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Le premier journal des Comores

Quand Ahmed Thabit raconte les jours où…

Quand Ahmed Thabit raconte les jours où…

Politique | -   Faïza Soulé Youssouf

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L’ambassadeur Ahmed Thabit, revient sur les moments forts de la diplomatie comorienne. Le droit c’est l’arme des faibles. Le jeune Etat comorien l’avait alors compris très tôt. Et mènera une offensive diplomatique au sein de différents blocs, même européens, pour qu’ils apportent leur soutien dans le combat pour recouvrir l’intégrité territoriale. Comme on pouvait s’y attendre, les Comores auront fort à faire avec l’ancienne puissance coloniale, la France. Elle a tenté de nous isoler sur le plan international “pour nous punir”. Notre plus grand succès aura lieu à New York, aux Nations unies, lors du vote de la Résolution 31/4 du 21 octobre 1976. L’arme des faibles, c’est le droit, ne l’oublions pas. L’Onu demeure, aujourd’hui encore, notre seul rempart contre la France. Seulement, si nous acceptons de discuter avec la France, d’égal à égal, de pays souverain à pays souverain. Sans compromission. Sans concussion.

 

Après l’indépendance des Comores, en 1975, c’est avec lui et à d’autres collègues qu’incombera la lourde tâche de mettre sur pieds le ministère des Affaires étrangères. “C’est nous qui avions créé ce ministère”. Il s’agissait alors de feu Abbas Djoussouf, d’Ali Toihir et d’Ahmed Thabit, notre interlocuteur.

Il rappelle qu’à l’époque d’Ali Swalihi Mtsashiwa, dans tous les ministères, il y avait deux ministres, appelés “délégués”. “Abbas Djoussouf et Ali Toihir étaient les deux délégués au ministère des Affaires étrangères et moi j’en étais le secrétaire général”. A ce titre, reprend-il,

 

j’étais présent quand les Comores ont été admises aux Nations unies, le 12 novembre 1975 avec son excellence Mohamed Djaffar. Cette année, nous n’avions présenté aucune résolution des Comores, à part celle qui a été parrainée par l’Organisation de l’Union africaine sur l’admission des Comores aux Nations unies et adoptée presque par tous les pays du monde.



Mais avant de poursuivre, Ahmed Thabit fait un petit saut dans le temps. Il se remémore l’attitude française après la proclamation unilatérale de l’indépendance.

“La France avait retiré tout son personnel et croyez moi, le pays était paralysé. Elle a fait aux Comores, ce qu’elle avait fait en 1958 en Guinée. Du jour au lendemain, le pays s’est retrouvé avec un hôpital presque fermé parce que sans médecins, le lycée Saïd Mohamed Cheikh n’avait pas de professeurs, idem pour la poste, et nous devions impérativement faire quelque chose”.


“La 31/4 du 21 octobre 1976”

C’est ainsi qu’une délégation, dirigée par Mouzaoir Abdallah et Ali Mlamali qui était délégué à l’Education et Ahmed Thabit en tant que secrétaire général des Affaires étrangères, a sillonné toute l’Afrique. “Il nous fallait une assistance technique, il nous fallait des médecins, des professeurs, des techniciens de divers domaines”, s’est-il souvenu.

 

 

Parallèlement à celle partie sillonner l’Afrique, une autre délégation s’est rendue en Europe. “A l’époque, nous pensions qu’aucun pays européen occidental n’était disposé à aider les Comores, parce que nous savions que la France menait une campagne féroce pour que le pays soit isolé et “puni”“. 

Heureusement, ajoutera-t-il, “avec notre diplomatie naissante nous avons pu trouver des médecins italiens, des agronomes belges”. Pour ce qui est du continent africain, les Comores ont pu avoir des professeurs sénégalais, guinéens, etc.

“C’est là que nous avons commencé à faire valoir la diplomatie comorienne naissante, cette première victoire nous a encouragés à aller de l’avant”, se souvient-il, fier encore de la bataille remportée. Un joli pied-de-nez à la France.

