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L’Assemblée de l’Union, le déserteur

L’Assemblée de l’Union, le déserteur

Politique | -   Contributeur

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C’est l’homme et le soulèvement des machines. Un peu comme un remake peu inspiré de Terminator, la République fait face à ses propres institutions. Pourtant, la leçon de Montesquieu a été appliquée à la lettre. Par une séparation stricte, le pouvoir devait arrêter le pouvoir. Mais la promesse a tourné court. Dès 2009, le pouvoir exécutif a obtenu de nouvelles prérogatives, alors, législatif et judiciaire se sont comme mises au diapason.

 

 Par cette nouvelle disposition des choses, voilà que le pouvoir accompagne le pouvoir. Quand tout va pour le mieux, c’est une tare à laquelle on s’accommode. Mais lorsqu’on fait face à une forfaiture constitutionnelle, l’on se retrouve démuni. Nos propres institutions sabordent la République.

Un grand corps malade

Dans cette bataille pour l’ordre constitutionnel, l’on craignait que la Cour suprême n’ait muté de camp, l’on doit en plus s’inquiéter que l’Assemblée n’ait déserté le front. Le Parlement, c’est le grand corps malade d’un puissant qui s’ignore. L’Assemblée de l’Union est la détentrice du pouvoir législatif. Elle est celle qui vote les lois. Mais contrairement à une idée reçue, ce n’est pas sa mission première. Son rôle fondamental, c’est, avant tout, de représenter la nation.

Légiférer et contrôler ne viennent que par la suite. Seulement, dès l’ouverture de la session ordinaire, le brouhaha s’est emparé de nos élus. Les conseillers cooptés sont rejetés, l’opposition majoritaire s’est rebiffée et le président de l’Assemblée minoritaire a tout bloqué. Aucune séance plénière ne s’est réunie et les représentants de la nation sont placés au chômage technique.

En temps normal, c’eût été déjà problématique. Mais durant une période comme celle-ci, c’est absolument dramatique. La nation ne trouvant nulle part où s’exprimer s’en remet à la rue. La violence politique reprend ses travers où la Constitution a justement pour objectif de la canaliser dans les limites du droit. De plus, ce n’est pas la gestion opaque faite de malversations qui va aider à la tâche. Il faut en appeler aux députés, en tant que citoyens, mais surtout en tant qu’élus de la nation. Qu’ils honorent le suffrage universel. Qu’ils retournent au front pour rétablir l’État de droit.

Face à un pouvoir exécutif qui aspire à modifier la Constitution, les députés doivent se rappeler qu’ils ont aussi l’initiative de la révision. Qu’ils en usent à bon escient. L’Assemblée de l’Union a tous les pouvoirs imaginables. Seulement, pour paraphraser Guy Carcassonne, il manque des députés pour les exercer. L’Assemblée est celle qui vote la loi. Elle est la seule à le faire.

Un puissant qui s’ignore

Le président de l’Union ne saura jamais légiférer, d’ailleurs pas même le peuple. L’Assemblée de l’Union peut limoger un ou plusieurs membres du gouvernement. Sans motivation particulière, elle peut en intimer l’ordre au Président de l’Union. Elle vote le budget. Elle ratifie seule les traités les plus importants.

L’Assemblée de l’Union peut évaluer n’importe quelle politique et auditer n’importe quelle administration. Surtout, elle dispose presque seule de tous les garde-fous contre une dérive autoritaire de nos gouvernants. Elle dispose du pouvoir de la mise en accusation pour haute trahison. Sans doute aurait-elle pu s’en servir lorsque des autorités ont refusé de manière délibérée de nommer les membres de la Cour constitutionnelle. Elle dispose seule de la faculté de s’opposer à des mesures présidentielles exceptionnelles. Il suffit à l’Assemblée siégeant de plein droit d’en décider autrement à une majorité d’au moins 22 députés.


La République inquiète. Lorsque l’homme a créé la machine au moins s’est-il assuré qu’on puisse la débrancher. Les institutions n’ont pas de bouton off, autre que le bon vouloir des hommes qui les animent. Mais que les comoriens se rassurent, la Constitution est une norme noble, elle sait aussi fabriquer des vertueux. Parmi eux, des ministres dans le gouvernement, des magistrats à la Cour suprême et des élus à l’Assemblée. Ceux-là se feront entendre. Puis à défaut, le seul dépositaire de la souveraineté sera l’ultime recours pour l’État de droit. Le peuple sonnera la fin des réjouissances.


Mohamed Rafsandjani
Doctorant contractuel en droit public
Chargé d’enseignement à l’Université de Toulon

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