Vous êtes la première femme élue gouverneure de Ngazidja. Quelles sont vos grandes priorités pour l’île?
Mes priorités sont la santé, l’éducation et l’autonomisation de la femme, entre autres. Je rappelle que le gouvernorat a en charge l’éducation de base, le primaire et le secondaire. Nous allons réhabiliter ces écoles. Comme vous savez, certaines sont dans état de délabrement avancé, or un enfant doit évoluer dans un environnement saint, où il se sent protégé.
Tout enfant doit être scolarisé selon la charte du bien-être de l’enfant ratifié par les Comores. Il faudra définir une carte scolaire avec un cahier de charge à respecter, harmoniser et normaliser le planning des enseignants, et définir les critères qui répondent aux statuts des enseignants des écoles coraniques, instaurer des visites régulières des inspecteurs pédagogiques, redynamiser les centres de formation professionnelle et réhabiliter ceux qui sont en mauvais état. Certains centres sont tout simplement fermés. Je pense qu’il faut donner une deuxième chance aux enfants déscolarisés.
Et au niveau de la santé?
Nous devons améliorer la qualité des soins, réhabiliter les centres de district et former les équipes soignantes. Grâce à l’accompagnement du projet Compass, nous allons obtenir du matériel performant qui va être distribué dans ces centres. Nous devons également faire respecter et restructurer la carte sanitaire.
Pour ce qui est de l’autonomisation de la femme, nous-nous basons beaucoup sur l’agriculture et la pêche, des métiers effectués par les femmes, mais aussi le commerce informel dans lequel les femmes sont impliquées. Nous devons le formaliser et les accompagner dans leur autonomisation.
Auparavent, vous étiez commissaire au genre. Quelle est votre politique actuellement face à la recrudescence des actes de violences et d’agressions sexuelles?
Un travail a été fait avant moi et nous avons bien travaillé du temps où j’étais commissaire. Nous avons beaucoup oeuvré dans la lutte contre ces violences. Il y’a encore beaucoup de violence, mais je pense aussi qu’un travail de fond a été effectué qui a abouti à ce que, désormais, des personnes osent les dénoncer.
Il est très important que la femme parvienne à parler lorsqu’elle est victime et dise ce qu’elle vit. Ça été le point fort de notre mission. Nous avons réussi de ce côté, car très longtemps ces viols sont restés tabou, personne n’osait parler de peur d’être pointé du doigt. Et c’est à partir de là que nous allons commencer notre combat, notamment avec la création de centres d’accueil pour que la victime puisse trouver un refuge.
Le fait de trouver une personne qui vous écoute et qui prenne soin de vous à un moment critique de votre vie est très important. Nous avons besoin de beaucoup de personnels soignant qui puisse être à l’écoute des victimes. Je pense qu’il y a actuellement un sursaut national par rapport à ce fléau. Le gouvernorat s’est saisi de ce problème et nous comptons mettre en place un observatoire de lutte contre les violences qui va essayer d’harmoniser tous les travaux réalisés et les activités prévues. De même nous allons mettre en place notre feuille de route, un outil de travail très important. Si on arrive à le mettre en place, nous aurons fait un grand pas.
L’île de Ngazidja dispose de centre de santé mais les plateaux techniques font défaut. Tout se concentre à El-Maarouf. Comment comptez-vous y remédier à moyen et à long terme?
J’ai parlé du projet d’accompagnement du Compass grâce auquel nous disposerons du matériel adéquat que nous allons équiper les centres de district. C’est vrai que les prises en charge sont actuellement trop concentrées à El-Maarouf, mais une fois ce matériel distribué et le personnel formé, les centres seront à même de répondre aux soins élémentaires jusqu’à un certain niveau. Au-delà, il faudra nécessairement transférer à El-Maarouf.
Quelles leçons faut-il tirer de l’épidémie du Coronavirus en matière, justement, de prise en charge dans les structures de santé?
Je rends hommage au Chef de l’Etat, Azali Assoumani, qui a pris très tôt les bonnes résolutions pour organiser la riposte contre la Covid-19, et la population qui a su respecter les mesures barrières, ce qui a permis de contrôler sa propagation. Je n’oublie naturellement pas la communauté comorienne de l’extérieur et nos partenaires nationaux et internationaux pour leur accompagnement au quotidien.
Le dispositif mis en place par le gouvernement à travers le comité insulaire a permis d’associer les différents spécialistes à qui je rends hommage, ce qui a abouti à des résultats encourageants.
Cette solidarité nationale a été observée dans toutes les communautés villageoises où toutes les générations ont aidé à faire respecter les mesures barrières. Je rends également hommage aux notables, aux responsables religieux, aux maires, aux préfets et aux associations villageoises qui nous ont été d’un grand secours auprès des services de la sécurité civile. Pour ce qui est de la santé, les équipes se sont bien organisées. Il y’avait les centres de tri dans les districts, des formations ont été dispensées au bénéfice du personnel soignant qui a fait un travail de fond. Celui d’isoler le malade, le suivre avant d’arriver en hospitalisation. Même s’il y’avait un manque de matériel, toutes les précautions ont été prises et l’implication du personnel soignant est à saluer. Ils ont travaillé avec leur cœur, et la population comorienne est reconnaissante.
A propos des finances de l’île. Vous avez des marges de manœuvres limitées. Les taxes intérieures (Ipbl, nuitées, …) sont aujourd’hui sous le contrôle des autorités centrales. Qu’en est-il de l’autonomie financière de l’île?
