la Coi pour leur enthousiasme et leur dévotion à leur mission. La gratitude vis-à-vis de nos membres observateurs et partenaire pour la qualité de notre dialogue. Et bien entendu, la gratitude envers ma famille et mes proches dans ma Mwali natale.

Quatre ans passés à la tête de la Coi, quel héritage laissez-vous à cette organisation régionale?

Ce sera aux observateurs, dont les médias, d’évaluer l’empreinte que j’aurais laissé. J’ai servi l’Indianocéanie au mieux de mes capacités. Je crois humblement avoir permis à la Coi de renforcer son rôle politique et diplomatique, de consolider son rôle moteur d’une action collective voulue par nos Etats. Je quitte une Coi renforcée, en cours de modernisation et une Coi qui fourmille de projets pour l’avenir de notre région.

Quelles sont, sommairement, les grandes actions réalisées durant votre mandature, et quels sont les grands chantiers laissés à votre successeur?

Vous m’obligez à faire des choix. Permettez-moi de rappeler, avant toute chose, qu’il s’agit ici de coopération régionale multilatérale. Je le précise car il m’arrive de lire ici et là des interrogations sur les résultats de la Coi. En fait, les réalisations sont nombreuses et, pour certaines, elles s’inscrivent dans la continuité d’une action qui a débuté avec mes prédécesseurs.
La première réalisation, essentielle pour le juriste que je suis, c’est la modernisation institutionnelle de la Coi. C’est un processus qui va se poursuivre mais qui a déjà de grandes réussites comme la “Déclaration de Moroni” sur l’avenir de la Coi qui a enclenché ce processus et l’”Accord de Victoria” révisé, notre texte fondateur, qui exprime la volonté politique de nos Etats membres de coopérer, de relever ensemble des défis communs. Je pense à l’élargissement de notre famille. Quand j’ai pris la tête du secrétariat général en 2016, seule la Chine disposait du statut de membre observateur. Aujourd’hui, il y a l’Inde, le Japon, les Nations unies, l’Union européenne, la Francophonie et l’Ordre de Malte.
D’autres acteurs et non les moindres frappent à la porte. Il s’agit de la Fédération de Russie, du Kenya et du Sri Lanka. C’est un envol diplomatique et politique, le témoignage du poids, de la crédibilité et de l’intérêt de la Coi.
Au niveau opérationnel, il y a aussi de nombreux résultats pour la santé, le numérique, la sécurité maritime, les énergies renouvelables, la pêche ou encore la culture.

Les îles de l’Océan indien sont vulnérables (...). Votre prédécesseur, Jean Claude De l’Estrac, avait déclaré en 2013 que c’était à la fois un défi mais aussi une chance. Comment analysez-vous cette assertion de votre prédécesseur?

L’Indianocéanie est vulnérable par nature mais elle est ambitieuse par choix. Et ces ambitions, c’est la Coi qui les porte, qui les traduit dans le concret. La fragilité de nos îles face aux aléas de la mondialisation, y compris les risques climatiques et sanitaires, ne doit pas être considérée comme une fatalité. L’action collective que nous portons se nourrit de nos fragilités, elle vise à y répondre, à renforcer la résilience de nos îles. La chance, c’est que nous sommes des îles solidaires, que nous portons une voix unique en Afrique. Nous avons un vaste champ d’opportunités pour la sécurité alimentaire, pour l’adaptation au changement climatique, pour la préservation des écosystèmes qui sont un bien commun.

Vous avez engagé un chantier important sur la réforme de l’institution affirmée dans “La Déclaration de Moroni”. Que doit-on attendre maintenant des pays membres dans la concrétisation des ambitions affichées par l’organisation régionale?

Il faut maintenant mettre les moyens au service des ambitions! L’action de la Coi dépend presque exclusivement de l’aide publique au développement. Or, il est aujourd’hui question d’une contrepartie des bénéficiaires qui se mesure à l’aune des ressources pour leur propre outil, à savoir le secrétariat général, et aussi pour des actions communes. Il faut aussi une implication au plus haut niveau de nos Etats.
Je suis heureux que l’Accord de Victoria révisé entérine l’institutionnalisation du sommet des chefs d’Etat et de gouvernement. Il leur reviendra de fixer le cap politique de la Coi pour cinq ou dix ans. Il est question de l’avenir de notre région, de l’Indianocéanie que nous voulons. J’attends avec impatience le prochain sommet qui exprimera au monde l’ambition de l’Indianocéanie.

La Commission de l’Océan indien est souvent perçue comme un nain politique qui a des marges limitées pour régler des grandes questions économiques comme le chômage des jeunes, la sécurité alimentaire ou, en gros, la pauvreté à travers des politiques communes. Est-ce votre avis?

