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Mouigni Baraka Saïd Soilihi I «Accepter l’invitation à Beit-Salam n’enlève et n’altère en rien nos positions»

Mouigni Baraka Saïd Soilihi I «Accepter l’invitation à Beit-Salam n’enlève et n’altère en rien nos positions»

Politique | -   Abdallah Mzembaba

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Lundi dernier, soit un peu plus d’une semaine après avoir été reçu par le chef de l’État, Mouigni Baraka Saïd Soilihi nous a accordé une interview à son domicile situé à Ntsudjini. L’ancien gouverneur de l’île de Ngazidja qui se définit comme le premier opposant à Azali Assoumani balaie d’un revers de la main les accusations de certains de ses camarades de l’opposition qui l’ont accusé d’avoir entrepris une démarche solitaire en allant rencontrer le président de la République. Décrié, l’intéressé estime qu’il est temps de faire un bilan sous réserve, d’aller de l’avant et de faire évoluer le discours tenu par l’opposition depuis trois ans, et ce, dans l’intérêt de tous les Comoriens.

 

Jusqu’ici, vous avez toujours refusé de rencontrer le chef de l’État, pourquoi avoir accepté maintenant et quels étaient les sujets à l’ordre du jour ?
Depuis plus de six ans, nous sommes dans une divergence politique et trois ans, soit depuis 2019, que nous traversons une situation politique inédite. Depuis les dernières élections présidentielles, la situation politique est tendue, à l’intérieur du pays comme à l’extérieur. Il y a ceux qui sont en prison, ceux qui ont fui le pays et ceux qui nous ont quittés. En outre, la situation économique est de plus en plus tendue avec la vie chère et l’inflation que connaissent le pays et les Comoriens.


Il est par exemple regrettable que les Comoriens aient à se battre et à se blesser pour du riz, et ce, en plus des queues auxquelles nous assistons. C’est inédit et tout patriote doit se pencher sur cette situation, proposer des solutions et voir au-delà de sa personne, car finalement, le pays prime sur nous tous. Les divergences d’opinions sont légitimes, mais cela doit être dans la paix. Dans ce contexte, j’ai reçu un appel téléphonique du directeur de cabinet du colonel Azali Assoumani le mardi 6 septembre dernier. Il m’informait de la volonté de son chef de me voir pour échanger sur la situation que nous traversons. Je leur ai promis une réponse le lendemain, soit le mercredi 7. En attendant de répondre à l’invitation, j’ai eu une réunion de 4h de temps avec mes frères de l’opposition pour discuter sur ce sujet.

Est-ce à dire que le président du «Cnt» que vous êtes reconnait qu’Azali Assoumani est le président de ce pays ?

Accepter l’invitation à Beit-Salam, n’enlève et n’altère en rien nos positions. Nous maintenons notre cap, mais c’est la situation qui nous pousse à renouer le dialogue, encore une fois dans l’intérêt des Comoriens. Car en plus de nos divergences d’opinions causées notamment par le changement de la constitution, son maintien au pouvoir, la dictature, l’emprisonnement et l’exil forcé de certains leaders politiques ou encore les prétendues élections qui l’ont mené au pouvoir est venu s’ajouter ce climat économique difficile.

Le colonel Azali Assoumani ne voulait pas rencontrer ceux qui ne le reconnaissent pas comme président de la République et nous, nous sommes dans ce cas précis, seulement, chacun a dû faire des concessions. Il a fait un pas et nous aussi. Pour autant, nos préalables sont les mêmes : libération des prisonniers politiques et retour de ceux qui sont à l’étranger. Pour ce qui est des sujets débattus, il s’agissait donc de la situation économique et de la politique.Il veut qu’on s’accorde sur certaines bases et qu’on revienne sur des aspects du passé récent de notre pays. Cela aura lieu sous deux conditions.


D’abord apaiser la situation politique avec notamment le retour des opposants qui sont à l’étranger et la libération des prisonniers politiques, mais également la mise en place d’un cadre de concertation incluant toutes les formations politiques du pays, qu’elles soient du pouvoir ou de l’opposition.Il a accepté le principe, mais a dit vouloir consulter toutes les tendances au préalable. Aujourd’hui, c’est un déclic susceptible de nous conduire vers le dialogue à condition qu’il respecte ce que j’ai affirmé plus haut.

