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Le premier journal des Comores

La Constitution ou le tableau du peintre

La Constitution ou le tableau du peintre

Politique | -

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J’ai passé 10 jours dans ce pays, mon pays. Et de conférence en conférence, je n’ai eu de cesse de répéter un constat : “aux Comores nous avons tout essayé”. Celui-ci a pu sans doute raisonner comme une fatalité. Il n’empêche que cela est vrai. Il n’y a aucun modèle de forme d’État à l’exception de la confédération, comme il n’y a aucun régime institutionnel que nous n’ayons pas plus ou moins expérimenté.

 

 Est-ce à dire qu’il n’y a rien à faire ? Certainement pas ! Le fait qu’on ait éprouvé les systèmes n’est pas une conclusion défaitiste, mais plutôt un motif d’espoir.Notre constituant est tel un peintre, le premier coup de pinceau, pas plus que le second, ne donne jamais immédiatement un chef d’œuvre. La meilleure constitution pour un pays suppose donc beaucoup de brouillon. Seulement pour l’atteindre, on ne jette pas les esquisses, les premiers jets. Non, on en extrait le bon coup de crayon. Puis, un jour, à force de dessiner, raturer et ajuster, le peintre-constituant voit naître sur son chevalet, une œuvre d’art constitutionnelle. Mais à vrai dire, il n’en sait rien. C’est ce qu’en fera le conservateur, ce qu’en appréciera l’observateur, ce qu’en gardera l’historien qui fera de celle-ci un navet ou un chef d’œuvre. Le tableau ne suffit pas à lui seul, beaucoup compte ce qu’en font les hommes.


De même pour la Constitution, quand bien même on réussissait à faire la meilleure constitution du monde, elle n’en sera ainsi que parce que les hommes qui la pratiquent le font dans son respect. Alors, ne croyez jamais aux vertus d’un grand soir institutionnel. Celui qui veut qu’en chamboulant tout, l’on refasse mieux. La Constitution est un organisme vivant. Elle croit. Elle vit et se meurt. Mais entre les deux, il faut réviser pour évoluer, pas pour défaire. Il faut modifier pour consolider pas pour instrumentaliser. La Constitution actuelle n’est pas encore une Joconde, mais elle en a les potentialités. Faites en sorte de conserver ce qui va dans le bon sens et de corriger ce qui à l’usage a dysfonctionné. Mais avant de toucher le tableau constitutionnel, changez de conservateur, peut-être assure-t-il une mauvaise promotion. Sensibilisez l’observateur, peut-être n’arrive-t-il pas à en apprécier l’importance.


Le peintre c’est vous et moi. Nous avons produit le tableau qui satisfait à nos goûts et nos aspirations. Nous devons prendre garde à ce qu’il ne soit modifier sans nous voire contre nous. Pour cela, nous devons apprendre, le connaître et l’examiner nous-mêmes pour percevoir les bonnes et les mauvaises courbes. Sinon, d’autres viendront nous convaincre du contraire dans des intérêts qui ne sont pas les nôtres. Alors, il faut encourager les rencontres, les débats, les publications et les conférences. Que les juristes investissent la cité pour éclairer. Nos mains de peintre n’en seront que plus aiguisées. Nos tableaux n’en seront que meilleurs.


C’est ce dont j’ai appris de ces 10 jours. Le comorien aime la fracture, l’asymétrie surtout quand elle s’exprime en politique. Soyez gouvernant ou opposant, pro-ceci ou contre cela, mais conserver cette envie de droit que j’ai perçue dans vos places publiques et vos radios. C’est ainsi qu’au-delà de ce qui nous sépare politiquement, au-delà des intérêts partisans, vous comprendrez qu’il y a un bien commun, l’État de droit. Ce dernier pose un cadre et des limites, sous réserve de leur respect, tout un chacun est libre de faire la politique qu’il estime la mieux indiquée pour la nation. Soyez peintre, participer pleinement à la confection du tableau ne vous en faites pas voler la paternité. Président, ministres, députés, tous n’existent que parce que vous avez bien voulu poser un dessin où ils existent. Ce sont vos personnages, ne les craignez donc pas. Rappelez-les à l’ordre du droit !

Mohamed Rafsandjani
Doctorant contractuel en droit
public Chargé d’enseignement
à l’Université de Toulon

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