D’abord, mandat et tournante sont deux mécaniques qui reposent sur un équilibre fragile. Surtout que, contrairement à ce qui se revendique, la tournante ne se réforme pas. Soit, elle se supprime, soit elle se maintient. À partir du moment, où une modification de la constitution implique qu’à l’issue du tour d’une île, celui-ci ne passe pas immédiatement et intégralement à une autre, c’est que la présidence ne tourne pas.
Autrement dit, ou bien, c’est chacun son tour, ou bien c’est le tour de tout le monde. Il ne peut y avoir d’entre-deux, sauf à déformer complètement la logique de la présidence tournante qui dans ce cas gagnerait plutôt à être supprimée. Le mandat renouvelable du président sortant illustre typiquement cet entre-deux.
Il s’agit d’une suppression de fait de la tournante. De deux choses l’une : ou bien, le mandat renouvelable du président suppose que ne seront candidats que des comoriens issus de la même île que le président sortant, et cela signifie qu’en plus du mandat, c’est surtout le tour qui est renouvelable.
Dans ce cas, la présidence de l’Union n’aura pas tourné. Ou bien le mandat renouvelable du président suppose qu’il sera le seul comorien issu de son île à se présenter dans le tour d’une autre île. Sauf que si jamais il gagne, en plus du mandat c’est encore le tour de la même île qui se sera renouvelé.
Donc, encore une fois, il n’y aura pas eu de tournante. Comble de l’absurdité, imaginons l’hypothèse où le président sortant se présente dans une tournante d’une autre île et qu’il l’emporte. Faudrait-il en déduire que l’île en question à épuiser son tour sans qu’il y ait eu de président originaire de celle-ci ?
Au-delà de la tournante, les recommandations des experts vont poser des difficultés quant à leur application dans le temps. S’il est vrai que la règle nouvelle n’a pas d’effet rétroactif, il est tout aussi vrai que la règle nouvelle est d’application immédiate. Il est important de faire la différence entre les deux.
Une règle nouvelle produit ses effets nouveaux sur les situations qui ont encore cours quand bien même elles ont débuté avant la règle. Ce n’est pas une rétroactivité, c’est une application immédiate.
Ce qui soulèvera des questions juridiques complexes : est-ce que le mandat à renouveler une fois est celui commencé en 2016 et qui suit son cours ? Ou bien est-ce le mandat de celui qui sera élu en 2021 sous la nouvelle formule ? Si le mandat est porté à sept ans, augmentera-t-il celui de cinq ans en cours ? La suppression des vice-présidents, des conseils des îles, des commissaires aura-t-elle lieu immédiatement après la réforme ? Et l’augmentation du nombre des députés ? Faudrait-il faire, à l’instant, une élection législative supplémentaire pour rajouter les nouveaux membres ? Quelle sera la durée de leur mandat ? Faudrait-il plutôt dissoudre ? Comment placer tout cela dans un État unitaire autour d’un régime présidentiel ?
Autant de questions qui ne trouvent pas un début de réponse. L’on s’est contenté d’énoncer des propositions sans se soucier de leur cohérence ni de leurs effets. Une révision constitutionnelle se réfléchit et se débat.
Elle ne se fait pas à la hâte au risque de déconsolider ce qui existe déjà. D’ailleurs, était-ce vraiment l’urgence ? Il faut espérer que lorsque ces recommandations deviendront un projet de révision, le suffrage universel ainsi que les élus de la nation sauront contenir cette usine à gaz sinon bon nombre de ces modifications pourraient se transformer en poudrière.
Mohamed Rafsandjani
Doctorant contractuel en droit public
Chargé d’enseignement à l’Université
de Toulon