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Opinion I UKRAINE

Opinion I UKRAINE

Politique | -   Hassane Moindjié

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En ce début de XXIème siècle, nul ne devrait être contraint de considérer que pour être en condition de pouvoir défendre ses idéaux et protéger ce qu’on croit être ses intérêts fondamentaux, on soit réduit à exposer des populations à l’horreur et à précipiter le monde dans l’incertitude. La question qui se pose avec l’actuel clash ukrainien est celle de savoir si les pays et les peuples sont capables ou non de se définir de nouveaux intérêts, de nouveaux objectifs qui leur permettent de mieux définir un avenir commun et la façon d’y accéder au lieu de se laisser piéger dans l’option aveugle des seuls «intérêts inaliénables» et de la confrontation permanente ad vitam aeternam.

 

Depuis près de deux mois, des vies de parfaits innocents sont fauchées par la mort en Ukraine. Des millions d’Ukrainiens, selon des médias occidentaux, voient leurs maisons, leurs hôpitaux, leurs écoles et leurs routes bombardés, et sont jetés dans la rue. Par le passé, les guerres ont, toutes, été des horreurs absolues, il n’y a aucune raison de penser que celles d’aujourd’hui ne le soient pas autant ou plus. Rien ne doit, donc, pouvoir excuser ce qui arrive aux populations ukrainiennes.


En ce début de vingt-et-unième siècle, en effet, nul ne devrait être contraint de considérer que pour être en mesure de protéger ses frontières et d’être en condition de pouvoir «tenir ses adversaires à distance respectable», on n’ait d’autres alternatives que de prendre des risques démesurés. De même, on ne devrait pas pouvoir considérer que pour être en condition de pouvoir défendre ses idéaux et ce qu’on estime être ses intérêts fondamentaux, on soit acculé à exposer des populations à l’horreur et à précipiter des pays et le monde dans l’incertitude absolue.

Vous avez dit «géométrie variable»?

Une chose est sûre. Les responsables occidentaux qui, de Charles Michel à Ursula Von der Leyen, d’Emmanuel Macron à Joe Biden, en quelques jours, sont montés sur leurs grands chevaux et se fendent en sanctions inédites contre la «la force d’occupation» quand l’Ukraine est attaquée, sont les mêmes qui regardent ailleurs quand, pendant des dizaines d’années, ce sont des territoires palestiniens qui sont occupés et bombardés, leur population ostracisée et contrainte à l’exile.Ce sont les mêmes qui, de Charles Michel à Ursula Von Der Layen, regardent ailleurs quand c’est la France, une des leurs, qui viole, depuis plus quarante ans, le droit et les usages internationaux, en occupant près de quart du territoire d’un pays membre de l’Onu, Mayotte, et se permettent le luxe insolent d’accueillir ce territoire occupé dans leur espace européen «champion à nul autre comparable du respect du droit».


Ce sont les mêmes qui regardent ailleurs, s’ils ne valident pas, par Onu interposée, le bombardement de territoires d’autrui et l’assassinat de leurs dirigeants comme ce fut le cas en Lybie et en Irak.Ce sont ces mêmes dirigeants occidentaux qui, de Ronald Reagan à Donald Trump en passant par Barak Obama, considèrent tout à fait de son droit que l’Etat juif puisse disposer, «pour sa défense dans un Proche et Moyen Orient incertain», de l’arme nucléaire mais que, pour la sienne dans le même «Proche et Moyen Orient incertain», l’Iran ne l’est pas, et imposent que dans ses efforts pour maîtriser le même atome, l’Etat perse soit obligé de passer sous le contrôle d’agences, pour la circonstance, estampillées «internationales».


Ce sont ces mêmes autorités et leaders politiques occidentaux qui peuvent se permettre de considérer qu’une Turquie musulmane serait trop inappropriée sur un espace européen judéo-chrétien, et au même moment, se targuer d’être, les «champions à nuls autres comparables de la laïcité, de la tolérance entre les peuples, les croyances, les cultures, les valeurs et les couleurs».Ce sont ces mêmes dirigeants occidentaux qui, de Donald Trump à Joe Biden, tout en se disant les chantres de la défense du respect de l’expression des peuples, ont regardé ailleurs pour ne pas se fâcher avec des puissances de la région, lorsque en Birmanie, les militaires ont balayé un régime démocratiquement élu, au bout de longs mois d’atroces crimes contre les populations qu’ils sont censés défendre.

