logo Al-Watwan

Le premier journal des Comores

«Je vais voter pour le oui au référendum du 30 juillet, car je n’aime pas la constitution de 2001, et toutes ses versions de 2009 et 2013»

«Je vais voter pour le oui au référendum du 30 juillet, car je n’aime pas la constitution de 2001, et toutes ses versions de 2009 et 2013»

Politique | -   Contributeur

image article une
"Tous les secteurs d’activité sont frappés par la même catastrophe. Ces institutions en sont la cause et les dirigeants, les responsables. Regardez la santé avec la ruine de l’hôpital public au profit des cliniques privées qui poussent comme des champignons et qui n’ont rien à envier aux épiceries du coin. Regardez l’agriculture : nous importons jusqu’à du piment alors que le nombre d’agronomes et autres cadres diplômés du secteur a atteint des records".

 

« Je n’aime pas la constitution de 2001, et toutes ses versions de 2009 et 2013, puisqu’elle a institutionnalisé le séparatisme, détruit le sentiment d’appartenance à une même communauté de destin. Elle a généré l’individualisme, le repli sur soi et sur sa communauté et parce qu’elle a consacré l’irresponsabilité des dirigeants au sens juridique du terme puisqu’ils n’ont pas de compte à rendre. Certains se sont donc fourvoyés et se sont servi de l’Etat au lieu de le servir, confondant les biens de l’Etat avec les leurs. Ils ont passé leur temps en querelles stériles. Tout ce que je viens d’écrire peut paraître abstrait si je ne montre pas les conséquences néfastes de ces institutions pour le pays, pour les familles et pour les individus.

En effet, leur fonctionnement ou plutôt leur dysfonctionnement a eu pour conséquences : Sur le bras de mer qui sépare Anjouan de Mayotte, vingt mille morts dont plus de neuf sur dix au cours des années 2000, de jeunes de moins de 35 ans, en voulant fuir la misère, dans un pays qui ne leur offre que le désespoir comme unique perspective. La destruction de l’avenir en détruisant le système éducatif qui, après avoir frôlé l’excellence, a touché le fond et ne produit maintenant que des jeunes inadaptés aux besoins du pays et qui viennent, par milliers, grossir les rangs des chômeurs au grand désespoir de leurs familles qui se sont ruinées pour assurer leur formation.

«Perte et ruines des familles et de l’Etat»

Parce que personne ne se sent responsable, cela a induit la création de filières universitaires correspondant, non pas aux besoins du pays, mais aux diplômés disponibles pour dispenser des formations sans aucun rapport avec la réalité économique du pays, ce qui génère, chez ces jeunes, une grande frustration lourde de menaces pour le pays.

L’enseignement public est, régulièrement, pris en otage par des corporatismes étroits et égoïstes, qui ont fini par tuer la branche sur laquelle ils sont assis, puisque le système éducatif est agonisant. Pourtant, cette machine continue inexorablement de fonctionner à perte et à ruiner les familles et l’Etat qui lui consacre le quart de son budget qui permettait de scolariser 91% des enfants, il y a vingt-cinq ans et qui ne scolarise plus que 21% des enfants avec le même budget.

Donc 79% des enfants en âge d’être scolarisés le sont, hors secteur public, dans des structures privées dont une infime minorité respecte les conditions définies par la loi d’orientation de 1994. Le secteur échappe au contrôle de l’Etat. Plus de 95% de ce budget rémunère des enseignants dont près de la moitié est en sureffectif (Données RESEN MEN publiées en 2011) ce qui établit un ratio enseignant élèves de un enseignant pour seize élèves au collège public et un enseignant pour onze élèves au lycée.

Une «grave menace»

Pour mémoire, en 1993, ce ratio était d’un enseignant pour quarante élèves, et toute division inférieure à vingt-cinq élè- ves était fermée et les élèves affectés dans un autre établissement. Aucun pays au monde ne possède de tels ratios, les ratios français et américains étant, largement, au-dessus d’un professeur pour plus de trente élèves en moyenne. Tous les secteurs d’activité sont frappés par la même catastrophe. Et ce sont ces institutions qui en sont la cause et les dirigeants, les responsables.

Regardez la santé avec la ruine de l’hôpital public au profit des cliniques privées qui poussent comme des champignons et qui n’ont rien à envier aux épiceries du coin. Regardez l’agriculture : nous importons du piment alors que le nombre d’agronomes et autres cadres diplômés du secteur a atteint des records. Mais cela me parait être un moindre mal, comparé à la grave menace que cette situation, fait peser sur le pays.