La diplomatie se jouera aussi et surtout aux Nations unies. En 1976, les Comores ont présenté une résolution très importante qui devrait être connue par tous les Comoriens, celle portant le numéro  31/4 du 21 octobre de la même année.

 

Cette résolution condamne les référendums du 08 février et du 11 avril 1976 organisée dans l’île comorienne de Mayotte et l’Assemblée générale la considère comme nulle et non avenue. Elle rejette toute autre forme de référendum ou consultation qui pourrait être organisée ultérieurement en territoire comorien de Mayotte ; elle condamne toute législation étrangère tendant à légaliser une quelconque présence coloniale française en territoire comorien ; condamne énergiquement la présence française à Mayotte qui constitue aux yeux des Nations Unies, une violation de l’Unité nationale, de l’intégrité territoriale et la souveraineté de la République indépendante des Comores”.  

 

Elle a été adoptée par plus de 127 voix, 27 abstentions et une voix contre qui était la France. Il s’agit de la principale résolution à partir de laquelle se référeront toutes les autres.

La France, très atteinte par cette résolution qui l’a condamnée, essaiera de faire obstacle à toute autre résolution allant dans ce sens. Aujourd’hui, on peut dire sans risque de nous tromper qu’elle y est parvenue. Pour combien de temps encore?


Le combat continue

Et c’est là que la diplomatie comorienne, loin de se reposer sur ses lauriers, commence une campagne d’envergure pour attirer même des pays européens dans son camp. Nous sommes en 1977. “C’est ainsi que nous sommes allés voir tous les pays européens, ce n’était pas encore l’Union européenne mais le Marché commun”.

Il faut savoir que durant la session des Nations unies, tous les blocs régionaux tenaient des réunions en vue de préparer leurs positions sur toutes les questions qui allaient y être débattues. La délégation comorienne a commencé par voir le président du groupe européen, le Royaume uni, au mois de novembre, toujours en 1977.

 

 

Après avoir expliqué à l’ambassadeur notre combat pour le retour de Mayotte, celui-ci a tenu à nous dire que tous les pays du Marché commun étaient conscients que Mayotte était comorienne mais qu’ils ne pouvaient pas voter en faveur d’une résolution qui condamnait un des leurs. Et par conséquent, il nous a conseillés d’aller voir les pays nordiques qui n’étaient liés par une convention quelconque.


La délégation comorienne est donc partie voir les pays nordiques. Résultat des courses : pendant le vote de la résolution, la Norvège et l’Islande avaient voté en notre faveur. Petit pays deviendra grand.

La France n’allait par tarder à réagir. Effectivement, quand celle-ci a vu que la délégation comorienne a commencé son jeu de séduction envers diverses délégations, certaines européennes de surcroit, elle a demandé à voir les Comoriens par la voix de son ambassadeur aux Nations unies. Le diplomate voulait discuter du projet de résolution que les Comoriens s’apprêtaient à présenter à l’assemblée générale.


“Compromis” mais pas “compromission”

Le chef de la délégation, Mouzaoir Abdallah, a désigné trois personnes. Il s’agissait de Charles Guy, d’Ali Hassanaly et d’Ahmed Thabit. La France de son côté déléguera, également, trois personnes.

L’ancien ambassadeur des Comores en Afrique du sud tiendra à préciser – et cela a tout son importance surtout aujourd’hui : “Nous étions assis d’égal à égal”. Pays souverain contre pays souverain. “Nous leur avons présenté notre projet de résolution”.

Le pays de Charles de Gaulle voulait, vous devez vous en douter, à tout prix éviter une condamnation, l’opprobre. Toute la discussion a tourné autour de ça : Eviter une condamnation, surtout émanant d’un petit pays de l’Océan indien pour la si puissante France.

 

Les Comoriens demanderont abruptement : “si nous faisons ce que vous nous demandez, qu’aurons-nous en échange?”. Avec le culot qui caractérisait le régime de l’époque, les valeureux Comoriens ajouteront même, un tantinet perfides : “nous allons vous demander de voter pour notre résolution”.

