Vous aviez disparu de l’arène pendant plus d’un an. Pourquoi ce long silence ?
En 2019, j’ai décidé de me porter candidat à l’élection du gouverneur de l’île de Ngazidja dans un contexte assez particulier. En tant que membre du Radhi, ma candidature n’a malheureusement pas été soutenue par la direction du parti, qui s’est alignée sur le pouvoir en place. Après cette déception et la participation de notre parti à une mascarade électorale dont j’ai été la victime, mes amis et moi avons pris la décision de quitter le Radhi. Certains d’entre nous souhaitaient créer notre propre formation politique, tandis que d’autres proposaient de prendre une pause afin de rassembler d’autres militants.
Nous avons donc entamé des discussions avec des partis que nous considérions comme étant proches de nos valeurs, dans le but de former une nouvelle coalition d’envergure. Malheureusement, cette tentative n’a pas abouti. C’est ainsi qu’après le coup d’envoi du processus électoral, l’homme politique que je suis ne pouvait que s’impliquer. Voilà comment je suis sorti de l’ombre.
Vous venez d’annoncer votre candidature à la prochaine élection présidentielle. Pourtant vous n’aviez pas réussi à vous faire élire gouverneur de Ngazidja en 2019, pensez-vous pouvoir vous faire élire président de la République ?
Je rectifie ce que vous dites : en 2019, la victoire qui était légitimement de mon côté a été attribuée à une autre personne. Donc, on ne peut pas dire que j’étais incapable de me faire élire. C’est ça la vérité. Certes cette fois-ci, je brigue la présidence. Mais je rappelle qu’il y a un slogan Malagasy qui dit que tous les jours ne sont pas vendredis. Bien entendu, nous ne prendrons pas les mêmes dispositions qu’il y a 4 ans. Puisque l’élection n’est pas la même et puis, nous devons tirer les leçons de ce qui nous est arrivé la dernière fois.
Quel est votre projet ?
Ma formation et moi-même adhérons à une idéologie progressiste. Si le peuple me fait confiance, je prendrai rapidement des mesures urgentes. Parmi les premières décisions que je prendrai en tant que président, il y aura la libération des prisonniers considérés comme politiques, grâce à des mesures de clémence. Ensuite, je mettrai en place une assemblée constituante qui travaillera pendant quatre mois sur la révision de la constitution actuelle, qui ne répond pas aux attentes des Comoriens. Nous veillerons à ce que ces réformes soient prises en compte lors des prochaines élections législatives, car je n’ai pas l’intention de dissoudre l’assemblée actuelle. La troisième mesure urgente sera de rétablir les conseils d’administration dans les entreprises publiques. Je nommerai des directeurs techniques sans considération politique pour les diriger, en les répartissant équitablement entre les îles. Enfin, je m’engagerai personnellement à ce que les gouverneurs exercent pleinement toutes les compétences dévolues aux îles par la constitution actuelle et par celle qui sera révisée.
Et pour la gouvernance ?
Il y a des projets en cours qui doivent être soutenus jusqu’au bout pour l’intérêt des Comoriens, à l’instar de l’hôpital El-maarouf. La question de l’énergie doit aussi être résolue. Je privilégierai les énergies renouvelables, notamment le solaire en libéralisant la production car actuellement elle est sélective et réservée aux étrangers. Avec les technologies, nous pouvons résoudre les problèmes d’eau en ayant recours au dessalement. Au niveau de la santé, je mettrai l’accent sur la couverture sanitaire universelle, dont le projet en cours traine depuis. Pour y parvenir il va falloir rendre obligatoire les mutuelles communautaires.
Faites-vous cette fois confiance à la Ceni et à la section électorale de la Cour suprême ? Vous avez dénoncé les résultats qu’elles ont publiés en 2019.
Vous savez la confiance est un grand mot, un concept dynamique. On n’accorde jamais une confiance comme ça, de manière absolue. J’espère qu’avec les autres candidats nous allons créer une dynamique qui imposerait un minimum de transparence et d’équité dans le déroulement de ces élections. Dire que j’ai confiance en ces organes, non pas du tout ! Mais la population et les autres prétendants, avec le concours des partenaires qui prêtent une attention à ce concept, devons agir pour que ces scrutins soient les plus crédibles possibles, afin d’éviter tout conflit post-électoral.
