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Les assises nationales : une constituante décrétée ?

Les assises nationales : une constituante décrétée ?

Politique | -   Contributeur

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Le 15 septembre 2017 a été adopté le décret n° 17-099/PR portant sur l’organisation des assises nationales aux Comores. En réalité, bien plus que l’organisation, ce décret fixait les objectifs assignés aux Assises et au comité de pilotage chargé de conduire les travaux de celles-ci.

 

Trois mois plus tard, ledit décret semble susciter, aujourd’hui, un regain d’intérêt. En effet, où bon nombre n’y avait vu qu’une simple feuille de route, d’aucuns sont convaincus d’y déceler la reconnaissance, au profit des Assises, d’une compétence constituante. Sur la base de ce décret, ces dernières pourraient, à elles seules, et à l’issue de ses travaux, engendrer des modifications de la Constitution plus ou moins substantielle.

Il faut reconnaître que le décret entretient une ambiguïté juridique sur cette question. Dans son article 2, il dispose que “les Assises nationales ont pour objet l’organisation d’un cadre de réflexion pour (…) poser les bases d’une nouvelle gouvernance ». Seulement, dans un ordre juridique, les règles de bonne gouvernance sont celles qui régissent le fonctionnement des institutions. Alors, il s’agirait de poser de nouvelles bases au niveau suprême de la hiérarchie des normes.

C’est-à-dire, au niveau de la Constitution. Ainsi, cela signifierait que les assises devraient ou pourraient réviser, d’elles-mêmes, la Constitution. Voire, pourrait-elle mettre en place une nouvelle constitution. Dans pareille hypothèse, ce décret serait, au mieux, inconstitutionnel, au pire, anticonstitutionnel.

Inconstitutionnelle, d’abord, puisque la procédure normale de révision constitutionnelle est tout autre. Tant dans l’initiative pour commencer, qui n’appartient qu’au Président ou à un tiers des députés. Aucune autre autorité ne saurait proposer une réforme constitutionnelle. Surtout pas, les Assises nationales, qui ne sont ni prévues par la Constitution ni établies par le suffrage universel.

Mais tant aussi que dans l’adoption, qui ne peut être que le fait soit de l’ensemble des parlementaires de la fédération (qui ne constitue pas un Congrès, car celui-ci n’existe pas aux Comores) soit du peuple par la voie du référendum. L’inconstitutionnalité du décret peut donc justifier à ce que son annulation soit demandée devant le juge compétent. Du moins quand ce dernier sera, ou renouvelé en ce qui concerne la Cour constitutionnelle ; ou saisi en ce qui concerne la Cour suprême.

Anticonstitutionnelle, ensuite, puisqu’aucun acte juridique (décret, circulaire, traité, loi...) ne peut programmer la fin de la Constitution. Celle-ci étant au sommet de la hiérarchie des normes, il ne saurait disparaître par le fait d’une norme inférieure. Aussitôt un tel acte serait adopté qu’il serait, d’emblée, nul. Par cela seul, ce décret n’a pas pu confier un pouvoir constituant aux Assises.

Comprenez bien que le Président de l’Union est un organe créé par le constituant originaire. La créature ne saurait dès lors prétendre disposer des pouvoirs de son créateur. La créature ne saurait encore moins les déléguer. Si tel avait été l’intention de ce décret, il est mort-né. Nul besoin d’ailleurs de demander à l’annuler puisqu’encore eût-il fallut qu’il existât. Ici pointe la différence juridique entre les notions d’”inconstitutionnalité” et “anticonstitutionnalité”, pourtant souvent employées comme synonymes aux Comores. Anticonstitutionnel se dit de l’acte ou du fait qui prétend déconstruire la Constitution, là où inconstitutionnel ne qualifie que l’acte qui en est simplement non conforme. 

Au fond, de quelques manières que l’on appréhende ce décret, il ne saurait faire des Assises une Assemblée constituante. La seule lecture compatible avec notre droit serait de voir dans les Assises, un comité de réflexion, en vue, non pas de modifier ou créer, mais uniquement de proposer. Libre alors aux politiques de recourir à la procédure normale de révision pour en tirer les conséquences dans la Constitution. Le pouvoir de révision ne s’usurpe pas, pas plus qu’il ne se transfère. Il provient de la nation et la Constitution en réglemente son usage : la Constitution seule, non un décret…



Mohamed Rafsandjani
Doctorant contractuel en droit public
Chargé d’enseignement à l’Université de Toulon

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