Certes beaucoup de choses ont changé avec la nouvelle constitution. Le gouvernorat prépare son budget qui doit être en adéquation avec celui de l’Etat et les recettes fiscales. Ce budget, les impôts et taxes sont tous versés dans un même compte et reversés après à qui de droit. Ce budget sera géré par une direction régionale de l’île. Il y’a eu beaucoup de changement dans la constitution c’est clair, mais tout ce qui concerne le budget est en adéquation avec l’Etat entre les recettes et les dépenses.
Des agents du gouvernorat se plaignent de ne plus percevoir plus leurs salaires, d’autres d’être sous-payés…
… Je vous conseille de poser la question au secrétariat d’Etat chargé de la Fonction publique.
Le gouvernement a lancé un projet économique pilote dit Pidc sensé aider à la création d’unités de production et d’emplois dans les régions. Comment comptez-vous accompagner les centres régionaux de développement économiques (Crde) de l’île à mettre en œuvre ce projet dans les zones identifiées?
Les Crde constituent les piliers du développement rural afin d’advenir à une autonomisation de la femme rurale qui constitue, comme je l’ai déjà dit, l’une de mes priorités phares. D’ailleurs nous avons célébré hier dans le Crde de Simbusa à Mbadjini la journée internationale de la femme rurale afin de valoriser le dynamisme et l’implication de la femme rurale. Le thème retenu est “Ndeze faliki zahe mndru mshe mmidjindze” pour illustrer la femme et son engagement dans la vie économique.
Pour de nombreux citoyens, les communes restent des coquilles vides sans projets qui convergent véritablement avec la politique de développement du pays. Que faut-il faire aujourd’hui pour leur doter de nouveaux ressorts qui puissent impulser le développement local?
Conformément à la loi sur la décentralisation qui donne compétence aux communes à s’autogérer afin de prendre leur destin en main, elles travaillent en étroite collaboration avec le gouvernorat. Grâce aux accords de coopération décentralisée, le conseil communal va être à pied d’œuvre pour le développement de sa localité. Nous avons aussi la politique de la communauté des communes. On va regrouper les communes proches pour qu’elles puissent mettre en place un projet de société où ils pourront entre elles-mêmes pouvoir échanger et faire des projets de vie.
A titre d’exemple, pour la promotion de la culture à Ngazidja, par le biais d’un comité de pilotage, nous venons de lancer le festival des communes et à partir du 27 octobre, date de rentrée des maires. Nous allons les impliquer dans divers programmes notamment la lutte contre la drogue, le renforcement de la langue française, la lutte contre les violences faites aux femmes et aux mineurs et la délinquance juvénile. Sur la coopération décentralisée, beaucoup de convention arrivent à terme et nous allons les réactualiser en fonction des priorités.
La justice est sous les feux des critiques. En plus de la lenteur dans l’exécution des décisions de justice, il y a une méfiance grandissante des justiciables. A terme, ne faudrait-il pas envisager la décentralisation du service public de la justice dans les régions?
(…Sourire) Rendre la justice n’est pas une promenade et les critiques contre les appareils judiciaires sont choses courantes même dans les pays les plus avancés.
Concernant la lenteur, il est évident que la justice souffre d’un manque de personnel pour répondre dans les délais aux attentes de la population. Cette lenteur s’observe au cours de la procédure judiciaire mais également dans l’exécution des décisions.
Toutefois, une avancée notable a été constatée dans l’amélioration des effectifs des auxiliaires de justice et les démarches devant nos partenaires bi et multi latéraux pour renforcer les capacités du personnel judiciaire. Pour ce faire, il serait mieux d’amplifier les audiences foraines dans les régions pour rapprocher la justice des justiciables. Il serait également adéquat de mettre l’accent sur la vulgarisation des textes juridiques. Nous envisageons de mettre en place une émission juridique à l’Ortn qui s’intitule JID (justice information droit) pour essayer d’inculquer aussi des valeurs qui sont en perdition.
De nombreuses infrastructures scolaires se sont dégradées. Qu’en est-il de votre projet de mise en place de cantines scolaires?
Nous avons beaucoup parlé de l’environnement sain des écoles. C’est vrai nous avons ce projet de cantine et nous faisons de notre mieux pour le mettre en place. Je suis certaine qu’avec mon équipe nous allons réussir à trouver les voies et moyens pour reconstruire ces écoles.
Cela peut paraitre trop osé, mais dans mon intime conviction, je suis persuadée que tant qu’un enfant grandi dans un environnement sain, l’Etat a tout à gagner. Et c’est ce que nous comptons mettre en place. Il y a le projet des cantines scolaires, mais une fois qu’on réhabilitera ces écoles, il faudra aussi trouver des aires de jeux et sportifs pour ces jeunes enfants.
Disposer d’un endroit d’hygiène sera au premier plan par ce qu’il faut que ces écoles soient équipées de toilettes, de points d’hygiène et d’infirmerie. Avant d’alerter les parents en cas de maladie ou d’accident à l’école, l’enfant pourra recevoir les premiers soins.
Quel héritage souhaitez-vous laisser à votre successeur?
Mon souhait le plus ardent est de laisser comme héritage des institutions fortes notamment la coopération décentralisée, une bonne cohésion sociale, un climat apaisé, un environnement sain et une île où il fait bon vivre.
À nos lecteurs
La gouverneure n’a pas souhaité répondre à toutes nos questions. Sur les 16 questions préparées par Al-watwan, 6 n’ont pas été répondues par notre interlocutrice. On ignore les motifs.
La Rédaction
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