L’opposition menace de boycotter ces élections car elle estime que les conditions de transparence, d’équité et de liberté ne sont pas réunies. Vous avez choisi d’y participer. Les adeptes du boycott ont-ils tort ?
J’estime qu’il y a un dilemme que l’opposition globale dont je fais partie doit résoudre. Même si je ne me reconnais ni dans le pouvoir actuel et ni entièrement dans l’opposition telle qu’elle est. Je connais par ici ceux qui sont au pouvoir et de l’autre, les membres qui composent les groupements de l’opposition. Je suis le tout. Peu importe. Il revient à la population d’apprécier si les adeptes du boycott ont tort ou pas, mais pas à moi.
La nouvelle loi électorale exclut les candidatures à la présidentielle des binationaux et instaure un système de parrainages pour les candidats. Qu’est-ce que tout cela vous inspire ?
Dans bon nombre de pays, les binationaux ne peuvent pas briguer la magistrature suprême. Est-ce que la conjoncture nationale, l’histoire, les liens avec la diaspora le recommandaient ? Si ces aspects ont été pris en compte avant la prise de la décision, peut-être à moitié puisque la mesure suscite la contestation. Cela semble en tout cas de bonne augure qu’une personne qui ne détient pas une nationalité étrangère préside le pays. Moi je ne me plains pas de cette disposition. Concernant les parrainages, je trouve qu’il s’agit d’un procédé injecté de façon hâtive, avec une arrière-pensée de sanctionner certaines formations politiques.
C’est beaucoup plus destiné à élaguer qu’autre chose. Je ne suis pas contre un système de parrainage effectif, mais il doit tenir compte de préalables en matière de gestion de la classe politique comorienne. Or cela n’a pas été le cas. On ne peut pas se lever le matin et dire que désormais il faut avoir un tel nombre de signatures pour espérer devenir candidat. La façon dont elle a été mise en place donne une connotation d’exclusion.
Vous venez de créer « Tsasi », un mouvement politique. Celui-ci est-il capable de porter votre candidature à moins de 6 mois des échéances ?
Absolument. Si la formation est nouvellement installée, mais ses sympathisants et militants ne sont pas nés de la dernière pluie. Ce sont ceux qui m’ont accompagné, lors des élections de 2019. La plupart de ces camarades sont restés dans le Tsasi. Nous comptons également bénéficier d’un apport des autres qui n’étaient pas avec nous, il y a quatre ans. Nous allons œuvrer pour rassembler les hommes et des femmes autour de notre candidature, voire des formations politiques dans l’objectif de remporter la présidentielle. Car nous devons écarter toute menace de retour à un temps révolu. Dans la mesure où, à l’heure actuelle, la République, non héréditaire, est aujourd’hui menacée. Toute idée consistant à faire passer le pouvoir de père en fils est contraire à la République. Je ne suis pas d’accord avec cela. Car ils ne mettent pas en avant les compétences, mais juste parce qu’il est le fils de tel.
Une partie de l’opinion ne croit pas en votre posture d’opposant. Elle pense même que votre ancien compagnon, Azali, vous a recruté pour lui servir en quelque sorte de caution…
Même aux Comores, où on se considère musulmans, il y en a bien qui ne croient pas en Dieu. Je voudrais relever deux choses : d’abord il ne faut pas forcément être opposant pour pouvoir concourir contre l’actuel président. On se présente parce qu’on a un programme à offrir pour le développement des Comores et qui est différent de celui des gouvernants. Je peux ne pas être opposant sans pour autant partager la manière dont on gère les affaires. De deux, de par mon expérience, je refuse de me verser dans une conception de l’opposition. Et je ne complote pas avec Belou qui est le numéro 1 de la Crc, dont je fus le premier secrétaire général.
Que reste-t-il de vos liens avec Azali Assoumani ?
Si nous nous voyons au zawyani ou dans une cérémonie, nous nous saluons. On ne se fait pas la guerre. Un homme politique ne doit surtout pas se nourrir de rancune. Parce que l’homme évolue. Ce qui compte, ce sont les intérêts du peuple. Avec le président Azali je garde les bons sentiments de ce que j’ai vécu avec lui quand on était ensemble. Cela ne s’efface pas parce qu’il y a de l’amertume après ce qu’il s’est passé en 2019. Mais je ne suis pas avec lui.