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La vision d’Ali Soilihi Mtsashiwa

La vision d’Ali Soilihi Mtsashiwa

Politique | -   Contributeur

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Le plan intérimaire pour le développement économique et social est présenté en 1978 par Tadjidine Ben Saïd Massonde, Mikidache Abdoul’Rahim (à qui nous rendons hommage suite à sa récente disparation), Ahmed Salim, Ali Haribou et Hervé Chagnoux. Il marque notre attention par son esprit novateur et ambitieux. L’actualité tourne autour du bilan de nos institutions, mais délaisse l’essentiel : le devenir de notre société et de notre économie. Toutes les réformes constitutionnelles pensées ou construites ne sauraient apporter paix et stabilité à notre Nation, si elles ne sont accompagnées d’une stratégie de développement détaillée, fondée sur des valeurs qui nous unissent.


“Muwo wa mwendza ndzaya wo mzulufu”.

C’est partant de ce constat que le plan quinquennal de février 1978 fixe comme objectifs principaux l’autosuffisance alimentaire et le développement économique.

La stratégie

Elle ne répond à aucune doctrine économique en particulier et varie même selon les domaines. Le premier est celui des productions (politique agraire et politique des investissements). L’Etat s’y engage directement. Le second domaine est celui du commerce, des industries et des services. L’Etat laisse l’initiative privée gérer cet aspect de l’économie.

En marge de ces deux secteurs, une troisième catégorie est présentée. Elle donne lieu à la création de dix sociétés d’économie mixte : la Banque Nationale des Comores, la Socomita, Comorimport, Dacom, une société de distribution pour les matériaux de construction, Air Comores, Société maritime des Comores, Imprimerie nationale, Sicco et Comortours.

Afin d’atteindre ces objectifs, une méthodologie est présentée dans le plan. Elle se décline en plusieurs étapes comprenant la réalisation d’un inventaire des données disponibles (milieu physique, données socio-économiques) et d’études (recensement, enquête de consommation des ménages, comptabilité nationale, statistiques de production...). Le plan précise les besoins, profils et compétences nécessaires au pays.

En matière de financement, en sus des diverses aides publiques ou privées, contrôlées et gérées avec rigueur, le plan prévoit de nouvelles possibilités (zone franche, port franc, pavillon de complaisance, paradis fiscal, etc.).

Mais le pays n’accepte pas l’aide internationale à tout prix. Celle-ci est subordonnée au respect de quatre conditions : le respect de la politique de non-alignement, de la souveraineté nationale, la possibilité de contrôler l’aide et enfin le déploiement d’experts jeunes, motivés et adhérant à la cause. La République fonde également ses espoirs sur le développement d’un tourisme de luxe, écartant d’emblée le tourisme de masse, nuisible pour l’écologie et la société. Un code des investissements est envisagé dès 1978.

La moudiria, circonscription composée de 3000 à 6000 habitants, unité de base de tout le développement, devient la pierre angulaire du système. Celle-ci détient plusieurs fonctions : centre administratif (état civil, cadastre, justice, statistiques), centre d’encadrement et de formation pour la production, point de vente (production locale, médicaments) et centre social (poste, dispensaire, distraction culturelle).

La programmation

Le plan priorise les productions vivrières (maïs, ambrevade et patate devaient se substituer au riz, afin de réduire les importations et le déficit de la balance commerciale). Un projet pour la pêche artisanale et semi-industrielle, un autre pour l’élevage de volailles et de lapins est élaboré. Toutes les infrastructures inhérentes (aménagements, formations, matériels, etc.) ainsi que les résultats attendus sont chiffrés avec précision.

Les produits de rente étant le fondement des exportations, on organise la modernisation des installations pour accroître la productivité des vanilliers, girofliers, cocotiers, coprahs, et ylanguiers. Les cultures nouvelles pour l’exportation sont préparées (poivre, gingembre, cannelle…) ainsi que l’agro-industrie. Une production de sucre est prévue à Mayotte.

