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Libérez l’expression, protégez l’impertinence

Libérez l’expression, protégez l’impertinence

Politique | -   Contributeur

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La liberté d’expression a deux facettes. Elle est la liberté de l’émetteur de s’exprimer librement. Mais, elle est aussi la liberté du récepteur de pouvoir choisir le discours qu’il veut bien recevoir

 

Machiavel a écrasé Montesquieu. La raison du prince a pris le pas sur le droit des sujets. À ce point que l’on s’attache plus vraiment à la liberté d’expression, mais plutôt à ses limites. On parle, volontiers, des risques de dérapages, de l’interdiction de l’injure et de la diffamation.

On se prévaut, narquois, de ce que la liberté d’expression doit s’effacer derrière la dignité des personnes. Frottés de théorie du droit, les borgnes gouvernants rappellent aux aveugles gouvernés qu’aucune liberté n’est absolue de sorte qu’ils ne s’exprimeront qu’autant qu’ils en répondront de l’abus. Sottises ! Que la liberté d’expression ne soit pas un blanc-seing, personne n’en disconvient.

Mais les rares fois que le droit autorise son encadrement, c’est pour bannir l’expression qui pourrait s’avérer nuisible pour la cohésion de la cité et non pas celle qui heurterait les sensibilités des uns et des autres. En cela réside, d’ailleurs, l’essence même de la liberté d’expression : protéger l’impertinent des représailles du susceptible.

Par définition, les opinions admises, les propos conciliants ainsi que les bonnes convenances n’ont guère besoin de protection. Ceux-ci suscitent, de toute façon ou l’adhésion ou l’indifférence. Dans l’un comme dans l’autre cas, il n’y a aucun risque d’opposition.

Donc, aucune urgence ne commande à consacrer la permission de les exprimer. En effet, lorsque le droit consacre une liberté de faire une chose, c’est parce que dans les faits, la probabilité est plus élevée que cette chose soit entravée.

Il n’est pas difficile d’imaginer que tel sera le cas pour les discours qui choquent, pour les opinions minoritaires ou qui sortent de l’ordinaire. Par conséquent, ce serait inverser la logique que de considérer les propos qui peinent ou dérangent, surtout ceux qui informent et commentent comme étant abusifs ou injuriant lors même justement qu’ils s’agissent de ceux qui doivent être protégés. Tant qu’ils ne menacent nullement l’ordre public, la sécurité ou la santé publique. Tant qu’ils n’appellent pas à la haine ou à la commission d’infraction, les opinions exprimées doivent rester libres. C’est une exigence de notre Constitution.

En outre, la liberté d’expression a deux facettes. Elle est la liberté de l’émetteur de s’exprimer librement. Mais, elle est aussi la liberté du récepteur de pouvoir choisir le discours qu’il veut bien recevoir.

De sorte que ce qui pourrait le déranger n’a pas à être interdit, puisqu’il reste libre de ne suivre que celui qui l’intéresse. Mais au-delà, de la tolérance personnelle, cette double facette implique que le droit protège la libre expression d’opinions et de pensées plurielles et contraires.

Cela permet au citoyen de pouvoir se faire son idée et trancher en connaissance de cause et d’effet afin de pouvoir participer à la vie publique. L’intérêt général est toujours mieux servi par des citoyens avisés et informés. La liberté d’expression est une jauge indispensable de la santé démocratique d’un pays.

Elle est la garantie première à sauvegarder, celle qui doit faire l’objet principal de notre vigilance. Si tous les autres droits et libertés vous sont refusés, tant que vous restez libres d’exprimer vos opinions, libre de diffuser une information ou libre de fustiger un comportement, de manifester, d’écrire ou de chanter, vous conservez alors un moyen de dénoncer la violation des autres droits.

Surtout prenons garde, ce n’est jamais le combat des autres. Le droit protège tout le monde sans distinction. Ne faisons pas l’erreur de s’attacher au contenu et à l’émetteur.

Ce n’est pas parce qu’on n’est pas convaincu par l’expression attaquée qu’il faut s’accommoder de sa censure. Aujourd’hui, c’est, certes, celle-là qui offusque ceux qui sont en mesure de se prévaloir de la raison d’État. Mais demain, ce seront vos opinions et votre impertinence qui seront dans le collimateur. Vous serez toujours rassuré de voir que tout le monde en dénonce la limitation.

Mohamed Rafsandjani
Doctorant contractuel en droit
public Chargé d’enseignement
à l’Université de Toulon

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