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Interview de l’ex-président Ahmed Abdallah Sambi : “Je crains l’injustice et non la justice”

Interview de l’ex-président Ahmed Abdallah Sambi : “Je crains l’injustice et non la justice”

Politique | -   Mohamed Youssouf

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Revenu samedi dernier aux Comores et avant son audition ce matin à la gendarmerie dans l’enquête préliminaire sur le programme dit de la citoyenneté économique, l’ancien président Ahmed Abdallah Sambi a accordé à Al-watwan, une interview exclusive depuis sa résidence de Vwadjuu. Il est question du programme de la citoyenneté économique puisque l’on parle d’une commission de 105 millions de dollars mais également de l’actualité politique. “Je regrette la confiance que j’ai placée en Azali Assoumani pour le respect de ses engagements. Je ne regrette pas en revanche le soutien”, a dit l’ancien président de la République.

 


L’actualité est dominée par les enquêtes autour du programme de la citoyenneté économique. Regrettez-vous de l’avoir mis en place et exécuté ?


Dans ma position de chef de l’Etat d’alors, il me revenait d’œuvrer pour l’intérêt du pays. Dans ce programme, j’y ai vu les avantages financiers mais également relationnels. On m’avait, à la base, présenté un projet portant sur  quatre mille familles pour une somme de 200 millions de dollars. J’avais également des garanties de la part du gouvernement et du ministre de l’Intérieur émiratis en ce qui concerne les personnes qui allaient bénéficier de notre citoyenneté. Une fois au Koweit, on m’avait présenté des passeports comoriens délivrés par mes prédécesseurs. J’ai pris l’engagement de cadrer ce programme avec un cadre juridique. Pour répondre à votre question, non je ne regrette pas de l’avoir adopté pour les raisons que j’ai évoquées.


Où est donc passé l’argent de la citoyenneté économique ?


Que je sache, je n’étais pas ministre des Finances mais président de la République. Pour ma part, j’ai initié le projet et lorsqu’une première somme est arrivée, j’ai demandé à ce qu’un compte soit ouvert à la Banque centrale. Pour ce qui est de la gestion, elle revenait au ministre des Finances. Tout comme vous, je me demande également où est passé cet argent. Autre chose, avant mon départ, 11 milliards étaient en route pour Moroni mais au moment précis, la Banque centrale des Comores a demandé que toute transaction qui touche la citoyenneté économique passe par une banque centrale étrangère. Elle a donc refusé cet argent et je sais que mes successeurs ont eu à le gérer notamment pour la réhabilitation des routes.


Le rapport parlementaire fait état d’un pot de vin de 105 millions de dollars à votre endroit. Avez-vous touché cet argent et où est-il ?


Comment on pourrait comprendre ou accepter que j’ai reçu un pot de vin de 105 millions de dollars. Si c’est par chèque, il faudrait que les parlementaires en donnent la preuve. Si c’est en liquide, tout le monde l’aurait su parce qu’il s’agirait d’une somme qui pèserait une tonne. C’est un mensonge caractérisé. D’ailleurs j’ai cru comprendre que les enquêteurs ont confié au président actuel que ce pot de vin est en réalité un mensonge. Je crains qu’il ne s’agisse en réalité que d’un rapport politique visant ma personne ou certaines autres personnes identifiées. D’ailleurs des enquêteurs à l’image du député Oumouri ont sérieusement remis en cause l’authenticité de ce rapport. Je défie quiconque d’apporter la preuve de cette commission. Si le programme fait autant parler, c’est parce qu’il y a eu des réseaux parallèles…
Tous les décrets que j’ai eus à signer l’ont été après des vérifications auprès de la police. Si certains ont pu déceler des failles et de les exploiter, je ne peux me prononcer sur ce que je ne maitrise pas. Pour les réseaux parallèles, j’en ai eu connaissance plusieurs années après mon départ.


Une enquête judiciaire est ouverte et vous allez être entendu par la gendarmerie. N’y voyez-vous aucun inconvénient ?