Vous avez affirmé avoir consulté vos pairs de l’opposition, pourtant certains cadors de cette même opposition déplorent votre démarche et affirment que vous ne les avez pas avertis. Comprenez-vous leur réaction ? Que leur répondez-vous ? Cette désunion de l’opposition, ne risque-t-elle pas de compliquer votre combat commun ?


Ce n’était pas ma décision. C’était une décision concertée avec le Front commun notamment, car j’ai commissionné Youssouf Mohamed Boina pour aller les sonder. Ensuite, la douzaine de membres qui siègent au sein du «Cnt» se sont concertés mardi 6 et mercredi 7 septembre. On s’est mis d’accord sur le fait qu’il devait y avoir une invitation officielle. Tous ceux qui disent ne pas être au courant, l’ont su à travers la plateforme qu’on utilise traditionnellement, à savoir notre groupe WhatsApp et ils n’ont rien dit. Vendredi 9 septembre, l’invitation officielle est arrivée.


Ils savaient tous ce qui se passait depuis le mardi 6 septembre. La vérité est qu’ils n’ont juste pas eu le courage de soumettre leur position, mais se sont contentés de contrer cette invitation, car c’était ce qu’ils avaient prévu en amont, et ce, dès le début de cette histoire. Je me demande s’ils sont conscients de ce qu’ils font. Il aurait été sage et responsable, surtout pour eux, de se prononcer. Maintenant, est-ce que cela fragilise Mouigni ou l’opposition ? Je pense que c’est l’opposition qui en est fragilisée, même si, je suis dedans.


J’ai quand même pris le temps de les concerter afin d’éviter ce genre de situation, en vain. Quand on est politicien, il faut assumer ses positions. Je tiens à souligner que, moi Mouigni, je suis le premier opposant d’Azali Assoumani. Personne n’a vécu l’expérience que j’ai subi le 6 juillet 2020 à mon domicile, quand Ntsudjini était assiégé et bombardé pendant deux jours, mais je relativise, car je n’ai pas vécu ce que Gbagbo a vécu. Quand on est politicien, on doit être prêt à payer le prix fort. Cela n’empêche pas de regarder au-delà de nos personnes et surtout de défendre ses idées, parce que le pays prime sur nous.

On a vu le RDC revenir juridiquement, à Djaé Ahamada Chanfi et une grande et influente partie de l’opposition vous renier. Peut-on dire que vous êtes désormais seul dans votre lutte, d’autant que certains de vos proches et pas des moindres ont décidé de s’allier au pouvoir ? Votre démarche actuelle, peut-elle aboutir à une future alliance politique avec le chef de l’État ?


Encore une fois, j’ai discuté avec plusieurs membres de l’opposition dont le secrétaire général adjoint du Juwa et d’autres du «Cnt» avant d’agir. Vous pouvez affirmer que telle ou telle personne n’est pas d’accord avec ma démarche, mais les groupements dans lesquels nous nous trouvons ont validé cette invitation. Donc, je ne suis pas seul et surtout, je suis le leader de l’opposition. La majorité de l’opposition a décidé que j’aille à cette rencontre.Sur quatorze membres, seuls six étaient contre. Je ne vais pas leur répondre, encore moins les insulter, juste leur rappeler que nous devons nous unir et avoir un adversaire commun au lieu de nous désolidariser. Pour le RDC, le parti est toujours à moi, il n’y a aucun jugement qui prouve le contraire. Mes partisans ne sont pas les premiers à rejoindre le régime, d’autres partis ont subi la même chose.


Les cadors dont vous parlez avaient leur importance, mais leur départ n’est pas une fatalité. Le RDC n’est pas le seul parti à voir certains de ses membres rejoindre le régime. L’Updc et le Juwa en sont des exemples. Je ne suis pas seul. Et jusqu’à preuve du contraire, je suis le président du «Cnt» et ce ne sont pas des membres qui n’en sont pas qui peuvent décider ou non de qui dirige notre organisation.