La marge de manœuvre de la Coi est celle que lui donnent ses Etats membres. Nous ne sommes pas une organisation supranationale, une Union, qui édicte des politiques publiques qui pourraient prendre le pas sur les politiques de nos Etats. La Coi met en œuvre les décisions de ses Etats membres. Elle est un outil au service du développement. Elle agit dans les domaines que vous avez mentionnés dans le cadre de projets régionaux financés par des bailleurs, comme l’Union européenne, l’Agence française de développement ou la Banque mondiale.
Cela dit, en matière de sécurité alimentaire, nous avons développé le Programme régional de sécurité alimentaire et nutritionnelle qui offre un cadre d’actions pour l’ensemble des acteurs. Il s’inscrit sur le temps. Nous soutenons l’entrepreneuriat des femmes et des jeunes, au travers de réseaux régionaux qui ont permis de valoriser les savoir-faire et d’améliorer leur autonomisation économique. Un nouveau projet régional qui sera mis en œuvre par l’Union européenne offrira une ligne de crédits aux entrepreneurs. Nous avons conduit des projets au plus près des communautés qui ont permis de créer des activités génératrices de revenus ou encore d’apporter de l’électricité dans des zones qui en étaient dépourvues. Les exemples sont nombreux mais ils s’inscrivent dans des cycles de projets plus que dans des politiques publiques régionales disposant de ressources adéquates.

L”Economie bleue” a été considérée, depuis 2009, comme un levier pour la croissance économique dans les îles de l’Océan indien. Mais on a l’impression qu’il y a retard à l’allumage faute de projets concrets pouvant traduire cette volonté commune. Qu’est ce qui se fait au niveau de la Coi pour mettre l’économie bleue au centre de l’avenir économique des pays membres ?

La Coi intervient dans ce domaine depuis bientôt trente ans. En conduisant des projets de gestion durable des écosystèmes marins et côtiers, de surveillance des pêches, de renforcement des filières halieutiques ou encore sécurité maritime, la COI fait de l’économie bleue. Elle vient d’établir, en concertation avec ses Etats et l’assistance de la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique, un plan d’action régional. Il identifie des axes d’intervention prioritaire. Mais il nous faudrait le revoir à la lumière des besoins ayant émergé avec la pandémie de Covid.

L’Océan indien regorge de ressources halieutiques importantes. Mais chaque pays gère en solo ses propres accords de pêche avec des partenaires internationaux. Est-il possible de parvenir à une gestion harmonisée de ces ressources naturelles dans le respect de la souveraineté de chaque pays membre?

Il y a une part de souveraineté sur laquelle la Coi n’a aucun mot à dire. Les accords de pêche sont bilatéraux. En revanche, puisqu’il s’agit de ressources partagées – car les poissons ne connaissent pas les frontières – la Coi intervient là où l’action régionale a une plus-value. Par exemple, la pêche illégale coûte environ 400 millions de dollars à notre région chaque année. Pour renforcer la surveillance et le contrôle des pêches, nous avons mis en place un Plan régional de surveillance des pêches soutenu par l’Union européenne. Huit pays y participent.
La COI a créé une capacité de dissuasion et de répression. Elle soutient la gouvernance régionale des pêches avec la Banque mondiale à travers la Commission des pêches du Sud-Ouest de l’Océan Indien ou encore la Commission thonière de l’Océan indien. Elle soutient la professionnalisation des filières, notamment en appuyant la Fédération des pêcheurs artisans qu’elle a aidé à structurer. La Coi promeut la gestion responsable des ressources, des filières, comme le poulpe, le crabe.

Il y a cette question de visas qui bloque le rêve des pères fondateurs de la Coi à savoir la libre circulation. Doit-on espérer un jour la levée des barrières?

C’est un sujet qui reste d’actualité. Mais c’est une question qui touche aux fonctions régaliennes de l’Etat. La Coi fait valoir l’importance d’une circulation fluide des personnes et des biens. C’est aux Etats de prendre les mesures qu’ils décident. La Coi offre un cadre de réflexion mais ne se substitue en aucun moment aux Etats.

Quel rôle joue la Coi dans la sécurité maritime, y-a-t-il des projets dans ce sens? Peut-on rêver un jour une compagnie aérienne régionale pour faciliter la connectivité entre les pays membres?

Vous parlez de deux thèmes distincts. Pour la sécurité maritime, la Coi a fait la démonstration de sa capacité à fédérer les Etats et les partenaires. La Coi a mis en place une architecture de sécurité maritime régionale qui repose notamment sur deux centres régionaux, l’un de fusion de l’information maritime à Madagascar, l’autre de coordination des actions en mer aux Seychelles. Deux accords régionaux ont été signés dans ce sens par nos cinq Etats membres ainsi que Djibouti et le Kenya. C’est un résultat concret et d’envergure auquel j’associe l’UE, bailleur du programme “MASE”.
Concernant la connectivité régionale, la Coi enregistre un résultat majeur avec la mise en place du câble Internet le plus puissant de la région entre Maurice, La Réunion, Madagascar et l’Afrique du Sud. METISS, son nom, est une infrastructure ouverte et partagée qui servira la croissance et la compétitivité régionales.
Au niveau aérien, on constate combien il est urgent, à cause du Covid, de réactiver le comité régional des aviations civiles pour définir une action commune de relance. Mais dans ce chantier, il y a des priorités nationales, je dirai même des priorités patriotiques, qui freinent le jeu collectif.

