Pour certaines des puissances étrangères actives aux Comores et pour nombre d’hommes politiques, les suites des Assises nationales sont l’occasion de trouver des solutions à leurs propres problèmes, de neutraliser un adversaire politique, ou encore, une perche à se saisir pour tenter d’accéder au pouvoir ou d’y prolonger leur passage.
Tout le monde a en mémoire la controverse intense qui avait émaillé ce rendez-vous. Du reproche de fonctionnement en vase clos d’experts et de personnalités du M11 “à la solde du pouvoir” ou encore qui seraient “déconnectés des réalités urgentes” du pays que sont la question de l’intégrité territoriale, la recrudescence des tensions politiques, l’investissement par des puissances étrangères de nos affaires intérieures, la menace sur la stabilité avec le risque de rupture de la confiance entre la Nation et la réalité insulaire, tout y est passé. A tort ou à raison.
La tension qui, à la sortie des assises, semble bien présente, tend à indiquer que, sur ces matières capitales, le bilan des 42 ans d’indépendance n’a pas rassuré tout le monde.
Un p’tit tour et puis s’en vont ?
Dans ces circonstances – et comme peuvent faire craindre certaines déclarations et confusions sur les missions des uns et des autres – les personnalités du Mouvement du 11 août à l’initiative de ce rassemblement, et les experts ne peuvent prétendre pouvoir s’arrêter en chemin ni, encore moins, se laver des suites qui découleront de leur travaux. Le bon sens, la norme, l’histoire, le devoir et l’action héroïque des responsables et des athlètes comoriens aux jeux des îles à La Réunion en août 2015, ne leur pardonneraient jamais s’ils devaient borner leur responsabilité à un niveau uniquement technique qui exclurait tout engagement de la Société civile sur le terrain et, donc, laisserait libre cours aux hommes politiques et aux calculs politiciens.
Cela, d’autant plus qu’avant même les premiers pas de ce rassemblement et au vu de la confusion qui s’était installée sur les missions et les visées des uns et des autres, beaucoup au sein de l’opinion avaient attiré l’attention sur la tournure éminemment politique et politicienne que pouvaient prendre les évènements aux dépens de l’engagement citoyen en faveur du développement.
Personne n’ose, donc, imaginer ce scénario où les experts et le M 11 qui, après avoir accouché de recommandations, abandonneraient à son sort un pays en pleine ébullition et qui risque gros pour sa stabilité, et s’en iraient, tranquillement, avec le fier sentiment du “devoir accompli”, sans mettre durablement leur crédibilité en jeu.
En effet, les combats du recouvrement de l’intégrité territoriale, du renforcement de l’Etat de droit, pour l’unité et la cohésion nationales par la restauration de la confiance indispensable entre le peuple, l’Etat et l’île, doivent se poursuivre sur le terrain par, notamment, ceux-là mêmes qui ont eu l’insigne honneur d’en (re)définir les contours. Il s’agit là, de combats trop précieux pour être laissés aux seules mains d’hommes politiques trop souvent sous pression, fragilisés par leur besoin incommensurable de pouvoir et par leur propension aux compromissions.
Eyaliusa naliwariye
C’est pourquoi, les experts et le M11 doivent, les yeux dans les yeux, devant nos compatriotes, nos îles, notre histoire et le monde, expliquer la nécessité qu’il y’avait à changer une énième fois de constitution au risque de renouer avec notre image désastreuse de pays instable, et convaincre les îles qu’elles doivent exister moins parce qu’elles coûtent trop cher à la Nation.
Ils doivent marteler aux hommes politiques que concernant Mayotte, “toute négociation dans un cadre bilatéral ou tripartite doit reposer sur un préalable incontournable et un principe fondamental qu’est la reconnaissance par la France de la vocation de Mayotte comorienne”. Que parmi les “domaines porteurs d’enjeux essentiels en matière de développement” figure l’”introduction du “shikomori” dans le système éducatif”.
Ils doivent venir défendre qu’en matière de gouvernance, il faut se doter d’un “manuel de procédures permettant le contrôle et la traçabilité de l’exécution budgétaire” et remettre en selle la lutte contre la corruption. Ils doivent venir soutenir que la structure du Ca de la Banque centrale nous empêche de financer nos projets “tant que ceux-ci n’apportent aucun intérêt à la France” et qu’il fallait, donc, “revoir le statut” de cette institution et mener une politique de “diversification de placement de nos réserves en devises” si nous voulons vraiment pouvoir “mieux répondre aux besoins du développement socio-économique”. Que la question foncière “doit être considérée comme une priorité politique” par le pouvoir public.
Ils doivent, enfin, venir avouer à la population que tout ce qu’ils leur proposent “ne saurait être tenu pour exhaustif et complet, car les difficultés rencontrées au cours de sa réalisation et certaines contraintes d’ordre divers empêchaient de prétendre à une telle fin”.
Non, cette fois-ci, les experts et le M11, ne doivent pas pouvoir s’excuser après coup, sous prétexte que ce ne sont pas eux, mais les hommes politiques, l’Oif et d’autres organismes francophones hors de notre contrôle “qui ont décidé en dernier ressort”. Comme le recommande l’adage, “Eyaliusa, naliwariye”.
A moins que…
La tentation des experts et du M11 de limiter leur rôle, et donc la place de la Société civile, à un niveau uniquement de conceptualisation serait interprétée comme un désengagement du devoir d’agir. Cela reviendrait à dérouler le tapis rouge devant ceux qui seraient tentés de se saisir de la noble intention de Ali Bazi Selim inspirée par l’action héroïque de centaines de responsables et athlètes comoriens aux jeux des îles à La Réunion, pour parvenir à leurs seules propres fins politiciennes, de combat pour le pouvoir et de déstabilisation de l’unité du pays.
Si cela devait être le cas, alors les assises entreront dans l’histoire comme un simple leurre lancé au M11 et aux experts. Une diversion destinée à attirer dans une direction l’attention de cette bonne partie de la fine fleur du pays qui, ainsi, “amuserait la galerie”, pendant que les enjeux cruciaux, eux, se joueraient ailleurs, et pas nécessairement à notre avantage. Une façon de “faire du bruit à l’Est pour pouvoir, tranquillement, attaquer à l’Ouest”, pour paraphraser le slogan militaire connu.
Si cela devait arriver, alors les personnalités du Mouvement du 11 août et les experts en endosseraient une responsabilité que l’histoire n’oublierait jamais.