En effet, le désordre actuel menace notre survie en tant que Nation. Nous sommes vulnérables parce que l’égoïsme, l’individualisme, ont pris le pas sur les valeurs de solidarité qui caractérisent notre société. Or l’odyssée des espèces, à travers les cataclysmes que notre planète terre a traversé, nous enseigne que ce ne sont pas les espèces les plus grosses, ni les plus fortes qui ont survécu à ces grands bouleversements : la fourmi et l’abeille ont survécu là où le dinosaure et le mammouth ont disparu. La fourmi et l’abeille ont bâti une communauté structurée et organisée avec une hiérarchie et une répartition efficace des tâches pour chacun des individus. L’exécution de la mission de chacun, solidairement avec tous les autres membres du groupe, a assuré la capacité de ces communautés à s’adapter aux changements et donc à survivre.

Dans un monde en plein bouleversement, où de très grands ensembles se construisent pour permettre à chaque entité d’exister, être petit et non organisé, être petit et chercher à l’être encore plus, est suicidaire. Il faut donc prendre conscience que cinquante-quatre partis politiques dans un pays dont la population équivaut à celle d’un quartier d’Antananarivo est tout simplement insensé.

Les changements constitutionnels à venir, tels que sollicités lors des assises, forceront la création de grands partis nationaux structurés, dotés d’une ligne et d’un programme politiques, que porteront leurs candidats aux différentes élections. Ainsi émergera au sein de ces partis, une nouvelle classe de dirigeants d’envergure nationale issue des différentes régions du pays. L’Etat les financera au prorata de leurs électeurs aux élections nationales, sur la base de seuils prédéfinis par la loi selon des pourcentages par île et au niveau national, financement qui sera le même pour les partis remplissant ces critères qu’ils soient au pouvoir ou dans l’opposition.

Un statut sera donné au chef de l’opposition pour lui garantir une stabilité matérielle et une liberté de mouvement et d’opinion. Car j’ai peur. J’ai peur que la perspective de l’exploitation imminente des ressources en hydrocarbures, qui ne sont plus un projet mais une réalité, ne nous plonge dans une situation ingérable et destructrice de notre vivre ensemble. J’ai peur que nous devenions des proies pour des vautours sans scrupules, qui n’ont pas hésité à fomenter des guerres pour s’accaparer des richesses de certains pays. Car nous ne nous sommes pas du tout préparés.

Notre société n’est pas préparée, notre bureau géologique est loin, très loin de disposer des ressources nécessaires pour faire face aux besoins en cadres spécialisés, capables de défendre nos intérêts, notre patrimoine.

«Pour un État fort qui sait écoute»

Il nous faut donc, urgemment, un état fort capable d’être à la hauteur des enjeux. Oui, pour parvenir à relever tous ces défis, nous avons besoin d’un état fort et d’une gouvernance responsable.

Pour moi, un État fort est un État qui écoute et analyse avant de décider, qui mobilise pour cela l’intelligence et l’imagination de toutes les forces vives de la Nation et s’assure que les décisions sont effectivement mises en œuvre et qu’elles permettent d’obtenir les résultats escomptés.

Un État fort est un État qui laisse la liberté des initiatives et des activités aux citoyens et aux opérateurs économiques dans le cadre d’une règle de jeu simple et claire mais rigoureuse. Un État fort est aussi un État loyal qui respecte ses engagements.

Un État fort est un État impartial et juste qui observe et corrige les irrégularités, qui se préoccupe des plus défavorisés, qui agit concrètement en leur faveur, qui organise la Nation, pour qu’elle produise le maximum de richesses et redistribue en toute équité les richesses produites par les différentes couches de la société.

Un Etat fort est un Etat garant de la cohésion sociale et nationale qui œuvrera résolument pour une intégration régionale, économique et linguistique ce qui ouvrira des perspectives à nos entrepreneurs. Alors puisque, indubitablement ces institutions ont failli dans tous ces domaines, je vais voter oui pour donner au pays, la chance de changer de cap. J’invite donc ceux qui veulent maintenir ces institutions à expliquer pourquoi, comme je viens de le faire, car le pays a payé un très lourd tribu pour un seul bénéfice, la stabilité qui par ailleurs, ne sera que renforcée par un état fort et organisé».

Ibrahima Hissani,
conseiller politique du président de la République
 

 

Commentaires