Cela n’empêche, les données du problème sont simples et elles sont celles-ci. Si la loi sur la citoyenneté économique a été adoptée selon une procédure législative irrégulière, alors, juridiquement, la loi n’existe pas. Et si la loi n’existe pas, alors, toutes les décisions prises et les situations créées, sur la base de celle-ci, n’ont plus aucun fondement légal. L’arbre aurait donné une pomme pourrie parce que dès le départ, le ver était dans le fruit. Avouez, ce serait ballot !
Régularité ou irrégularité de la procédure ? Telle est la question. Bien futé serait le juriste qui prétendrait apporter une solution définitive à ce problème. Toujours est-il que si l’on se fie aux faits tels que relayés par la Cour constitutionnelle ainsi que la décision qui en a découlé, nous pouvons y apporter une réponse sous la forme d’une hypothèse et d’un regret.
Notre hypothèse, pour commencer, c’est qu’il y a de fortes raisons de penser que la procédure suivie était irrégulière. D’abord, parce qu’une exception d’irrecevabilité de la loi aurait été soulevée en séance. Certains députés reprochaient à la loi future d’être potentiellement inconstitutionnelle. Cette exception a été adoptée. D’ailleurs, par trois voix au-dessus de la majorité absolue. Or, la conséquence d’un vote positif en faveur d’une exception d’irrecevabilité est implacable. C’est le rejet pur et simple du projet de loi soumis. Si malgré cela, les travaux se poursuivent et aboutissent à la promulgation de la loi, alors la procédure n’aura pas été respectée.
Ensuite, l’on peut, par ailleurs, relever une chose, purement formelle, mais quelque peu étrange. C’est qu’aux Comores, il existerait deux lois portant le numéro “08-014/AU”. La loi sur la citoyenneté économique, d’une part, et, d’autre part, la loi de finances rectificative de 2008. Alors de deux choses l’une. Ou bien les archives chronologiques de l’Assemblée sont mal tenues, ou bien une des deux lois n’existe pas. Étant entendu qu’il serait très difficile de faire vivre l’État sans loi de finances. À voir !
Toujours est-il qu’il nous faut reconnaitre qu’il s’agit d’une hypothèse. À dire vrai, on ne saurait faire autrement. À défaut d’un juge compétent pour trancher, on ne peut qu’émettre des avis qui se rapprochent, parfois, de la spéculation. Ce qui nous amène à notre regret.
En effet, malheureusement, aux Comores, il n’existe aucun moyen juridique de s’assurer que les lois adoptées le sont, selon une procédure prévue pour ce faire. La complexité juridique de la raison cache (à peine) l’absurdité de la situation. Aux Comores, la procédure législative n’est pas fixée par la Constitution. Elle est détaillée par une délibération votée par l’Assemblée. Cette délibération, même si elle est incluse dans le règlement intérieur, a la même valeur qu’une loi “normale”. De sorte qu’au final, c’est une loi qui fixe la manière dont seront adoptées les autres lois. Par conséquent, lorsqu’on demande à un juge, notamment la Cour constitutionnelle, de contrôler si une loi a été votée selon la bonne procédure. Cela revient à demander, en réalité, au juge de contrôler le respect d’une loi par rapport à une autre loi. Ce qui est infaisable. On ne peut pas comparer deux normes de mêmes valeurs. En tout cas, pas le juge constitutionnel. Résultat : c’est l’impasse.
Finalement, la loi sur la citoyenneté économique est-elle régulièrement adoptée ou non ? Peut-être nous le saurons jamais. Nous ne le saurons jamais non plus pour toutes les autres lois votées dans notre pays. À défaut d’un juge compétent pour exercer ce contrôle. Faudrait-il donc, revoir nos textes en vue de corriger une telle aporie qui menace tout l’édifice juridique de l’État. Permettre que des lois irrégulières puissent entrer en vigueur, c’est laisser prospérer des situations juridiques dépourvues de toute légalité sauf apparente.
Mohamed Rafsandjani
Doctorant contractuel de droit public
Chargé d’enseignement à l’Université de Toulon