Quelles sont les principales conclusions arrêtées lors du troisième Dialogue politique Comores-Union européenne ?
Il y a d’abord la réaffirmation, la confirmation de l’importance de nos liens, de nos relations et de la pertinence de nos différentes interventions. Les discussions ont été menées dans un esprit de partenariat, d’engagement, de loyauté et de respect mutuel. Il y a eu de vrais échanges sur les sujets d’actualité, que ça soit au niveau de la situation politique aux Comores, et de notre politique étrangère. Les conclusions ont mis en relief cette idée de toujours continuer à travailler ensemble et ce rôle de l’Union européenne en tant que partenaire principal des Comores.
L’Union européenne concentre son intervention depuis 10 ans dans le secteur des infrastructures. Y-a-t-il un intérêt particulier dans ce secteur ?
Tous les secteurs qui sont priorisés le sont suite à une concertation entre l’Union des Comores et l’Union européenne et sur la base des plans de développement du pays. L’Union européenne n’est pas là pour fixer des priorités. Il y a deux secteurs stratégiques. On a travaillé sur les infrastructures, on a travaillé aussi sur le secteur de l’éducation et de la formation technique et professionnelle. Tout cela est contenu dans le programme indicatif national (Pin) signé par les deux parties. Il s’agit de créer les conditions d’un développement durable et de croissance. Les infrastructures routières et énergétiques. L’Union européenne, par exemple, finance un projet de construction des centrales photovoltaïques à Mwali. Les infrastructures facilitent la mobilité et les échanges économiques, elles renforcent la compétitivité de l’industrie du secteur privé comorien, il y a des retombées immédiates en matière de création d’emplois et de renforcement de la compétitivité des opérateurs économiques comoriens. La formation professionnelle vise à renforcer l’employabilité de la jeunesse comorienne pour pouvoir mieux s’intégrer dans le monde du travail.
Le ministre comorien des Affaires étrangères a demandé solennellement un accompagnement de l’Ue dans les efforts du pays à lutter contre la pauvreté. En quoi cela pourrait se traduire concrètement, côté Union européenne ?
La lutte contre la pauvreté est notre objectif aux Comores. Il peut y avoir de nombreuses stratégies pour y parvenir. La pauvreté, c’est d’ailleurs la raison d’être de l’engagement de l’Union européenne aux Comores. Le message solennel du ministre a été bien reçu, il est partagé par l’Union européenne. Mais j’insiste que toutes nos interventions ont comme objectif final la réduction de la pauvreté.
On est passé d’une approche beaucoup plus humanitaire à une approche ambitieuse dans le sens que pour réduire la pauvreté de manière durable, cela doit passer nécessairement par la création d’emplois et de richesses. C’est la raison pour laquelle nous avons insisté, au cours du dialogue,sur la nécessité de mettre en place de nouveaux outils et des plans d’investissement qui permettront à terme de créer des emplois. C’est pourquoi on a rencontré le secteur privé et la société civile pour mieux connaitre leurs préoccupations.
Sur quoi sont portés vos échanges ?
Nous avons échangé sur les questions de la gouvernance, de la justice et du respect des droits de l’Homme. Et je profite pour faire savoir que nous avons parlé du cas de Mme Sitti l’assistante comptable de la Caisse de retraite en prison sans procès depuis cinq mois, Ndlr). On a discuté avec le secteur privé sur les conditions d’une meilleure compétitivité et de l’amélioration du climat des affaires. Si nous avons focalisé notre intervention dans le secteur des infrastructures et de la formation professionnelle, c’est tout simplement parce que nous estimons qu’il y a des conditions préalables pour soutenir le développement des Comores.Mais pour que nos interventions soient efficaces, il faut des conditions de base. Et ces conditions de base, c’est aussi le renforcement des capacités de la justice, le renforcement de la gouvernance, qui sont des grandes priorités pour l’Union européenne.
Le projet «Gouvernance et Justice» peine justement à démarrer. Comment expliquez-vous cette lenteur?
Cette lenteur s’explique par les élections de 2016 avec un nouveau gouvernement. On comprend, et cela est normal, qu’un nouveau gouvernement puisse s’approprier de nouveaux programmes, les impulser pour s’assurer de leur impact et de leur résultat dans sa nouvelle vision politique. Depuis lors, on a continué à travailler, on a établi une stratégie à plusieurs étapes cette année. D’abord, les infrastructures routières, ensuite la justice et à partir de l’année prochaine nous continuerons à travailler dans le secteur de la formation professionnelle et du renforcement des capacités dans la gestion des finances publiques. On a fait beaucoup de progrès. Il y a déjà une proposition concrète qui sera soumise à l’approbation des autorités compétentes. Mais pour qu’un projet puisse réussir, il est important que les engagements soient clairs en matière de justice.Il faut trouver un bon équilibre notamment dans le renforcement des capacités, des stratégies, des engagements en matière de lutte contre la corruption, la formation des magistrats et des institutions qui doivent gérer ces questions-là.
Vous voulez dire qu’il y a eu des malentendus qui ont retardé l’exécution de ce projet et que ces malentendus viennent d’être levés ou on est toujours resté à la phase des discussions pour un meilleur cadrage de ce projet.