Après ma déclaration, je vais rencontrer les différentes organisations de l’opposition pour discuter et voir ce qu’il nous faut faire pour avancer. Je ne suis pas président à vie «du Cnt». Je vais faire le bilan. Parce que je n’ai pas fléchi, «le Cnt» poursuit son combat. Je ne reconnais pas Azali Assoumani comme président et je l’ai dit à Beit-Salam. Toutefois, rien n’est perdu, les Comoriens demeurent notre priorité. Je ne compte pas m’éterniser à la tête «du Cnt», ce que je veux, c’est la présidence de la République. Pour 2024, je ne suis pas candidat, car je ne pense pas que la situation va évoluer dans le sens que nous voulons, nous membres de l’opposition.

Le pays fait aujourd’hui face à une pénurie de denrées alimentaires et à une terrible inflation. Estimez-vous que l’État soit le seul responsable de cette situation ? Qu’est-ce qui devrait être fait en urgence pour mettre un terme à ces problèmes d’approvisionnement ?

Nous dépendons majoritairement de l’étranger et de l’importation et là, c’est le douanier qui parle et non le politicien. Nos capacités d’approvisionnement sont moindres et nous dépendons surtout de la prévoyance (ou non) des autorités. Je ne vous apprends rien, le monde est frappé par la pandémie de la Covid-19. Les personnes qui dirigent le pays n’ont pas anticipé les problèmes découlant de cette situation. Ils ne se sont pas par exemple demandés comment faire pour faciliter l’arrivée des bateaux ? Ils ont cru que les cinq milliards dédiés aux commerçants étaient une finalité. Il n’en est rien, il y a un problème réel d’incompétence. Il y a un laisser-aller tant au niveau du contrôle des prix que de la qualité des produits. Les Comoriens n’ont pas à payer les erreurs de certains dirigeants. Nous, nous souhaitons que le monopole de l’Onicor soit rompu temporairement ou de façon définitive. J’ai dit à Azali Assoumani que ses prédécesseurs ont eu à affronter cette situation et avaient exceptionnellement cassé le monopole pour que les Comoriens n’aient pas à ressentir la crise. … Il y aura une rencontre de tous les Comoriens pour aller de l’avant et surtout trouver des solutions à la crise.

L’une des mesures préconisées est d’encourager la production locale. En 2012, vous aviez conduit une mission à l’Île de La Réunion dans le cadre d’un projet de développement du secteur agricole. Dix ans après, qu’est-ce qui a été fait et qu’est-ce qui n’a pas marché selon vous ?

Le projet a été abandonné. Il devrait être piloté par la chambre des agriculteurs. Depuis le départ de Momo, de nombreux projets ont été mis de côté alors qu’ils auraient dûs être opérationnels aujourd’hui, mais il n’y a pas eu de suivi. Il n’y a pas de volonté de la part de ceux qui ont pris le pouvoir. Je regrette profondément ce qui a été fait après la signature de la convention avec l’île de La Réunion. Il n’y a pas de continuité de l’État.

 Quelles sont vos propositions pour faire face à cette vie chère ? Quelles sont vos propositions de sortie de crise ?

Nous sommes toujours dans la lutte. Il faut que chacun, comme je l’ai dit au colonel Azali, aime ce pays. Il est plus grand et plus important que chacun de nous. Je lui ai dit que je ne suis pas allé quémander un poste, mais je suis conscient que c’est ce que les gens vont dire tout comme je suis conscient que ses proches ne vont pas apprécier son initiative. Actuellement, nos ainés ténors de la politique ne sont plus de ce monde pour la plupart. Il nous incombe donc de trouver des solutions et cela passe par le dialogue. Je fais partie des grands responsables de ce pays, j’ai compris beaucoup de choses. J’espère que la rencontre était sincère pour l’intérêt du pays et que les recommandations seront suivies. Nous ne voulons pas la guerre. J’espère qu’on n’en arrivera pas là. Lors du Mouvement « Narawaze », Azali m’a appelé et j’ai pesé de tout mon poids pour que le sang ne coule pas. Et je tiens à souligner que je ne suis jamais allé à Beit-Salam en catimini. Si j’y suis allé l’autre jour, c’est parce que j’ai reçu l’aval de l’opposition.



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