Les “Assises nationales” préparées de longue date et proposées par le mouvement du 11 août suscitent beaucoup d’espoirs. Tellement d’attentes que ses thématiques ne doivent souffrir d’aucune ambigüité. Il faudra dès maintenant s’atteler à les resserrer et à les clarifier pour éviter toute dispersion et se prémunir de toute déception.
Car prétendre en une réunion, examiner notre histoire immédiate, ausculter les quarante deux ans d’indépendance, tirer les leçons et nous projeter vers l’avenir sans en déterminer au préalable une hiérarchie des périls et un inventaire des chances serait un leurre. A ce propos, l’idée d’émergence est fédératrice à condition qu’elle ne soit pas noyée dans un fatras de discours politiciens.
Des défis
Des premiers maux qui plombent notre pays figure l’incompétence notoire de nombreux des agents de l’Etat. Les fonctions de l’Etat ne sont pas, naturellement, attribuées aux plus méritants d’entre nous. Et pourtant l’institution d’un concours pour les postes à pourvoir par un organisme indépendant, étranger de préférence, aurait permis de renforcer les capacités de l’administration et de l’armer à mieux affiner les projets de développement et à mieux échanger et coopérer avec nos partenaires extérieurs qui regrettent, trop souvent, de n’avoir pas d’interlocuteurs valables. Sans un Etat fort et compétent, le pays continuera de tourner en rond.
Le deuxième défi est la réforme constitutionnelle. D’abord corriger les injustices. Si les entités sont représentées à égalité au sein de l’assemblée nationale, il n’en est pas de même de la population. Aussi, les principes qui édictent l’Etat de droit, à savoir la séparation des pouvoirs, ne sont pas aussi clairement garantis dans la pratique. Les textes sont si flous et imprécis qu’ils permettent, par exemple, à l’exécutif de geler tout bonnement le fonctionnement de la Cour constitutionnelle, de retarder indéfiniment la promulgation des lois, etc.
Cette réforme, s’il devait avoir lieu, doit rendre fluide le fonctionnement des institutions, garantir l’indépendance de la justice et la compétence des magistrats et équilibrer les contre-pouvoirs. Elle doit dresser le bilan du nouveau cadre institutionnel, pour mesurer l’efficacité des institutions, leurs actions et interventions et ne garder que les plus utiles. Cette réforme doit fournir au pays les instruments institutionnels et dégager les principes qui renforcent l’unité du pays et non l’inverse.
Le troisième défi reste Mayotte. Aucun pays au monde ne peut croiser les bras quand une situation provoque 10.000 morts en 22 ans, plus de 16.000 d’expulsions par an de ses citoyens de leur propre territoire, et l’abandon des centaines et des centaines de ses enfants dans les rues d’une ville (Mamudzu), condamnés à vivre des poubelles et de la prostitution. Il est peut être grand temps de braver l’adversité pour rechercher des issues définitives.
Le quatrième défi est relatif au cadastre. S’il est vrai que la protection de la propriété privée est élevée au niveau constitutionnel, elle n’est pas du tout assurée par les décisions administratives ou judiciaires rendues. Pendant qu’il est encore temps, l’Etat peut avec courage, patience, mettre fin aux milliers de conflits fonciers restés entiers et qui divisent nos villes et villages, déchirent nos familles et risquent, à long terme, de constituer la principale menace à la paix.
Quelle économie pour quelle société ?
Le débat le plus important serait de se pencher sur le choix de la morphologie de notre économie. S’il est indéniable que nos produits de rente doivent retenir la plus haute attention, l’Etat doit aussi miser sur nos richesses naturelles, nos secteurs de croissance économiques potentiels à savoir l’agriculture, l’économie bleue, le tourisme et la géothermie. C’est la richesse produite par ces secteurs qui nous permettront d’investir dans les infrastructures et d’améliorer les services sociaux, notamment l’éducation, la santé et les loisirs.
Quelle économie nous voulons pour quelle société, telle est la question cruciale à laquelle nous devons répondre impérativement pour définir notre avenir. Les conclusions et les recommandations de la 21ème session du Comité intergouvernemental d’experts (Cie) – Afrique de l’est, qui se tiendra à Moroni du 7 au 9 novembre sur la “Croissance en Afrique de l’Est: catalyseurs et contraintes”, peuvent servir de socles.
Un lieu d’ouverture
Enfin, nous devrons sérieusement penser à rechercher ce que la diaspora a de meilleur pour servir le pays, à savoir l’expertise. Il faut peut-être commencer par lui donner une place de plus en plus importante dans le processus de prise des décisions nationales, lui offrir le droit d’élire ses représentants à l’assemblée nationale, tout en préparant les conditions de leur participation pleine et entière aux élections nationales.
Autre sujet d’avenir, l’exploration pétrolière. Cela fait dix ans qu’on alerte les autorités pour qu’elles misent sur les formations des métiers liés au pétrole, de mobiliser l’expertise en matière juridique pour conduire toute négociation, et de se préparer en conséquence pour utiliser avec efficience les revenus tirés. L’important est de saisir cette chance pour diversifier notre économie pour pouvoir faire face, à tout moment, aux aléas des prix, nous préparer aux effets environnementaux que le pétrole peut engendrer et enfin constituer les fonds souverains pour réserver aux générations futures les moyens de leur épanouissement.
Ces assises doivent donc être un lieu ouvert à tous ceux qui s’estiment capables d’apporter des idées nouvelles pour améliorer les Comores d’aujourd’hui et ébaucher celles de demain, un rassemblement de confrontations d’idées pour une vision porteuse de développement et non, comme beaucoup le redoutent, une arène pour une redistribution des pouvoirs.