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Le Gouvernement et l’ordre public : le rappel des fondamentaux

Le Gouvernement et l’ordre public : le rappel des fondamentaux

Politique | -   Contributeur

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Il faut avouer que la justification est commode. L’ordre public doit être préservé. Que vaudrait la liberté si l’abus par chacun de la sienne provoque le désordre pour tous ? Pas grand-chose. Il ne s’agit donc pas d’affirmer que tous les droits sont absolus. Les libertés, quelles qu’elles soient, peuvent être limitées. Il s’agit d’une évidence, tellement usitée par certains, qu’elle en devient un poncif. Seulement, les obstacles que l’on peut ériger contre les libertés sont ceux établis selon les prescriptions légales et suivant les procédures déterminées.

 

La protection de l’ordre et la sécurité publique n’en fait pas exception. Elle permet à l’administration d’user de ses pouvoirs de police contre l’exercice normal d’une liberté, mais tout en observant le respect de trois conditions élémentaires : les mesures de restrictions doivent être conformes aux textes ; elles doivent être mises en œuvre de manière proportionnelle à l’objectif poursuivi et exécuté en dernier recours après s’être assuré qu’il n’existe pas d’autres mesures moins attentatoires aux libertés.

D’abord, il est acquis que toutes les libertés qui sont ignorées aux Comores sont pourtant garanties au niveau le plus élevé de notre ordre juridique. Il ne saurait d’ailleurs en être autrement puisque nous disposons aux Comores de l’un des catalogues de droits le plus fourni dans le monde. Le peuple constituant s’en est assuré. En proclamant son attachement aux principes et droits fondamentaux prévus dans la plupart des conventions internationales de droits de l’homme, le peuple a octroyé à ses textes une valeur constitutionnelle. De la sorte, malgré la pauvreté de la déclaration de droits listée dans la constitution, l’on peut toujours se référer ou à la Charte africaine des droits ou à la Déclaration universelle des droits de l’homme. Ainsi pour prétendre encadrer l’exercice de telles libertés constitutionnellement garanties, il faudrait avoir à le concilier avec un autre principe à valeur constitutionnelle. Il s’agit bien de conciliation, et non d’ignorance intégrale d’une liberté au profit d’un autre.

Si le gouvernement veut assurer l’ordre public, il doit garder à l’esprit qu’il ne peut qu’encadrer les libertés et non les mettre sous silence.

Il y a une nuance qui semble parfois échapper au dictat de notre administration, peu soucieuse de la proportionnalité de ses décisions.

Ensuite, l’exécution des mesures envisagées pour protéger l’ordre public doit contenir le degré minimal nécessaire de contrainte pour y arriver. Les éléments factuels sont à cet égard importants. L’on ne peut pas adopter des mesures d’encadrement de liberté de manière abstraite. Il faut le faire au cas par cas.

Protéger l’ordre public la journée n’est sûrement pas pareil lorsqu’il s’agira de le faire de nuit. Cela ne l’est pas, s’il faut la préserver à l’intérieur d’un bâtiment ou sur la voie publique. Tout comme, l’on n’assure pas la sécurité publique autour d’un évènement culturel comme on le ferait pour un rassemblement politique.

Notre administration doit cesser d’user de ses décrets et arrêtés comme on adopte une loi. Les libertés sont le principe, il faut donc s’attarder aux situations particulières de chaque espèce pour y ordonner la limitation appropriée à la menace plausible.

Enfin, le gouvernement doit assimiler que dans un État de droit, la limitation des libertés dans l’espace public ne doit intervenir qu’à titre exceptionnel. C’est-à-dire qu’il faut procéder de manière progressive. L’encadrement doit être gradué en recherchant toujours la solution qui permettrait de protéger les libertés sans s’opposer de manière définitive à celles-ci. Ne peut-on pas faire de la sensibilisation, diminuer le trajet de la manifestation, dépêcher des forces de l’ordre pour protection, avancer les horaires de réunion, etc. toute chose qui permet de prévenir tout trouble sans pour autant neutraliser purement et simplement l’effectivité de certains droits ou libertés.

Autrement dit, avant de défendre les personnes de s’exprimer, de fermer les organes de presses, d’interdire les congrès politiques, la pratique d’une confession, il faut s’assurer que rien d’autre de moins intrusive n’est raisonnablement pas envisageable.

Quant au fait, il est vrai, que la constitution fait mention d’un ordre moral qui peut servir à contraindre les libertés, cela ne change pas fondamentalement la logique. D’abord, la moralité publique est une composante de l’ordre public, et non pas du tout un terme générique pour désigner la religion d’État, elle se défend sous réserve des mêmes conditions : légalité, proportionnalité et nécessité. Étant entendu qu’il faut s’en servir avec beaucoup de précautions, car la police administrative du gouvernement, des préfets ou des maires ne saurait réglementer les consciences. C’est lorsqu’il prétend le faire, comme aujourd’hui, que l’administration et le gouvernement cessent d’être républicain pour céder aux sirènes de l’arbitraire. Surtout à l’heure où le juge constitutionnel n’est plus en mesure de lui rappeler les fondamentaux.

Mohamed Rafsandjani

Doctorant contractuel en droit public
Chargé d’enseignement à l’Université de Toulon

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