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Le sixième référendum constitutionnel en 30 ans

Le sixième référendum constitutionnel en 30 ans

Politique | -

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D’Ahmed Abdallah Abdérémane à Azali Assoumani en passant par Saïd Mohamed Djohar, Mohamed Taki Abdoulkarim et Ahmed Abdallah Mohamed Sambi, le pays n’a pas pu se donner des institutions stables. Les Constitutions, souvent rédigées en catimini par des cercles restreints, concentraient elles seules des «incohérences», légitimant ainsi des contestations régulières. Chaque chef d’Etat cherchait avec, à chacun ses manies, à faire passer des révisions constitutionnelles, souvent taillées sur mesure, pour, soit renforcer ses propres pouvoirs, soit, selon le contexte, revisiter la répartition des pouvoirs entre l’exécutif central et les entités décentralisées souvent en faveur du premier. Dans toutes ces révisions, c’est, essentiellement, l’autonomie des îles qui constituait le point d’achoppement au sein de la classe politique comorienne. Ces révisions constitutionnelles en cascade semblent avoir fait le lit de l’instabilité institutionnelle au gré d’un Etat à la remorque, incapable de se donner un modèle institutionnel viable depuis sa naissance le 6 juillet 1975. Retour sur ces référendums qui ont fait et défait l’histoire politico-institutionnelle des Comores indépendantes.

 

Les Comores viennent d’adopter leur neuvième Constitution depuis leur indépendance en 1975. La première loi fondamentale adoptée au Palais de Mrodjou en 1976 par feu le président Ali Soilihi fut profondément réaménagée en octobre 1978 puis, six ans après, en mai 1984. La première consultation populaire, elle, remonte à 1989. La révision constitutionnelle de novembre 1989 visait un «rééquilibrage des pouvoirs». On demandait le rétablissement des pouvoirs des gouverneurs (article 6), et la fonction de premier ministre.      
Le président Ahmed Abdallah Abdérémane, sous la pression, convoque le corps électoral le 5 novembre 1989 pour se prononcer sur un «projet de constitution» qui devait rétablir les pouvoirs consacrés par les réformes constitutionnelles de 1984.

Un mea-culpa historique
 
On y voit dans l’article17 l’instauration d’un poste de premier ministre et le rétablissement des pouvoirs des gouverneurs mis en veilleuse par le président. Ce dernier avait supprimé ce poste deux ans après et mit les gouverneurs des îles, jadis élus, sous tutelle, s’attirant les foudres de la classe politique.
Le président Abdallah fera lui-même un mea-culpa historique qualifiant sa décision de supprimer le poste de premier ministre et de «voler» les pouvoirs des gouverneurs «d’erreur politique» majeur (Alwatwan N°48 du 1er au 15 avril 1988). Les électeurs se prononcent massivement en faveur de la nouvelle constitution le 5 novembre. Mais celle-ci n’a pas pu être mise en vigueur à cause de l’assassinat du président Abdallah, intervenue 20 jours après.Les Comoriens ferment le chapitre Abdallah, organisent les premières élections multipartites de l’histoire en 1990 et élisent Saïd Mohamed Djohar à la tête de la République fédérale islamique des Comores (Rfic).

L’ère Papadjo

Le nouveau président, malgré une volonté affichée à l’époque de rétablir «l’honneur et l’image des Comores» à l’étranger, se trouve pris entre trois feux : la fragilité de son régime renforcée par le coup d’Etat de 1992, les scandales en série et les pressions de la classe politique décidée à ne pas lui faire le moindre cadeau.
Le président Djohar, suite à une «Table ronde nationale», convoque le corps électoral le 7 juin 1992 pour l’adoption d’une nouvelle Constitution. Celle-ci prévoit «l’autonomie des îles» (article 6), restaure le poste de premier ministre, prévoit une dizaine d’institutions dont une assemblée nationale, un sénat et un conseil consultatif regroupant les conseillers des îles. La nouvelle Constitution érige, pour la première fois, le Shikomori «en langue nationale» (article 3). La nouvelle Constitution fut adoptée malgré les «réserves» de l’opposition qui avait appelé au boycott.


Le président Saïd Mohamed Djohar empêtré dans les scandales politico-financiers, pris en tenaille par une opposition étonnamment soudée, ne réussit pas à mettre en vigueur les grandes nouveautés du nouveau texte fondamental. Faute d’équilibre entre pouvoir et opposition, Djohar décide de rester le plus instable des chefs d’Etat comoriens avec des gouvernements dont la durée de vie maximum était de deux mois. Le coup d’Etat du 28 septembre 1995 change la donne et ferme l’ère Papadjo.