Rien de nouveau sous le ciel

Mais toutes ces attitudes, ces prises de position s’entendent parfaitement et s’imbriquent aisément. Il n’y a rien, là, d’incompréhensible, de contradictoire, ni même, tout simplement, de nouveau sous le ciel. Depuis la nuit des temps, en effet, le monde ne connait ni d’amis, ni d’amitié. Il n’est guidé et géré que par les seuls intérêts. Cette vérité vécue quotidiennement on n’a pas attendu le Français, Charles De Gaule, l’énoncer froidement pour le savoir, et la nature des crispations actuelles autour du clash ukrainien viennent en faire une démonstration magistrale.


En estimant être dans l’obligation de mener son «opération» en Ukraine, Vladimir Poutine défend ce qu’il considère comme étant les intérêts géostratégiques, stratégiques, économiques, de «puissance qui compte» et, peut-être même, territoriaux et culturels de sa patrie, la Russie, lesquels intérêts seraient, de son point de vue, menacés par les visées expansionnistes de l’entité militaire et sous tutelle américaine qu’est l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (Otan).En face, en montant au quart de tour, sur leurs grands chevaux, l’Union européenne, les Usa, défendent ce qu’ils considèrent comme étant leurs idéaux, leurs intérêts géostratégiques, stratégiques et économiques menacés, de leur point de vue, par les «ambitions de grande puissance» d’une Russie qui serait partie à la reconquête de positions perdues à la sortie de la Guerre froide.


Par ailleurs, la démarche prudente dont des pays africains adoptent ces derniers temps à l’Onu dans la manière de prendre en compte leurs intérêts, indique, à l’évidence, qu’un changement dans le comportement des dirigeants de cette partie du monde est en train de s’opérer.Enfin, en adoptant des positions «prudentes», attentistes au point de paraitre «ambiguës», les autres forces en présence, spécialement celles du Brics – du Brésil à l’Afrique du sud en passant par l’Inde et la Chine – se gardent de mettre leurs intérêts en péril et - pour certaines d’entre elles - se frottent les mains en voyant dans cette crise une occasion en or d’avancer leurs propres pions sur l’échiquier en ébullition qu’est devenue la planète.

 

Une planète sur laquelle le rouleau-compresseur de la «nécessité» de protéger ses «intérêts inaliénables» est en train d’écraser les idéaux d’unité, de solidarité, de mieux vivre ensemble et de progrès incarnés, au moment de leur institution, par les organisations régionales, sous régionales et même mondiales qui ne sont désormais plus que l’ombre d’elles-mêmes.Dans ces circonstances, nul ne peut croire, sérieusement, que l’«opération» russe actuelle ne serait juste que la «réaction d’orgueil d’un homme seul enfermé dans sa bulle», comme se sont laissés convaincre certains médias et responsables politiques.

Sortir du piège

Il faut se rendre à l’évidence : dans l’art de protéger ses intérêts, il n’y a que les «raisons» ou devrait-on dire le «prétexte» qui change, le fond, ou devrait-on dire, la «logique implacable», reste la même.Au total, la seule et angoissante question qui vaille est celle de savoir si, vraiment, pour défendre leurs intérêts, les pays et les peuples sont, encore en ce XXIè siècle, condamnés à se regarder en chien de faïence et à se «rentrer dedans» quels que soient les maux que cela peut causer.
Si vraiment, pour ces «intérêts inaliénables» ils sont disposés à mettre en péril nos multiples engagements à se mobiliser comme un seul Homme pour faire face aux défis autrement plus cruciaux, anciens et nouveaux, qui se dressent fatalement sur leurs chemins.


Si, enfin, les huit milliards de femmes et d’hommes qui peuplent la Terre sont … «fichus» ou non de se définir de nouveaux intérêts, de se fixer de nouveaux objectifs et, par-dessus tout, une nouvelle façon de les atteindre. Des objectifs qui les rapprochent au lieu de les diviser. Qui leur permettent de mieux définir l’avenir et la façon d’y accéder au lieu de se laisser piéger dans l’option aveugle des seuls «intérêts inaliénables» et, donc, du muscle et de la confrontation permanente ad vitam aeternam.

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