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La Cour constitutionnelle ou l’ombre au-dessus des assises

La Cour constitutionnelle ou l’ombre au-dessus des assises

Politique | -   Contributeur

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Quand le chat n’est pas là, les souris dansent. Cette maxime populaire résume assez bien la situation. La Cour, le félin, les pouvoirs publics, les rongeurs. Mais n’y voyez pas un rapport hiérarchique, juste une relation de dissuasion. Un seul vient à manquer et c’est l’écosystème institutionnel qui s’en trouve menacé. D’aucuns ont pensé que dès lors qu’il n’y aura plus de cour, plus rien ne bridera la volonté des acteurs. Mais la constitution a horreur du vide. À vrai dire, la Cour constitutionnelle reste toujours présente même absente. Il est même des cas où pourtant réduite au mutisme, son silence raisonnera toujours plus fort. Et les recommandations faites dans le sens de la réforme de la justice constitutionnelle ne sont pas de nature à rassurer.

 

Supprimer la Cour, créer une chambre constitutionnelle

La proposition suivant laquelle, la cour constitutionnelle sera supprimée pour laisser place à une chambre constitutionnelle au sein de la Cour suprême n’est pas en soi contraire à la démocratie ou l’État de droit. Seulement, c’est à la condition qu’une telle modification soit le fruit d’une révision constitutionnelle en bonne et due forme.

Néanmoins, c’est sur le plan des mécanismes juridictionnels que des difficultés se feront ressentir. Une Cour suprême par définition est au-dessus d’autres juridictions appartenant à un même ordre. Si la Cour suprême devient un juge constitutionnel, cela pourrait avoir pour effet de diffuser le contrôle de constitutionnalité.

Tout juge de l’ordre judiciaire et administratif devenant ainsi un juge constitutionnel potentiel. Cela aurait l’avantage de rapprocher la justice constitutionnelle des citoyens, certes, mais avec l’inconvénient de créer du désordre dans les solutions retenues.

Sans oublier que la Cour suprême hériterait aussi, outre le contrôle de la constitutionnalité des lois, également, du contrôle des règlements des assemblées, celui des traités internationaux ainsi que des lois statutaires des îles. Mais, elle deviendrait aussi juge du contentieux électoral, des conflits de compétence et des droits et libertés. Tout cela en conservant, ses attributions actuelles qu’elle a déjà toutes les peines à assumer.

Au final, le modèle actuel paraît le plus satisfaisant parce qu’il permet d’avoir une juridiction spécialisée dans le contentieux constitutionnel qui est très particulier et qui en plus, elle l’a déjà démontré auparavant, peut combler les lacunes de la Cour suprême pour un meilleur renforcement de l’État de droit.

Deux juridictions de ce niveau vaudront toujours mieux qu’une seule à qui l’on confie moult attributions sans cohérences pour le plaisir de changer. Il suffirait alors de réformer la cour constitutionnelle actuelle.

Et ce ne sont pas les pistes qui manquent : instaurer un mandat unique pour les juges, renouveler les membres de la Cour par tiers de sorte qu’il y ait toujours un quorum minimum pour qu’elle puisse fonctionner, augmenter la durée des mandats pour les déconnecter du calendrier électoral national, modifier la composition pour y assurer la présence minimale de juristes de formation et de profession, ou encore faire valider les nominations par des commissions parlementaires.


Référendum de révision, impossible sans la Cour

Pour que les recommandations prônées par les experts intègrent le droit positif, elles devront trouver place directement dans la lettre de la Constitution. De telles modifications induiront donc une révision constitutionnelle. Au regard de l’article 42 de la constitution, le Président a parfaitement le droit d’initier une réforme de la constitution.

Mais, il ne peut faire que cela, l’initier. Passée l’étape de l’initiative, il perd la main. Et c’est à ce stade que toutes les libertés prises jusqu’alors avec la constitution risquent d’entamer les velléités du président. Les institutions ont un karma.

En effet, il semblerait que pour acter la révision, le président choisisse la voie du référendum. Seulement, il n’aura échappé à personne que le référendum est une opération électorale. Dès lors, il doit se dérouler sous la supervision du juge électoral, c’est-à-dire, la Cour constitutionnelle. Il s’agit d’une prescription de la constitution et des lois organiques.

La Cour vérifie la légalité du décret de convocation du scrutin, valide l’intégrité des listes électorales, juge les irrégularités soulevées et tranche les contentieux s’y rapportant. Mais surtout, la Cour constitutionnelle est la seule compétente pour proclamer les résultats définitifs. Il est évident que dans l’état actuel du fonctionnement irrégulier des institutions, aucun référendum ne peut être organisé. La Cour doit au préalable être renouvelée.

Quant à l’alternative qui consisterait à transférer, avant la révision, les attributions de la Cour constitutionnelle à la Cour suprême par décret, cela relève de l’impossible. La Cour constitutionnelle a reçu ses attributions du constituant et du législateur organique.

Ces derniers sont donc les seuls à pouvoir les lui retirer. Un décret ne saurait accomplir une telle tâche sauf à mettre fin, de fait, à la Constitution en vigueur. Et si tel devait être le cas, pourquoi s’embarrasser d’un référendum ? Autant décréter aussi les recommandations des experts. Ou la cour est renouvelée, ou le projet de révision en restera à ce stade faute de pouvoir organiser l’opération électorale du référendum pour l’entériner.


La voie obstruée du Congrès

Surtout que l’on ne pourra pas non plus passer par la voie du Congrès. En effet, pour que ce dernier approuve une révision, il doit réunir la majorité qualifiée des deux tiers, mais en faisant voter la totalité des membres qui composent toutes les assemblées de notre pays. Or, justement, il y’en a au moins deux qui ne sont pas au complet. D’abord, le conseil de l’île d’Anjouan, où le siège du conseiller déchu n’a toujours pas été pourvu.

Ensuite, l’Assemblée de l’Union, elle-même, ou les neuf députés cooptés par les conseils des îles n’ont pas encore été remplacés. Ce remplacement soulèvera, elle aussi une difficulté puisque la liste des représentants insulaires ne pourra pas être validée en l’absence de la Cour constitutionnelle. Décidément...

Au fond, de quelques manières que l’on prenne la situation, l’on aboutit au résultat paradoxal quoiqu’un peu ironique dans lequel, pour pouvoir aller au bout de ces projets, le Président est obligé de rétablir la juste application de la constitution. Celle-là même dont il a scrupuleusement feint d’ignorer. Les institutions contraignent les hommes et les difficultés autour du référendum seront là pour le rappeler.


Mohamed Rafsandjani
Doctorant contractuel en droit public
Chargé d’enseignement à l’Université de Toulon

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