logo Al-Watwan

Le premier journal des Comores

Mon ami Ansufdine, Mayotte, Balladur et eux... Quand une traversée mortelle devient une arme de combat imparable

Mon ami Ansufdine, Mayotte, Balladur et eux... Quand une traversée mortelle devient une arme de combat imparable

Politique | -   Hassane Moindjié

image article une
Le jour viendra où les hommes et les femmes qui gouvernent les Iles de la Lune devront faire leur cette vérité de mon ami Ansufdine : “Devant l’adversité la seule et unique arme efficace pour s’en sortir c’est celle de la persévérance dans ses convictions, de l’effort et du combat sans relâche. Pas celle des tergiversations et des petits arrangements sans lendemain”. Ce jour-là ils auront compris, comme “Ansufou”, qu’un visa colonialiste mortel peut se transformer en une arme de combat imparable.

 

Ansufdine, c’est ce brave jeune homme que je ne nommerai pas pour des raisons que vous comprendrez aisément et qui m’a dit un jour : “nahika tside wasi, Maore mwatsokamwidala nyangu haaaaaaaaale”. Par “wasi” (= Nous en shikomori) mon ami, désignait ces jeunes qui bravent la mort en allant d’un point à un autre de leur propre pays et qui, pour ce faire, doivent passer à travers les mailles étroites d’une force étrangère qui occupe leur île comorienne de Maore-Mayotte depuis quarante ans.

Quand je l’ai rencontré sur l’une des trois autres îles libres de l’archipel, Ngazidja, Ansufdine revenait, justement, de Mayotte, ce bout de terrain vestige de la désastreuse colonisation française, d’où il venait d’être expulsé – ou, plus correctement, “transférée de force1” – pour la… troisième fois. Mais, avait-il tenu à me “rassurer” : “je vais très bientôt y retourner”. C’est que, évidemment, sa femme, son fils et une nièce s’y trouvaient. Et chiche pour le “Visa Balladur”!

Monsieur Balladur ! Cet honorable premier-ministre français, un jour maudit de 1995, alors qu’il était en quête de quelques suffrages en vue d’une élection présidentielle dans son Hexagone à quelques 8.000 kilomètres de là, n’a trouvé  rien de mieux à faire que cette idée insensée de dresser, à l’intérieur du même pays, un mur qu’il a appelé “visa”.

Evidemment, cela a eu le don de heurter frontalement le droit, de prolonger un fait colonial déjà inédit, de séparer au sein d’un même pays et d’un même peuple, des frères, des sœurs, des cousines et des voisins de toujours. Mais ces considérations insignifiantes et, moins encore, les milliers de personnes qui allaient se noyer en tentant de passer, de plein droit pourtant, envers et contre ce visa, ne pouvaient arrêter la main d’un premier-ministre fort de son arrogance coloniale.


Préparatifs

Toujours est-il que mon ami Ansufdine, depuis son autre île de Ngazidja, est parvenu à faire revenir à la vie un vieux tacot qui, transformé en taxi, allait lui permettre d’amasser assez d’argent pour financer sa nécessaire future proche énième… traversée vers cet autre point de chez lui, Maore-Mayotte.
Ici, en effet, en plus de sa femme, de son gosse vivent, naturellement, plein d’autres proches qui, eux, naturellement, sont là, bien chez eux, avant que naisse un certain Balladur.

A son désormais boulot de taximan la matinée, “Ansufou” cumulait un autre de paisible veilleur de nuit dans les hauteurs de la ville de Moroni, la capitale des Comores, à un lieu nommé Hamramba, histoire d’arrondir les fins de mois.

Mais voilà ! Un autre jour en se levant, il apprend que sa moitié, Mariamou, a été appréhendée “là-bas” par les agents de la force française et qu’elle allait être transférée1 vers Ngazidja. Quand cela fut fait, Ansufdine l’accueillit dans son quartier général de transit de Hamramaba où madame devait lui annoncer la “bonne” nouvelle : avant qu’elle ne soit raflée, elle avait eu le temps de placer les gosses à sa charge sous la protection d’une cousine.


Au nez et à la barbe !

Pour Ansufou ça sera là, un souci et une difficulté en moins dans son projet de retour en perspective.
Dans sa ‘retraversée’, il allait, en effet, être plus leste, ce qui multipliait d’autant plus  ses chances de passer à travers les mailles du filet balladurien.
Bref ! Toujours est-il qu’au moment où j’écris ces lignes, j’apprends que mon ami Ansufou est bien retourné chez lui à Maore-Mayotte avec sa belle Mariamou. Au nez et à la barbe de l’unique puissance coloniale du XXIè siècle, de son “droit” d’occuper à sa guise, de ses millions d’euros de budget de sécurisation des “frontières”.
Quand j’ai entendu cette “bonne” nouvelle, j’ai compris alors le sens profond de cet adage bien de chez-nous : “Haki kayiolo2”.


Cher Asufoudinne

Cher Ansufou, je me rappelle quand, à Moroni-Hamramba, alors que nous dissertions sur la traversée de tous les dangers, tu me lançais : “nahika tside wasi, Maore mwatsokamwidala nyangu haaaaaaaaale”. Quand je repasse dans ma tête, les reculades, les atermoiements des hommes et des femmes qui nous gouvernent, ceux-là même que nous payons grassement pour, juste, sauvegarder nos frontières, je mesure à quel point tu as raison. J’ai pris conscience, plus que jamais, que le pays et ses frontières n’ont plus que Toi, son Peuple, pour les défendre.

En effet, de ces autorités qui multiplient les concessions en faveur de nos adversaires et de celles qui feignent d’être occupées d’un côté pour, de l’autre,  leur laisser libre cours afin qu’ils avancent leurs pions à nos dépens, il n’y a vraiment plus grand-chose à attendre.

Cependant, cher mwenye Ansufdine, à ce niveau de mon récit j’ai une pensée pour un patriote. Pour ce Grand Monsieur qu’est Ahmed Abdallah Abdérémane qui n’aura fait aucune concession sur l’essentiel dans cette question de notre intégrité territoriale, son long règne durant. Douze années durant lesquelles il les a renvoyés dans les cordes par ses résolutions pertinentes à l’assemblée générale des Nations unies. Et une autre pensée pour Ali wa swalihi Mtsashiwa qui est le premier, à leur faire cet “affront”


Bon vent !

Alors, cher Ansufou, bon vent dans cette traversée plus de dix mille fois mortelle mais qui attise l’espoir et maintient en vie toute une Nation qui se cherche! Un jour, sans doute, les hommes et les femmes qui nous gouvernent se résoudront à faire comme toi : se doter de convictions et d’idéaux fermes, se battre pour les accomplir, parfois aux prix de leur vie, pour la liberté de notre pays et pour son honneur perdu de Nation.

Quand ce jour-là viendra, c’est qu’ils auront, enfin, fait leur ta vérité essentielle à savoir qu’il n’y a qu’une seule et unique arme à se doter pour atteindre l’objectif qu’on s’est fixé : celle de la persévérance dans ses convictions et du combat sans relâche et non celle des petits arragements sans lendemain, de la peur et des reculades en série devant l’adversité. Ils auront alors compris, comme toi, qu’un visa colonialiste mortel peut devenir une arme de combat imparable.



1le “transfert forcé” des populations au sein de leur propre territoire est considéré en droit international et par le Traité de Rome (Article 7) comme un crime contre l’humanité.
2 “La justice est éternelle”

Commentaires