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La convention d’entraide judiciaire, entre banalité et dangerosité

La convention d’entraide judiciaire, entre banalité et dangerosité

Politique | -   Contributeur

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"Le danger avec cette convention, c’est qu’elle donne l’apparence d’être classique, mais qu’à y regarder de près, il y a des coups de canifs portés à notre souveraineté de manière subtile. Nous en sommes au stade de la ratification. Cela signifie qu’à un moment donné, un ministre de la République a donné son accord sur la faisabilité de cette convention"

 

Le diable s’habille parfois en convention et se trouve dans les détails de ses dispositions. Pourtant, l’entraide judiciaire, c’est vieux comme le monde.

De tout temps a-t-on conclu des conventions pour s’assurer l’application de sa loi pénale en dehors des limites de son territoire. Une nécessité sous forme d’évidence aujourd’hui à l’heure de la globalisation.

La notion de frontière a largement évolué au gré de la mondialisation et a multiplié les situations dans lesquelles les crimes et délits s’extra territorialisent. Mais malgré tout, la frontière physique demeure, et les États ne sont pas toujours enclins à voir prospérer chez eux une forme d’appareil judiciaire importée et contraignante.

Pour surmonter cet écueil, un accord international viendra fixer le cadre d’intervention entre la partie requérante, celle qui sollicite, et la partie requise, celle qui est sollicitée. De ce point de vue, la convention d’entraide judiciaire francocomorienne s’intègre parfaitement de cette logique juridique. Mais cette banalité de principe de la convention cache, tout de même, quelques dispositions potentiellement intrusives au regard de notre souveraineté.

Il faut d’abord préciser qu’une entraide judiciaire n’est rien d’autre qu’une assistance opérationnelle. Contrairement à ce que l’on peut penser, elle est signée par des représentants de l’État, mais il ne s’agit pas d’une coopération politique. Autrement dit, ce n’est pas le pouvoir exécutif français qui peut requérir notre aide ni le nôtre requérir celle de la France.

Les interlocuteurs dans l’exécution d’une convention d’entraide sont les autorités judiciaires de chaque État.

En outre, l’entraide ne signifie pas que l’on transfère des compétences à une autorité étrangère. Tous les actes, investigations ou interpellations seront accomplis par les autorités judiciaires comoriennes conformément à ce qui est permis et proscrit par notre droit.

De plus, des garde-fous sont aussi prévus par la convention elle-même qui fixe les restrictions possibles à la demande d’entraide. Ainsi, la majeure partie de cette convention n’a rien de révolutionnaire, il s’agit de ce qui s’est toujours fait.

Seulement, cette majeure partie ne saurait occulter le vice inhérent à certaines dispositions visiblement irréfléchies et potentiellement contraires à nos intérêts. De l’aveu même de la rapporteure française, jamais une convention d’entraide judiciaire signée par la France n’est allée aussi loin dans les mécanismes prévus. C’est le moins que l’on puisse dire. Un peu comme si les Comores avaient été choisies pour servir de laboratoire pour une entraide judiciaire d’un nouveau genre : plus contraignante, plus intrusive.


Lire aussi : Les parlementaires français autorisent la ratification de la Convention d’entraide judiciaire avec Moroni


 

 

Lorsque nos parlementaires auront à autoriser la ratification de cette convention, qu’ils se montrent attentifs aux articles 19 et 20. Non pas tant sur ce qui est écrit, mais sur ce qu’ils impliquent. Comme nous l’avons rappelé, la logique de l’entraide réside dans le fait de solliciter d’un État étranger son concours pour appréhender des situations pénales dans son territoire.

Or, avec les livraisons surveillées et les opérations d’infiltration, l’on se place dans une tout autre perspective. Il s’agit de consentir à ce que les autorités françaises puissent déployer leurs moyens matériels, mais surtout humains sous couvert du secret ou avec une identité fictive sur le territoire national.

Au fond, ce ne serait plus aux autorités comoriennes d’exercer la contrainte pénale, mais des agents judiciaires français et, de surcroît, de manière officieuse.

Cela n’existe dans quasiment aucune coopération policière dans le monde puisqu’on perçoit mal un pays souverain l’accepter. Finalement, le danger avec cette convention, c’est qu’elle donne l’apparence d’être classique, mais qu’à y regarder de près, il y a des coups de canifs portés à notre souveraineté de manière subtile. Nous en sommes au stade de la ratification. Cela signifie qu’à un moment donné, un ministre de la République a donné son accord sur la faisabilité de cette convention.

Quant à l’obligation de réciprocité, elle n’est pas une garantie suffisante. D’abord parce que les Français auront toujours plus de moyens pour réaliser des infiltrations que nous de sorte que nous n’aurons peut-être jamais l’occasion de nous en prévaloir. Ensuite, parce que, si celles-ci doivent se réaliser en conformité avec le droit de l’État requis, il faut constater que les Français ont un droit bien plus protecteur et développé en la matière que nous. De sorte qu’en réalité, ils auront plus de marge de manœuvre aux Comores que nous en aurons en France.

Voyez-vous, la réciprocité n’est pas synonyme d’uniformité. Elle implique simplement que chacun applique la convention pour ce qui le concerne avec ses moyens et son droit. Nous n’avons ni les moyens ni les instruments juridiques pour ratifier cette convention sans risquer de contrevenir à l’intangibilité de nos frontières ou à l’intégrité de notre territoire. 

 

Mohamed Rafsandjani
Doctorant contractuel en droit public
Chargé d’enseignement à l’Université de Toulon

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