Le plan aborde le développement des infrastructures. Des cartes présentant les axes existants ainsi que ceux à créer sont incluses. Chaque projet routier à bitumer, à étudier ou à réfectionner est quantifié, programmé et fléché sur un financement déterminé. Il en est de même pour les aéroports et les télécommunications. On évoque déjà, les câbles sous marin, les satellites, la standardisation des infrastructures liées à l’eau et l’assainissement. Quant à l’énergie, la construction de centrales hydro-électriques à Anjouan et Mohéli, géothermique à Ngazidja et thermoélectriques à Mayotte sont prévues à courte échéance.

Visionnaire, on prévoit de développer les énergies nouvelles (géothermie, solaire, éolienne et biochimique avec la transformation des déchets en gaz et compost).
Conscient de la situation sanitaire, on réfléchit à une politique de la santé.

Est organisée la réfection des hôpitaux et la création de centres de médecine de base par bavu. L’Etat réalise les investissements nécessaires, mais laisse à chaque établissement, une autonomie de gestion. Il n’a jamais été question de mettre en place un état providence, au sein duquel, l’administration devait assumer à l’occidentale, la sécurité sociale. L’Etat voulait garantir à son peuple, les moyens de sa propre subsistance.

La dernière thématique est l’enseignement. “Après le pain, l’éducation est le premier besoin du peuple”. Or le système hérité de la colonisation était “inadapté et aliénant”, “élitiste et injuste” et insupportable sur le plan économique.

Une réforme totale de l’enseignement scolaire, tournée vers l’acquisition des fondamentaux puis la professionnalisation dès le secondaire est organisée. Le but est d’empêcher la fuite des cerveaux. Des formations prioritaires sont ciblées (enseignement, santé, génie rural, bâtiment TP, mécanique, électricité et gestion). La formation des adultes, l’alphabétisation, et la politique pour une égalité du genre dans l’accès à l’emploi et l’éducation démontrent le progressisme du Mongozi.

Parce que l’éducation concerne toute la population, des émissions radiophoniques, des projections de films éducatifs et des fascicules sont édités. Tous ces procédés visent à instruire le peuple et lui inculquer des valeurs.


Les principes et valeurs

Le programme évoque l’écologie. Les techniques culturales ainsi que celles de construction sont pensées de manière à ce qu’elles ne portent pas préjudice à l’écosystème. On projette de produire des matériaux permettant la construction d’habitats en dur à faible coût.

Ainsi, les principes de ce programme répondent à quatre exigences :
l’administration au coût minimum, la gestion optimum, la décentralisation et la réduction du coût de fonctionnement de l’armée. Les bases de la fiscalité locale sont posées afin de permettre des recettes propres garantissant le financement du budget de l’état.

La dernière partie du plan, consacrée aux sociétés d’économie mixte sus-évoquées, précise leurs fonctions, les résultats escomptés ainsi que leurs perspectives. Toutes ces données définissent les valeurs véhiculées par le régime : travail, patrie et autonomie.

La place accordée à la jeunesse et à la femme n’a jamais été aussi importante. La valeur travail est inculquée dès le plus jeune âge. Bien que les dérives du système aient assombri le tableau, rappelons qu’ils sont imputables à l’impréparation et l’impulsivité de la jeunesse. Les drames (Majunga et Singani), les embûches (déficit économique, insularité, les problèmes sanitaires et sociaux), n’ont pas entamé la volonté du régime.

Les sacrifices nécessaires pour relever les défis du développement indépendants étaient pourtant nombreux. Ils sont encore nécessaires aujourd’hui, 40 ans après la rédaction de ce plan.

Il ne s’agit pas d’instaurer un “réformisme idéaliste d’une élite éclairée qui édicte à la masse de nouvelles règles de vie sans que celles-ci se concrétisent jamais”. Aujourd’hui plus que jamais, nous nous devons de moderniser, actualiser et nous approprier ce programme. Il nécessite une rigueur, des concessions, de la patience et de la témérité. Cependant, un proverbe comorien nous rappelle avec intelligence : “Ye wulimo djuwani ngudjola mvulini”.

Maliza Said Soilihi
Juriste

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