«Pseudo-référendum»

En mars 1996, les Comoriens élisent Mohamed Taki Abdoulkarim. Ce dernier, à l’issue d’un «Dialogue politique national» porté par le Rassemblement national pour le développement (Rnd) dirigé par Ali Bazi Selim, décide de tout remettre à plat. Le nouveau président, conforté par son score écrasant à la présidentielle, convoque le corps électoral le 20 octobre 1996 pour faire adopter une nouvelle Constitution qui prévoit un premier ministre réduit à un simple collaborateur.
Le nouveau texte consacre «le caractère islamique» de la République avec l’inscription des noms d’Allah et du Prophète Muhammad (art 2). L’opposition rejette l’initiative demandant «le respect de la Constitution de 1992» et demande au peuple de refuser ce «pseudo-référendum» et aux électeurs de rester chez eux. (Al watwan N°433 du 11 au 17 août 1996). Le président grignote les pouvoirs dévolus au premier ministre par la Constitution de 1992 et entretien «un flou dans la gestion du pouvoir» comme le dénonçait l’opposition (Al watwan N°435 du 25 au 31 octobre 1996).

Accords de Fomboni

Le mouvement sécessionniste déclenché à Ndzuani le 3 août 1997 menace l’unité du pays. Les reformes constitutionnelles deviennent inapplicables à cause du séparatisme. Le président Taki décède mystérieusement le 6 novembre 1998. Viendra encore le coup d’Etat du 30 avril 1999 qui porte Azali Assoumani au pouvoir. Le pays sombre dans la pire crise politique de son histoire. Les accords de Fomboni du 17 février 2001 aboutissent à la rédaction d’une nouvelle Constitution le 23 décembre 2001.
Le nouveau texte consacre la «Tournante» (article 13), accorde «une large autonomie aux îles autonomes» (article 4) avec, pour la première fois, la création des postes de vice-présidents et la mise en place d’un parlement bicaméral puisqu’en plus des députés de la Nation élus dans les dix huit circonscriptions, chaque île se faisait représenter à l’hémicycle par cinq députés issus des assemblées insulaires. Cette constitution de 2001 a connu une longévité relative jusqu’en 2009 quand le président Ahmed Abdallah Sambi décide de convoquer le corps électoral le 17 mai 2009 pour «son toilettage et son adaptation aux nouvelles réalités du pays» (Al watwan N°1319 du vendredi 15 mai 2009).
Si le nouveau texte a mis fin à la confusion de statut en supprimant les appellations de «présidents des îles», «ministre des îles», «députés des îles «, il a surtout, selon certains, permis au président de «vider» l’autonomie des îles consacrée par la constitution de 2001. Les électeurs approuvent la nouvelle Constitution qui instaure un troisième poste de vice-président, reconnait l’islam comme «religion d’Etat» et engage un remue-ménage dans la gestion des finances publiques. Le président Sambi affirme qu’»une nouvelle page vient de s’ouvrir» aux Comores (Al watwan N° Al-watwan N°1323 du jeudi 21 mai 2009).

Même discours, même langage

À chaque référendum, on remet en cause «les contradictions, les imperfections, la lourdeur et le caractère budgétivore» de la loi antérieure. Même discours, même langage. Elu en mai 2016, Azali Assoumani, décide de convoquer le corps électoral le 30 juillet 2018 pour «un projet de nouvelle constitution» se «fondant sur les recommandations issues des Assises nationales de février 2018». L’opposition conteste et demande «le respect des accords de Fomboni de 2001», (Al-watwan N° 3368 du 19 février 2018).
La nouvelle constitution de cent vingt deux articles supprime les postes de vices-presidents, met fin à l’autonomie réelle des îles comme en 1978, reconnait l’islam d’obédience sunnite (article 97) et la mise en place de conseils consultatifs élargis aux communes (article 108) comme en 1992.
Ce qui est certain, c’est que ces révisions constitutionnelles en cascade font le lit de l’instabilité institutionnelle au gré d’un Etat (d’un pays ?) à la remorque, incapable de se donner un modèle de gouvernance politique depuis sa naissance le 6 juillet 1975. Une marche à reculons?

A.S.Kemba (avec les archives d’Al-watwan)


               

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