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Le ministère public, plume serve et parole… serve

Le ministère public, plume serve et parole… serve

Politique | -   Contributeur

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D’interview en conférence de presse, les procureurs ont occupé ces derniers jours l’espace médiatique. Bien souvent, les mots employés sont maladroits, les postures adoptées sont peu éthiques et les affirmations juridiques déclarées, quelques fois en contradiction certaine avec des principes élémentaires et généraux du droit. Or, le ministère public n’a pas pour dessein de ne demeurer que le bras de la contrainte pénale du pouvoir exécutif. En tout cas, n’a-t-il pas à s’en résumer. Au contraire, la République, bonne mère et généreuse, lui fait honneur de charges nobles. Devant s’assurer de la juste application de la loi par mission et de la protection de l’intérêt général de la collectivité par vocation, tout se passe pourtant comme si le parquet avait eu en charge la communication du gouvernement et la défense des positions de celui-ci. Une sorte de servitude volontaire, et de la plume et de la parole.

 

Le ministère public, faut-il le rappeler, est avant tout un service public. Et s’il tient l’accusation et l’opportunité des poursuites, le procureur ne doit user de ses prérogatives pour attaquer que pour autant qu’il s’agisse de défendre la société.

Non pas la société politique, coutumière ou autre, mais celle fondée sur la Loi fondamentale qui la constitue et les lois ordinaires qui la régissent. Avec une idée simple, celui qui contrevient à la règle en commettant une infraction a nui à la société entière.

Il doit être poursuivi et placé devant une justice équitable en situation de se défendre. Puis, si culpabilité il devait y avoir, requérir une peine, non pas pour venger, mais pour corriger. Aucune autre motivation ne doit animer le ministère public. Le procureur doit toujours se souvenir qu’il n’est pas une autorité de jugement, mais un magistrat, partie à un procès.

Il ne lui appartient ni de juger, encore moins de préjuger. Sa seule référence, c’est la loi. Dès lors qu’il existe des raisons objectives de penser que quiconque a pu la violer, puissant ou faible, il doit mener dans l’intérêt du peuple comorien au nom duquel toute justice est rendue, l’action publique.

Il est évident qu’il ne s’agit pas d’une fonction aisée à assumer. Le parquet d’exportation française que nous avons installé aux Comores y reproduit les mêmes travers. Le procureur ne peut offrir toutes les garanties d’indépendance et d’impartialité qui sied à une telle autorité. Il peut recevoir des instructions de celui qui fait presque office de supérieur hiérarchique : le ministre de la Justice, membre du gouvernement.

Il est le relais de la politique pénale décidée par le pouvoir exécutif. Que ce dernier veuille une répression plus forte pour telles infractions et plus de tolérance pour telles autres que le procureur s’exécutera. Pareille situation est déjà problématique pour des pays avec une justice forte, elle devient insoutenable dans des pays minés comme le nôtre par une justice embryonnaire.

L’affaire des clous le démontre comme celle des prières de l’Aïd avant elle. Le ministère public se retrouve au premier rang pour s’assurer que sera puni à tout prix “l’attentat” comme jadis, il a requis des peines privatives de liberté pour un acte de foi. Aujourd’hui comme hier, le point commun étant que la discrétion de positions politiques semble avoir eu raison de l’appréciation du parquet.

Les hommes y sont pour quelque chose, mais les institutions ne leur rendent pas service. Aussi, l’on ne peut qu’encourager une réforme des textes afin de libérer le ministère public de la tutelle du garde des Sceaux donc du gouvernement, d’interdire les instructions sur les affaires individuelles et d’étendre l’inamovibilité des magistrats du siège à ceux tout aussi exposés du parquet.

Au carrefour de l’institution judiciaire, des instructions gouvernementales et de la vindicte populaire, le ministère public est une des clés de voûte de la République au milieu de vents contraires. S’il vacille, il servira l’arbitraire bien malgré lui.

Désormais de plus en plus enclins à sortir de l’anonymat, nous lui ferons la même remarque qu’à tous les acteurs publics, président, ministre, député ou juge : il y a ce que l’on fait et ce que l’on donne à voir. Retrouvez le visage de la loi, messieurs les procureurs. Accrochez-vous à la déontologie, elle vous protégera autant que faire se peut de la servitude volontaire dans laquelle vous êtes tentés de vous complaire. La Constitution vous en garde. Du moins, ce qu’il en reste…

Mohamed Rafsandjani
Doctorant contractuel en droit public,
Chargé d’enseignement à l’Université de Toulon

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