  Le Français a manqué de s’étouffer ou presque. “Ce n’est pas possible, ce que vous me demandez, s’est-il étranglé, nous serions, si nous le faisions, rappelés dans la foulée”. Il fallait trouver un consensus, un compromis. Un compromis mais pas une compromission…

Le compromis qui fut trouvé est celui ici : “ne pas condamner la France nommément, mais nous avons décidé de reconfirmer, et c’est là que nous avons sorti la carte de la diplomatie, dans le préambule de la résolution, précisément au niveau des considérants, qui se réfère à la résolution 31/4, celle-là  même qui reconnaissait l’appartenance de Mayotte à l’ensemble comorien, et qui demandait à la France d’entrer en négociation avec nous pour sa réintégration”.

En remémorant cette scène, le diplomate, plus quarante années après, ne peut cacher sa fierté. “Nous n’avons pas condamné nommément la France mais le préambule, si, puisque s’étant référé à la résolution 31/4”, s’est-il exclamé.


Zéro contre et, seulement, 20 abstentions !

Continuant sur cette lancée, la délégation comorienne a demandé à la France de ne pas participer au vote et a poursuivi son offensive diplomatique avec d’autres pays. Les non-alignés, tous les pays africains étaient du côté des Comores, les pays arabes, tous les blocs régionaux ont été, également, sollicités.

L’offensive finira par payer. Le droit est l’arme des faibles. “Au moment du vote, il y aura une vingtaine d’abstentions, et zéro contre”, a expliqué notre interlocuteur. Jubilant encore, il précisera : “c’est la première fois dans les annales des Nations unies pour les résolutions concernant Mayotte que nous n’avons pas eu de voix contre”.

La diplomatie comorienne a été quasi unanimement saluée et  célébrée partout sur le continent africain. “Un succès écrasant”, martela-t-il. En effet.



Extrait de la résolution A/RES/49/18 du 06 décembre 1994

La dernière résolution comorienne aux Nations unies remonte à 1994, sous la présidence de Saïd Mohamed Djohar, cela fait plus de vint-trois ans. Depuis, notre diplomatie tombe de Charybde en Scylla. Le 6 décembre 1994, fut adoptée la dernière résolution concernant l’île comorienne de Mayotte. Entre temps, Mayotte s’est encore plus éloignée. Il y a eu le référendum de départementalisation effectué en mars 2009 sans que les Comores saisissent le Conseil de sécurité. Extrait de la résolution A/RES/49/18 du 06 décembre 1994 :

- “Rappelant en outre que, conformément aux accords signés le 15 juin 1973 entre les Comores et la France, relatifs à l’accession des Comores à l’indépendance, les résultats du référendum du 22 décembre 1974 devaient être considérés sur une base globale et non île par île,
- Convaincue qu’une solution juste et durable de la question de Mayotte réside dans le respect de la souveraineté, de l’unité et de l’intégrité territoriale de l’archipel des Comores,
- Convaincue également qu’une solution rapide du problème est indispensable pour la préservation de la paix et de la sécurité qui prévalent dans la région,
- Ayant à l’esprit la volonté exprimée par le Président de la République française de rechercher activement une solution juste à ce problème,
- Prenant note de la volonté réitérée du Gouvernement comorien d’engager dans les meilleurs délais un dialogue franc et sérieux avec le Gouvernement français en vue d’accélérer le retour de l’île comorienne de Mayotte au sein de la République fédérale islamique des Comores,
- Prenant acte du rapport du Secrétaire général, en date du 28 octobre 1994 1/,
- Ayant également à l’esprit les décisions de l’Organisation de l’unité africaine, du Mouvement des pays non alignés et de l’Organisation de la Conférence islamique sur cette question,
1.    Réaffirme la souveraineté de la République fédérale islamique des Comores sur l’île de Mayotte;
2.    Invite le Gouvernement français à respecter les engagements pris à la veille du référendum d’autodétermination de l’archipel des Comores du 22 décembre 1974 pour le respect de l’unité et de l’intégrité territoriale des Comores.


 

 

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