On est resté à la phase des discussions. Il n’y a pas eu de malentendus. Vous savez, c’est un nouveau gouvernement avec une volonté de réunir les différentes interventions des partenaires pour qu’ils soient mieux alignés avec les priorités de son plan de travail. Cela va de notre intérêt car on ne peut pas bien aligner des programmes qui ne sont pas en phase avec la vision globale des autorités sinon, il n’y aura pas une meilleure coordination et une efficacité dans l’exécution de nos programmes.
L’Union européenne a suspendu une partie de l’enveloppe du 11èmeFed (Fonds européen pour le développement). Près de 18 millions d’euros destinés aux travaux de réhabilitation et de mise aux normes des ports de Mutsamudu et de Moroni. Qu’est-ce qui s’est passé ?
L‘Union européenne respecte des règles d’exécution de ses programmes dans la mise en œuvre des Fonds européens de développement. La première chose, c’est le taux d’engagement et d’exécution des différents montants alloués. Malheureusement aux Comores, le taux d’engagement est trop faible (12%, Ndlr). Et pourquoi ? Parce que cela coïncidait avec les élections. Et pour l’Union européenne, si le taux d’exécution est faible, il y a des montants qui doivent contribuer à financer d’autres programmes et dont les Comores peuvent en bénéficier toujours.
Notre coopération est très riche et très dynamique. Elle ne se limite pas sur cette enveloppe bilatérale de 50 millions d’euros.il y a de nouveaux projets en matière de santé, en matière d’éducation. Les Comores viennent d’adhérer depuis l’année dernière à l’Accord de partenariat économique (Apc). On attend la ratification de cet accord par l’Assemblée nationale. Et une fois ratifié, les Comores bénéficieront d’une enveloppe supplémentaire de 6 millions d’euros pour la mise en œuvre de cet accord de partenariat économique.
Les accords de pêche entre les Comores et l’Union européenne ont été suspendus. Envisagez-vous de les renégocier ? Si oui, sous quelles conditions ?
L’accord de pêche a été suspendu, je dirais malheureusement malgré les différentes relances de la part des autorités européennes, l’Union des Comores est considérée par le Conseil, après l’avis favorable du département européen comme un pays qui ne collabore pas en matière de lutte contre la pêche illégale, non réglementée et non déclarée. Ce qu’on appelle le carton rouge, on est respectueux avec les différentes politiques du pays. Mais quand on entre dans cet accord, il y a des engagements qui doivent être respectés. L’accord de pêche, coté Union européenne, c’est aussi une volonté de s’attaquer à ces problèmes des Comores. On comprend qu’il y a des défis importants. Les Comores possèdent une zone économique exclusive. Et qu’il est difficile d’avoir des moyens suffisants pour s’attaquer à cette pêche illégale. Mais malheureusement, les autorités européennes, la Commission qui est compétente en la matière, n’ont pas constaté l’existence d’une vraie volonté. Je voudrais faire cet appel pour continuer dans les efforts de lutter contre la pêche illégale et réitérer la disposition de l’Union européenne à s’engager sur la base d’une volonté réelle pour lutter contre la pêche illégale. L’Union européenne est un acteur principal en matière de sécurité maritime dans l’Océan indien. On peut y travailler.
Comment se fait-il que l’Union européenne n’a jamais envisagé, jusqu’ici, la mise en place des unités de traitement des produits halieutiques sur place pour favoriser la création d’emplois aux Comores ?
C’est possible. Je dirais même, c’est souhaitable. Notre objectif est d’encourager et d’attirer les investissements productifs. Le secteur privé doit prendre l’initiative d’investir aux Comores et profiter des opportunités du pays. Mais il y a des préalables pour tout investissement, il y a le cadre légal et la sécurité juridique. Aujourd’hui, avec l’accord de pêche suspendu et les Comores considérées comme un pays qui ne collabore pas en matière de lutte contre la pêche illégale. Commençons d’abord à travailler ensemble dans la lutte contre la pêche illégale et on sera mieux placé pour engager de vrais investissements.
Comment appréciez-vous la rupture du dialogue entre le pouvoir et l’opposition ?
On est respectueux de la souveraineté des Comores. Mais en même temps, on est partenaire. On ne peut pas rester indifférent sur cette rupture du dialogue, sur les tensions, les divisions entre les principaux leaders politiques, la société civile et la population. On est préoccupé. Notre message est de privilégier le dialogue et le consensus.Surtout quand on parle d’une question aussi importante comme la révision de la Constitution. Sur la base de nos expériences, un tel processus doit se faire avec le plus large consensus, avec la plus grande majorité. Et c’est le message partagé par de nombreux partenaires. Nous travaillons avec les Nations unies, l’Union africaine pour toujours encourager les différentes parties à dialoguer. L’Union européenne a exprimé sa volonté de travailler avec toutes les parties prenantes pour encourager ce dialogue, rapprocher les positions et aller vers ce consensus qui est absolument nécessaire.
Vous voulez dire que si l’opposition boycotte le référendum, l’Union européenne ne va pas reconnaitre les résultats ?
Je ne veux pas anticiper de position.Mais je réitère encore une fois et dire qu’une question aussi fondamentale qu’est la révision constitutionnelle doit être faite à travers le dialogue et sur la base d’un consensus.
Propos recueillis par
A.S.Kemba