«J’appelle tous les acteurs politiques de notre pays, de la Mouvance présidentielle et de l’opposition ainsi que la société civile, à s’assoir autour de la table dès maintenant, pour préparer dans les meilleures conditions, les prochaines échéances des élections présidentielles et des gouverneurs de 2024 et les législatives de 2025», a notamment déclaré le chef de l’Etat, Azali Assoumani dans son allocution prononcée le jour de l’Aïd El-Kebir. Plus loin dans le même discours, il précisera : «j’apprécie les déclarations des uns et des autres et les propos positifs qui vont dans le sens de l’apaisement et qui permettront au dialogue de se tenir dans la sérénité et dans les meilleures conditions».
Il y a une dizaine de jours, le G10, courant de pensée issu de l’Alliance de la Mouvance Présidentielle qui milite pour l’application des résolutions des Assises nationales de février 2018, appelait par la voix de son président, Mohamed Abdouloihab, à mettre «du contenu dans ce dialogue que nous appelons tous de nos vœux». Vœu exaucé ? En tout cas, le chef de l’Etat vient de prendre les devants en faisant cette annonce et marque son territoire. Il semble aussi, que ce faisant, certains croient savoir que l’annonce en soi risque de barrer la route à de nombreux autres sujets, jugés potentiellement épineux. Pour autant, est-ce réellement le cas ? Le dialogue s’il a lieu, ne tournera-t-il qu’essentiellement autour des thématiques du pouvoir ?
Annonce diversement interprétée
Dans son premier cercle, la compréhension n’est pas la même. Ainsi, pour l’un de ses plus proches collaborateurs, «l’offre du président consiste à compléter le dispositif constitutionnel, revoir la Commission électorale nationale indépendante (dont le mandat du bureau est arrivé à terme en septembre dernier, ndlr), la loi sur les partis politiques (selon elle, seuls la Crc et Orange ont une existence légale, ndlr), le statut de l’opposition, le découpage électoral et les élections elles-mêmes. En revanche, notre interlocuteur croit savoir que «les parties prenantes au dialogue pourront, elles aussi, soumettre leurs propositions».
Le secrétaire général de la Convention pour le renouveau des Comores, (Crc), principale formation au pouvoir, ne partage pas cette assertion, loin s’en faut. Pour Youssoufa Mohamed Ali, Azali Assoumani a déjà dégagé les thématiques qui seront traitées lors de cette table-ronde. «La discussion se fera sur les points précis annoncés par le chef de l’Etat, celui qui est d’accord y participera», a-t-il tranché sur ce ton pince-sans-rire qui (nous) est désormais familier, quand nous l’avons joint au téléphone le 24 juillet dernier. Pour le patron de la Crc, les préalables et autres conditions qui sont susceptibles d’être posés par l’opposition pour sa participation ne sont que «de la poudre de perlimpinpin».
Le porte-parole du gouvernement, Houmed Msaidie, est plus nuancé. «L’appel au dialogue est de notre fait, il est donc normal que nous posions nos thématiques, maintenant les autres acteurs politiques pourront proposer des points que nous prendrons le soin d’examiner», a fait valoir ce ministre de l’Economie, quand nous l’avons contacté samedi, toujours au téléphone.Selon lui, un dialogue qui tournerait de façon quasi-exclusive autour des élections faisant fi d’autres thématiques ne serait pas réducteur puisque celles-ci constituent «la jauge de la démocratie».
Et de faire observer que «le référendum a été contesté, la présidentielle aussi même si l’opposition y a participé. Les élections législatives et communales ont été boycottées, ce qui dénote une forme de crise qu’il convient de résoudre pour des échéances apaisées en 2024 et 2025». Ce secrétaire général du Radhi (parti de l’Amp) a, par ailleurs, appelé à la participation de l’opposition «si tant est qu’elle se soucie de ses membres en prison, je tiens d’ailleurs à lui rappeler qu’Azali Assoumani en a gracié plusieurs de son propre chef».
L’opposition rejette sa participation à moins que…
Justement, l’opposition, pour l’heure, rejette toute participation à une hypothétique table-ronde. Contacté, le secrétaire général du Juwa, Ahmed Hassan El-Barwane a, en effet, affirmé que le Front commun des forces vives «n’a aucunement confiance dans les déclarations du pouvoir et veut des garanties pour prouver sa bonne foi». Raison pour laquelle, selon notre interlocuteur, dans une déclaration publiée le 1er juillet, elle s’est bien gardée de proposer un ordre du jour. Pour ce qui est des preuves de sa bonne foi, l’opposition a déroulé ses exigences pour sa participation éventuelle «afin qu’il y ait un dialogue franc et fructueux dans l’intérêt des Comores».
Ne reconnaissant toujours pas le régime, Le Front commun des forces vives, par la voix de son secrétaire général, estime que le dialogue ne doit pas être sous le monopole du pouvoir au risque d’être à la fois juge et partie. «Seule la Communauté internationale est habilitée à initier et superviser un dialogue crédible», peut-on lire dans le communiqué du Front commun des forces vives.
Les préalables (dont l’Alliance pour la Mouvance présidentielle ne veut pas entendre parler) sont nombreux. Pêle-mêle, l’opposition réclame «la libération des prisonniers politiques, la participation avec garantie de sécurité et de liberté pour les représentants des Collectifs de la Diaspora ainsi que les responsables politiques en exil ou encore la tenue d’une conférence hors territoire national», la liste n’étant pas exhaustive.
Dans le même communiqué, l’ancien premier ministre, Hamada Madi Boléro en a aussi pris pour son grade, l’opposition ayant sans doute eu vent du courrier en préparation l’a formellement récusé alors qu’il donnait l’impression de vouloir se poser en «médiateur» entre les deux parties. Pour rappel, cet ancien président par intérim a lancé un appel «au sursaut national» dans une lettre publiée à la veille de la fête de l’indépendance et dans laquelle il parle d’une crise, «qui devient au fil des jours une crise existentielle plus que politique», et qu’il convient donc de résoudre à travers «un dialogue intercomorien».
Entre les sujets de discussion choisis par le pouvoir, les préalables de l’opposition pour sa participation, le cadre du dialogue lui-même, son parrainage (ou non) par la Communauté internationale, il y a fort à parier que les deux camps continueront longtemps à se regarder en chiens de faïence. A moins d’un sursaut.