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20 ans après l’Accord-cadre pour la réconciliation aux Comores I Hamada Madi Bolero : «Nous avions perdu notre pays, nous l’avons retrouvé»

20 ans après l’Accord-cadre pour la réconciliation aux Comores I Hamada Madi Bolero : «Nous avions perdu notre pays, nous l’avons retrouvé»

Politique | -

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Aujourd’hui, mercredi 17 février 2021 marque le vingtième anniversaire de la signature de l’Accord-cadre pour la réconciliation aux Comores. Cet acte inédit a en effet été signé le 17 février 2001 à Fomboni. Ainsi naîtra le Nouvel ensemble comorien (Nec) après des tensions, des discordes politiques et des négociations notamment à Addis-Abeba en Ethiopie puis à Antananarivo à Madagascar sous l’égide de la communauté internationale. 20 ans après, un des principaux acteurs de cet Accord historique est revenu avec nous sur ce moment clé de l’histoire de notre pays. Hamada Madi Bolero, ancien premier ministre qui était au premier rang dans ces négociations nous a accordé une interview exclusive où il retrace la genèse de l’accord-cadre.

 

 

Al-watwan : Doit-on parler de «l’Accord de Fomboni» ou des «Accords de Fomboni» ? Quel a été le terme consacré officiellement à cet événement ?
Hamada Madi Bolero : le terme officiel, c’est «Accord-cadre pour la réconciliation aux Comores». Il n’y a pas de raison que 20 ans après, les politiques et les gens qui s’intéressent à l’évolution politique de ce pays ne savent pas dire Accord-cadre pour la réconciliation aux Comores, mais disent «Les Accords de Fomboni» et ce malgré le fait que des accords aient effectivement été signés auparavant. En effet, lorsqu’on débattait sur cet accord-cadre la partie gouvernementale à laquelle j’appartenais a demandé que la partie anjouanaise accepte que cet accord prenne en considération les anciens accords. Mais, l’accord lui-même n’est pas au pluriel. C’est un seul accord donc il n’y a pas de raison qu’on parle «des accords». 

Al-watwan : 20 ans après, quel souvenir gardez-vous de cet événement inédit de l’histoire politique du pays ?
HMB : Je me rappelle de beaucoup de choses. J’étais d’ailleurs écœuré quand on parlait de l’accord-cadre pour la réconciliation aux Comores et qu’on ne parlait pas de l’essentiel. Pour moi, ce qui a provoqué un véritable débat à la fois entre nous Comoriens (les parties comoriennes qui étaient en négociation) et les observateurs dont l’Union africaine, l’Organisation internationale de la francophonie et l’Union européenne c’est l’intégrité territoriale. L’Union européenne a en effet refusé d’être garant pour la simple raison qu’elle était représentée par l’ambassadeur de France à Moroni lequel avait demandé à ce que l’île de Mayotte soit retirée du document. Il y a eu un débat intense, énorme. C’est Aboudou Soefo qui négociait et il s’est opposé à l’ambassade de France. Mayotte a été citée, ce qui a poussé l’ambassade de France à claquer la porte et à refuser d’engager l’Union européenne. 

Al-watwan : Que s’est-il passé après ce retrait ?
Les Comores, en présence de l’Union africaine, de l’Organisation internationale de la francophonie, des Nations unies, de la Ligue arabe et de l’Union européenne, ont lancé un appel en disant à la communauté internationale de profiter de l’occasion pour mettre le sujet de la colonisation de Mayotte sur la table pour que cette dernière retrouve son giron naturel et ainsi régler définitivement la question de l’île comorienne de Mayotte. Pour moi, c’était ça l’accord. Autre fait marquant de cet événement, c’est la question de la mise en place d’un gouvernement d’union nationale de transition. On s’était mis d’accord qu’après la signature et le referendum, il y ait un gouvernement d’union nationale de transition. La communauté internationale a demandé à ce que la partie anjouanaise qui était séparatiste accepte de participer. Ndzuani était favorable.

Mais au moment de la rédaction du document, on s’est heurté pendant des heures à un problème d’accord de temps quant à la façon de parler de l’entrée prochaine de Ndzuani dans l’Union nationale. Certains voulaient que ce soit la transition à laquelle «se joindrait» Ndzuani, tandis que d’autres, comme les représentants de l’opposition qui étaient le ministre de l’Économie actuel Houmed M’saidie avec Abbas Djoussouf, estimaient nécessaire de dire à laquelle «se joindra» Ndzuani. Nous avons passé deux heures de temps sur ce sujet. Puis, la partie anjouanaise représentée par le lieutenant-colonel Saïd Abeid a dit «écoutez certainement, nous allons y être. Mais, il ne faut pas signer cet accord en disant que nous allons participer à un gouvernement d’Union nationale. Il y a un risque que les gens pensent que nous avons créé tous ces problèmes pour faire partie des membres d’un gouvernement». Au final, on a écrit Ndzuani «va rejoindre» l’Union nationale, mais avec l’assurance qu’aussitôt mise en place l’île tienne sa promesse.