J’ai répondu à l’invitation de la commission parlementaire chargée de l’enquête. Effectivement je vais être entendu par la gendarmerie et j’y serai. Je suis prêt à répondre aux questions et je peux vous dire que je suis venu en partie à cause de ça pour en finir avec les rumeurs qui me prêtaient l’intention de fuir. J’ose espérer que les choses se dérouleront sans aucune ingérence politique. Je respecte notre justice, j’y crois mais il ne faudrait pas politiser cette affaire. Il convient de faire en sorte que tout le monde soit placé sur le même pied d’égalité pour renvoyer une belle image de notre justice aux yeux du monde. Je crains l’injustice et non la justice. Aujourd’hui, l’on parle de la citoyenneté économique, une affaire vieille de 10 ans ce qui laisse l’espoir de revenir un jour sur des affaires de trente ans. C’est tout de même la première fois qu’un président dans notre pays est interpellé sur sa gestion de la sorte. Je me demande si cette affaire aurait fait autant de bruit si la tournante ne revenait pas à Ndzuwani en 2021. Mais évitons la politique.


Parlons-en de la politique ! Aujourd’hui vous êtes dans l’opposition,regrettez-vous votre soutien au candidat Azali Assoumani ?


Je ne regrette pas le soutien et tout le monde sait combien nous l’avons soutenu. Je regrette en revanche la confiance que je lui ai accordée pour la tenue de ses engagements. Rien ne présageait qu’il allait tourner le dos aux engagements qu’il a pris et confirmé devant moi.A la base, nous l’avons soutenu pour le pays.


Vous coalisez désormais avec des partis tels que l’Updc. Comment peut-on comprendre que les ennemis d’hier sont soudainement devenus les amis d’aujourd’hui ?


On avait soutenu le candidat Azali Assoumani sur la base d’engagements de sa part pour le partage du pouvoir. Mais après, on a expliqué que suite à mon point de vue sur la rupture des relations diplomatiques avec le Qatar, il a décidé de nous sortir du pouvoir. Pour la démocratie, les droits et libertés fondamentaux, on se trouve dans le même bateau avec d’autres leaders pour servir l’intérêt national. C’est un combat d’ordre national pour éviter une crise à notre pays parce que la gestion actuelle laisse craindre le pire. L’on interdit les réunions, la tenue de meeting, les déplacements internes et externes entre autres choses qui ne présagent rien de bon.


Le 30 juillet prochain sera organisée une élection référendaire pour mettre en œuvre les recommandations des assises nationales. Qu’est-ce que vous pouvez dire par rapport à ce rendez-vous ?


En soi, le président a toute la latitude de réviser la constitution à travers un référendum ou un congrès. Toutefois,cette prérogative reconnue par les textes doit respecter ces mêmes textes à commencer par l’existence de la Cour constitutionnelle pour statuer en matière électorale. Pour cette dernière, la responsabilité revient au gouverneur de Mwali qui aurait pu faire comme ses homologues de Ngazidja et Ndzuwani en nommant son représentant et ainsi avoir le quorum pour le fonctionnement de l’institution. Seul le peuple permet la révision de la constitution et il reconnait l’existence de la Cour constitutionnelle. Le président ne peut pas se permettre de passer outre la constitution par un décret ou une décision. J’ai eu à réviser la constitution mais au préalable, j’ai dû expliquer aux Comoriens les motifs. Je trouvais anormal que chaque année, il y ait une élection de 2006 à 2010. Il fallait également en finir avec les quatre présidents, les quatre constitutions et les quatre administrations et parlements. Dans tous les cas, au rythme où vont les choses, toucher la tournante ou les îles reviendrait à engager le pays dans un avenir non maîtrisé. C’est prendre le risque d’installer une crise dans le pays. Chaque île devrait jouir de son tour pour la tournante avant d’y faire un bilan en 2030.


Justement ce référendum est le fruit des recommandations des Assises nationales…


 
Si ces Assises avaient quelques choses de nationale, on ne pourrait pas déplorer l’absence des grands partis, des leaders politiques qui ont fait face à Azali lors des élections entre autres. Des Assises nationales ne prendraient pas une semaine même un mois. Il aurait fallu que les responsables politiques y prennent part depuis Ali Soilihi à Ikililou. Pour moi, ces Assises sont équivalentes à une dictée.


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