Pourtant, aussi répandu que soit son usage, la juridicité de celui-ci n’en reste pas moins incertaine. Il n’en est fait une mention expresse dans aucun instrument juridique, si bien que la définition que nous en avons donnée relève de notre interprétation personnelle. Mais, il est tout aussi indéniable qu’il traduit d’une croyance notoire maintenant bien ancrée. Alors mythe ou réalité ? Sans doute un peu des deux.
Le cycle de tournante est une mythologie juridique mais qui sert bien à justifier une réalité politique. Seulement comme toute mythologie, elle trouve toute de même des racines tangibles souvent rationnelles (ici elles se trouvent bien dans la constitution) qui lui permettent de toujours paraître probable sans forcément être plausible.
Une existence juridique probable : les racines constitutionnelles du “cycle de tournante”
Il y a essentiellement deux dispositions dans la Constitution à partir desquelles l’on pourrait déduire la consécration implicite d’un “cycle de tournante”. Toutes deux sont contenues dans l’article 13. D’abord, il est prévu que le président de l’Union est élu “pour un mandat de cinq ans, renouvelable dans le respect de la tournante”.
Cela pourrait signifier que respecter la tournante, c’est obligatoirement poursuivre l’alternance des îles dans l’octroi de la présidence. Ce n’est qu’après ce “cycle” que la question du renouvellement du mandat obtenu par un président et reconnu à son île d’appartenance pourra se poser.
C’est en tout cas dans ce sens que la pratique de la Constitution désormais confirmée par la Cour semble plaider. Il est aussi prévu que “dans tous les cas la primaire ne peut s’organiser deux fois successives dans la même île”.
De la même manière ici, la Constitution semble bien poser l’idée que la tournante doit toujours, par tranche de 5 ans, aboutir à la présidence d’une autre île. Il est permis de voir dans cet article 13, l’expression d’une boucle temporelle qui débute par une île et qui doit se poursuivre de manière à ce que chacune puisse avoir un originaire à la magistrature suprême.
Et c’est bien ici que se niche la réalité politique du “cycle de tournante”, c’est que celle-ci ne saurait se concevoir politiquement si elle pouvait s’arrêter au milieu du gué. Le propre de l’idée politique de la tournante, c’est bien le chacun son tour.
Cependant, il faut nuancer ce “cycle de tournante”. À défaut d’être prévu dans la Constitution, il est très difficile d’en délimiter les contours. Quand est-ce qu’il débute ? Quand se termine-t-il ? Est-ce que le “cycle” impose un ordre d’alternance ? Mwali devra-t-elle toujours venir après tout le monde ? Une île peut-elle abandonner son tour ? Autant de questions qui ne trouvent pas de réponse juridique claire hormis la spéculation des uns et des autres. Mais il existe bien deux certitudes.
Une existence juridique à nuancer : le “cycle de tournante” n’est pas un absolu
La première, c’est que contrairement à une idée reçue, l’alternance présidentielle peut se faire entre deux présidents “originaire” d’une même île. En effet, en cas de vacance ou d’empêchement définitif du président de l’Union, une succession se fera mais sans tournante.
Soit par l’intérim du vice-président issu de la même île, soit carrément, si l’empêchement survient dans les deux ans, par une nouvelle élection présidentielle. Une présidence qui reviendrait de nouveau à la même île, une élection primaire de nouveau organisée dans cette même île qui verrait s’opposer des originaires de cette même île.
D’ailleurs, pour peu qu’il y ait empêchement sur empêchement tout le temps, à deux ans d’intervalles, et la présidence pourrait ne jamais tourner. La deuxième certitude est peut-être la plus importante. Que le “cycle de tournante” existe ou non, il n’est pas en soi une limite opposable à la révision constitutionnelle.
D’ailleurs il n’en existe aucune de cet ordre dans notre constitution. Les seules limites sont d’ordre factuel désignant des périodes pendant lesquelles aucune révision ne peut avoir lieu. Donc, si le “cycle de tournante” devait être soulevé contre une révision, elle devrait l’être sur des justifications politiques qui n’en sont pas moins légitimes.
Au fond, nous nous inscrivons dans cette logique. Pour la paix sociale, et eu égard au climat de suspicion voire même de sécession qui plane, il serait inopportun d’engager une réforme suppressive de cette tournante tant que ce fameux “cycle” cours encore. Sauf évidemment consensus politique large et expression du suffrage universel.
Mohamed Rafsandjani
Doctorant contractuel en droit public
Chargé d’enseignement à l’Université
de Toulon