 
Al-watwan : la situation était explosive avec la naissance de «l’Etat d’Anjouan» et un drapeau. Quel souvenir gardez-vous du climat politique de l’époque ?

HMB : Vous savez l’accord, c’est la finalité des discussions entre les différentes délégations. Pendant les négociations, avant d’arriver à la signature, c’était le premier jour où il y avait une rencontre physique entre les autorités nationales et les séparatistes de Ndzuani. C’était le 1er juillet 1999 à Fomboni et c’était le premier document qui allait être signé, le communiqué conjoint. Après la lecture, la partie anjouanaise a refusé de signer. Les représentants ont dit qu’ils ne pouvaient pas signer si «sur la voiture du Colonel Abeid, il n’y a pas le drapeau de Ndzuani». C’était la première confrontation très difficile. Et on ne s’attendait pas du tout à tout ça. Après la signature, Abeid a sorti le drapeau de sa poche et l’a mis sur son véhicule. C’était une situation explosive. Il fallait malgré cela aller à l’accord, faire fuir tous les petits soucis et faire le plus important : l’unité du pays. 

Al-watwan : quelles ont été les revendications phares des leaders du mouvement séparatiste ?
HMD : La reconnaissance par l’Etat comorien d’un nouvel Etat à savoir «l’Etat d’Anjouan».

Al-watwan : comment avez-vous fait pour convaincre les leaders du mouvement de vous joindre sur la table des négociations ?
HMB : On ne les a pas convaincus. On a juste discuté. L’Union africaine a convoqué toutes les parties comoriennes à Addis-Abeba pour en discuter. Et là, les Anjouanais ont à peu près accepté la mise en place d’un nouvel ensemble comorien qui va garantir l’unité et l’intégrité territoriale. C’est comme ça qu’on est parti d’Addis-Abeba. Les parties ont pris la décision de se réunir pour définir les bases de ce nouvel ensemble comorien.
À Tananarive, le débat était ouvert, on a discuté pour avoir un Etat réel. Puis, au moment de la signature, la partie anjouanaise a dit, «nous, on ne peut pas signer, il va falloir que cet accord fasse l’objet d’un référendum à Ndzuani et que nous soyons sûr que les Anjouanais veulent de cet accord». C’est après le coup d’Etat de l’armée que nous sommes entrés en négociations avec les séparatistes. Ils ont accepté de discuter de ce nouvel ensemble comorien, mais voulaient plus de détails sur ce qui allait se passer et sur quoi ledit nouvel ensemble allait aboutir. C’est à partir de ce moment que les Anjouanais ont compris que ce nouvel ensemble comorien avec la communauté internationale préservera leurs revendications appelées : «les aspirations légitimes des populations des îles».

Al-watwan : quels sont les grands principes fondateurs de l’accord ?
AMB : Vous savez, ma lecture sur l’accord-cadre diffère de beaucoup de lecture puisque j’étais acteur. Je dois commencer à dire que la majorité des acteurs politiques de ce pays ne l’ont pas soutenu. En réalité, cet accord-là n’a rien de particulier. C’est juste un accord qui dit ceci : «nous, parties comoriennes, sous les auspices de l’Organisation de l’Unité Africaine appuyée par l’Organisation internationale de la francophonie, de l’Union européenne et en présence de la Ligue des Etats Arabes et de l’Onu, nous avons compris l’urgence de nous réconcilier. Nous avons compris que dans cette réconciliation, nous allions devoir faire en sorte qu’il y naisse un nouvel ensemble comorien qui respectera certains principes comme la démocratie, les droits de l’homme, la liberté, le partage des compétences entre les iles et l’Union». 

Al-watwan : qu’est-ce qui reste de cet accord aujourd’hui, quelle lecture personnelle faites-vous de son évolution, 20 ans après ?
AMB : Je pense que grâce à cet accord, nous avons pu avoir une première constitution. Nous sommes des Comoriens après, nous avions perdu notre pays, nous l’avons retrouvé. Voilà les bénéfices et l’avantage de toutes ces négociations. Cet accord, c’est un bon accord. Il nous a permis d’être là aujourd’hui avec un nouvel Etat. Il ne peut pas être un mauvais accord. Le débat doit avoir lieu sur les textes qui ont découlé de cet accord, mais pas sur ce dernier. Il faut féliciter et remercier les signataires de cet accord qui sont Mohamed Fazul, lieutenant-colonel Saïd Abeid, Abbas Djoussouf, Ali Toihir, Saidali Bacar, Issamidine Adaine et le président Azali Assoumani.

Chamsoudine Saïd Mhadji

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