La Coi fonctionne en grande partie grâce à l’appui de partenaires qui peuvent lui tourner le dos ou limiter leurs contributions. Comment l’institution se prépare-t-elle à faire face à un tel scenario?

Le risque existe et pas seulement du côté des partenaires au développement. Qu’en sera-t-il de la capacité de nos Etats à contribuer à l’action régionale, à doter leur Maison Coi des ressources en phase avec l’ambition politique exprimée dans la Déclaration de Moroni et dans l’Accord de Victoria révisé? Il faudra peut-être revoir certaines priorités, définir de nouveaux calendriers, réorienter certaines actions.
La présidence du Conseil de la Coi, occupée par les Comores, avait organisé une session extraordinaire des instances pour justement donner mandat à la COI pour élaborer un plan régional de relance post-Covid. Nous nous y attelons. Il est évident que notre action devra d’abord soutenir les efforts de relance de nos Etats mais aussi continuer à répondre aux enjeux de fonds comme le climat.

Le niveau de développement n’est pas le même dans la zone. Les Comores et Madagascar connaissent des taux de pauvreté élevé. Quel rôle peut jouer la Coi pour tirer ces deux pays membres vers le haut en matière de croissance?

Le partage et la solidarité! Cela peut paraître naïf dit comme cela mais j’y crois. Il y a des expériences qui doivent être partagées, des expériences qui peuvent être répliquées. Je pense au cas de Maurice qui, à son indépendance, était l’un des pays les plus pauvre de la planète et voyez aujourd’hui la situation. Les économistes ont parlé d’un miracle. Il y a surtout eu une administration forte et de qualité qui a posé les cadres, un secteur privé dynamique qui a été soutenu, une politique réfléchie sur le long terme qui a préféré la prévisibilité plutôt que les effets d’aubaine, comme avec le protocole sucre, et une politique constante de diversification économique et d’éducation.
La Coi doit continuer à faciliter les échanges, à promouvoir l’investissement de la région pour la région. A Moroni, en août 2019, les ministres ont convenu de la nécessité de mieux faire valoir nos avantages comparatifs et de mobiliser les expertises en conséquence au bénéfice des Etats qui en auraient besoin. C’est une idée qu’il faut pousser.

Madagascar, soutenue par la SADC, demande la restitution des Iles Éparses. La France s’y s’oppose. Quel rôle peut jouer la Coi pour arracher des compromis?

Aucun ! Au 2ème Sommet de la Coi à La Réunion, nos chefs d’Etat et de gouvernement ont pris une décision sage et réfléchie : les contentieux territoriaux se règlent au niveau bilatéral. Il y a plusieurs litiges de souveraineté entre nos Etats membres. S’y pencher, ce serait un frein, voire même un poison, pour notre coopération régionale. La valeur ajoutée de la Coi, c’est justement d’animer une coopération porteuse de solidarités au-delà de ces questions.

La Coi a été saluée dans la gestion de la pandémie de Covid-19 dans la zone grâce au réseau Sega-One Health. Quel bilan faites-vous de ce plan de riposte?

Je tiens d’abord à y associer l’Afd pour sa réactivité et l’ampleur de son appui. Sans elle, la Coi n’aurait pas pu mettre en œuvre ses deux plans d’urgence. J’y associe aussi la présidence comorienne, le Conseil des ministres de la Coi qui a travaillé en étroite collaboration avec le secrétariat général dans ce cadre.
Dès février, la Coi établissait un premier plan d’urgence qui a été complété par un second plan deux mois après pour répondre aux besoins en équipements, matériels et expertises de ses Etats membres. La Coi a fait preuve de réactivité et d’adaptabilité. Elle a gardé une ligne de communication constante avec les Etats pour répondre aux besoins qu’ils exprimaient.
L’acheminement des matériels est en cours de préparation. Aujourd’hui, à l’aéroport de Moroni, une caméra thermique permet d’identifier les personnes à risque. C’est un premier outil qui a été fourni par la Coi et qui a bénéficié du soutien de l’Oms pour son installation. Bien d’autres équipements pour les hôpitaux, les professionnels de santé, les laboratoires, les patients arriveront dans les prochaines semaines. Je crois que la Coi a démontré ici l’utilité concrète de la coopération régionale. Une preuve d’ailleurs de l’importance de notre réseau SEGA One Health : l’UE a indiqué son intention de le soutenir également.

Quels souvenirs gardez-vous à la tête de la famille indianocéanique?

Ils sont nombreux ! Je garde le souvenir d’une famille solidaire, unie, déterminée à bâtir une Indianocéanie épanouie. Je garde le souvenir de dialogues sincères et de soutiens fraternels d’un bout à l’autre de notre belle région. Comme je le dis souvent, la COI est notre Maison commune. Pour moi, elle est ma Maison et celles et ceux qui y travaillent, ma famille. Je leur porterai toujours une attention bienveillante. Et je leur apporterai toujours toute aide dont ils auraient besoin, inch’Allah !

A.S.Kemba

Commentaires