C’est, désormais, un classique. A l’approche de la session ordinaire de l’assemblée générale de l’Onu, la France bricole un rendez-vous attrape-nigaud décliné sous une appellation à peine différente chaque année mais qui a le don d’être vue, côté comorien, comme un grand-rendez-vous diplomatique.
Parfaitement consciente d’être, à Mayotte, rien d’autre qu’une puissance d’occupation, l’Hexagone use et abuse de ce stratagème pour éviter, d’être confronté à une condamnation, par ailleurs tout à fait justifiée, de la communauté internationale.
Depuis des années, il est un autre classique : la partie comorienne tombe régulièrement dans le panneau. Pourtant, tous autant qu’ils sont, ces “accords”, n’ont jamais abouti à quoi que se soit qui vaille. Certains n’ont duré que le temps d’une réunion à Moroni ou à Paris et pour cause : la session onusienne passée, les Français les rangent dans le premier tiroir venu en attendant de les resservir à l’approche du mois de septembre suivant. Ce fut toujours de la poudre aux yeux, mais pas toujours pour tout le monde.
En effet, pendant que nous, nous-nous délectons de ces toujours “nouveaux” accords et concédons sur nos positions les plus stratégiques, notre vis-à-vis, lui, avance ses pions.
De concessions en concessions
Rappelez-vous. Depuis 1995 aucun gouvernement comorien n’a déposé de demande de vote d’une résolution sur la question à l’assemblée de l’Onu, nous avons cédé sur la participation de l’île occupée à tous les rendez-vous diplomatiques, sportifs et à certaines rencontres sous-régionales, et nous avons fermé les yeux lorsque la France organisait son “référendum” de “départementalisation” de notre territoire.
Mais ce n’est pas tout : nous avons cédé jusqu’au vocabulaire employé pour qualifier la présence française. C’est ainsi que dans les rarissimes déclarations des autorités et leaders politiques, cette présence est passée de l’expression légale “sous occupation” à une gentille “sous administration”.
Pendant ce temps, sur le véritable terrain du jeu, la France est passée de l’occupation crue à la “Rupéïsation” en passant par la “collectivité territoriale” et le “département”. Dans sa foulée, elle a exigé et obtenu des concessions diverses et variées et surtout, notre silence (ou presque) sur la question.
Tomber le masque
Cette année 2017, n’aura pas dérogé à la règle. Les négociations dans le cadre du “Haut” Conseil paritaire et leur “Feuille de route” sont, selon toutes vraisemblances, vouées au même sort que les précédents rendez-vous du genre.
Les dénégations et les “débuts d’entrée en vigueur” de la Feuille de route annoncée, uniquement côté comorien, comme devant conduire à l’abrogation du Visa Balladur, ne trompent, à cet égard, personne. Même pas ceux qui les revendiquent à grands cris.
Du côté français, à peine les rideaux tombés à l’Onu, qu’on a fait tomber, méthodiquement, le masque.
De la sortie brutale de la ministre des colonies, Annick Girardin, en parfaite coordination avec le départ des réactions de la “rue mahoraise”, on est arrivé à une prise en compte imposée par les négociateurs français, d’une délégation de l’île occupée dans les discussions et à la décision annoncée par la même Annick Girardin et actée par le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, de “différer” la mise en œuvre de la feuille de route.
Enfin, un autre coup vient d’être assené à ces “nouvelles” discussions : à la sortie d’une rencontre à Paris l’”élu français” anti-comorien viscéral, Mansour Kamardine, conforté comme jamais dans ses positions, déclare publiquement : “… On va reprendre les choses à zéro et si on les reprend à zéro, donc pour la partie mahoraise, la feuille de route est enterrée, et est caduque”.
Autre temps, autres mœurs
Quelques petites choses doivent, cependant, être dites. Dans notre sous-région, théâtre de ce conflit d’un autre âge entre un petit pays à la recherche de sa Nation et un autre accroché à ce qu’elle croit être ses intérêts de puissance mondiale, les choses ont changé. Ici, comme ailleurs, les intérêts à protéger ne sont plus les mêmes.
La nature des nouveaux rapports de forces et les nouveaux enjeux qui s’y sont greffés obligent –et c’est un minimum– les méthodes à évoluer. La France, talonnée par une cohorte d’autres prétendants au titre de puissance sous-régionale, n’est plus, donc, toute aussi impériale sur le terrain qu’il y a quelques années. Elle ne peut donc plus se permettre de faire les choses comme au “bon vieux temps”. “Autre temps, autres mœurs”, enseigne le célèbre adage.
Comme elles ont changé, également, au sein même de l’Hexagone. A ce niveau, de vieilles formations politiques passées de mode, après s’être longtemps accommodées de cette situation anachronique, ont été renvoyées aux calendes grecques par un petit d’homme fraîchement sorti des bancs de Polytechnique. A ce niveau encore, les acteurs politiques et diplomatiques ayant changé, les idéologies et les méthodes ne peuvent rester celles des Balladur et autres Sarkozy.
Dans cette nouvelle configuration, si la stratégie des concessions à sens unique des autorités comoriennes d’une part et, de l’autre, les convictions séparatistes mahoraises les plus affirmées, peuvent être prises en compte jusqu’à un certain degré, elles ne constituent plus, aux yeux de la puissance d’occupation, les seules données de l’équation.
Face à cette nouvelle réalité, aussi bien du côté des autorités comoriennes dont les multiples concessions ont affaibli la position du pays, que de celui des “élus” séparatistes mahorais – qui seraient bien mieux inspirés d’arrêter de croire à la grenouille qui peut se faire aussi grosse que le bœuf – la situation s’est figée.
D’un côté comme de l’autre, on ne semble plus s’attendre qu’à une seule et unique chose : que le fringant nouveau locataire de l’Elysée, Emanuel Macron, vienne sonner la fin du match en imposant sa marche dans un sens ou dans un autre. Pour notre bonheur ou pour notre malheur.
Vivement l’Etat !
Devant cette perspective tout à fait prévisible et pour ne pas prendre le risque de laisser à cet Attila des temps modernes le soin de passer sur nos intérêts, l’Etat comorien doit se sortir de la posture d’expéditeur des affaires courantes à laquelle l’on réduit les “Comités mixtes”, les “Hauts” “Conseils paritaires” et autres voies de garage, et se hisser à la stature d’Etat qu’il n’aurait jamais dû abandonner.
Il doit s’élever à la hauteur de son vis-à-vis, l’Etat français, sur lequel il a l’avantage de la justice et du droit, en menant le combat du recouvrement de notre intégrité territoriale non pas sous l’ombre des fonctionnaires français des “comités machin”, mais à l’Onu sous l’arbitrage du concert des Nations.
Enfin, dans la mesure où Mayotte constitue sans doute, notre principal échec, il doit faire de cette question, l’élément central des Assises nationales censées faire le bilan de nos réussites et de nos déboires.
Pour la sauvegarde de l’intégrité territoriale de notre pays et pour tout effort de développement, il s’agit là, désormais, d’une urgence nationale. Cela d’autant plus que dans ce combat, comme l’expérience nous l’enseigne, le temps ne joue pas en notre faveur.