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Révision constitutionnelle et circonstances exceptionnelles : mauvais ménage ?

Révision constitutionnelle et circonstances exceptionnelles : mauvais ménage ?

Politique | -   Contributeur

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"Logiquement, l’on ne devrait pas pouvoir faire une révision sans au préalable vaincre le danger, mettre fin à l’usage des mesures exceptionnelles et revenir comme l’exige d’ailleurs le deuxième alinéa dudit article, à la normalité constitutionnelle."

 

D’abord, la suppression de la commission anticorruption, les ingérences répétées dans l’exercice des droits et libertés, le démantèlement de la Cour constitutionnelle et à présent la convocation toute affaire cessante du collège électoral pour procéder à une modification de la Constitution. Rien ne semble pouvoir dérayer le train d’enfer. Pourtant, chaque wagon qui le compose est juridiquement douteux. D’autant plus qu’aux dires répétés du président de l’Union, nous faisons face à une situation exceptionnelle menaçant la République de manière grave et immédiate. L’on peine pourtant à percevoir le danger à ce point impérieux qui puisse justifier jusqu’à l’altération de la légalité constitutionnelle. Mais passons, et accordons le bénéfice du doute au chef de l’État. Si l’on part du constat que nous sommes depuis le 12 avril sous régime de l’article 12-3, cela pose inévitablement la question de la possibilité ou non de procéder à une révision constitutionnelle en pareilles circonstances.

La révision constitutionnelle, une initiative discrétionnaire du Président

Le pouvoir d’initier une réforme constitutionnelle est un pouvoir propre du Président. Il l’exerce par sa seule volonté. Il n’a besoin pour cela ni de consultation ni de contreseing, contrairement à ce qui a pu être avancé à propos de l’article 42 de la Constitution. Il est vrai que ce dernier dispose que l’initiative appartient concurremment au chef de l’État et à au moins un tiers des députés. Mais concurremment, ne signifie pas conjointement. L’article ne fait que rappeler les autorités autorisées à enclencher le processus de révision. Celui-ci peut venir du Président seul ou bien d’au minimum 11 députés, seuls. D’ailleurs cela se confirme par la pratique, nos deux révisions ayant été initiées par le président de l’Union. Outre l’initiative, la méthode de l’approbation de la révision aussi est à la discrétion du chef de l’État. Il est libre de choisir la voie parlementaire du Congrès ou la voie populaire du référendum. Il n’a, à ce propos, et pour ainsi dire, nul besoin de motiver son choix. Ainsi, le président de l’Union en annonçant une révision et en convoquant un référendum pour juillet est évidemment dans son bon droit. Seulement, il ne l’est que sous la réserve d’observer la procédure et les limites éventuelles posées par le texte.

La question de la compatibilité entre révision et situation exceptionnelle

Par rapport au pouvoir de révision, une constitution peut prévoir deux types de limites. Des limites de fond et des limites circonstancielles ou de forme. Les premières indiquent des principes, des règles ou des dispositifs qui ne peuvent faire l’objet de modification. Les secondes limites font référence à des périodes ou des circonstances qui au cours du laps de temps durant lequel elles se produisent interdisent de procéder à une révision constitutionnelle. Dans notre constitution, il n’existe pas de limite de fond mentionnée de manière expresse. A priori, l’on peut réviser tout ce qu’on souhaite. Cependant, il existe bien des limites circonstancielles. En effet, la Constitution proscrit toute révision si l’on se trouve dans une période pendant laquelle il est porté atteinte à l’unité du territoire et à l’intangibilité des frontières internationalement reconnues de l’Union ainsi qu’à l’autonomie des îles. On remarque que l’idée sous-jacente c’est d’affirmer que lorsqu’il y a un danger imminent qui pèse sur la nation, l’on ne puisse pas entamer des réformes constitutionnelles. Or, justement, lorsqu’on fait usage de l’article 12-3 c’est que l’on est convaincu qu’une menace grave et immédiate porte sur les intérêts de la République et que l’on a fait le constat du dysfonctionnement de nos institutions. Logiquement, l’on ne devrait pas pouvoir faire une révision sans au préalable vaincre le danger, mettre fin à l’usage des mesures exceptionnelles et revenir comme l’exige d’ailleurs le deuxième alinéa dudit article, à la normalité constitutionnelle.

Il faut cependant reconnaître que le cas de figure portant sur une menace contre les institutions de l’Union n’est pas mentionné par l’article 42. Mais, il n’empêche que cela ressort de la logique même de l’article 42.

En période exceptionnelle, le président devrait s’atteler, dans les moindres délais à prendre les mesures nécessaires pour les faire cesser. Ensuite, seulement une fois toutes les institutions rétablies dans leur mission, y compris la Cour constitutionnelle, pourra-t-il exercer son droit d’initiative pour une révision constitutionnelle.

Cette analyse ne valant bien sûr que si l’on concède au président que l’on est en situation exceptionnelle. Mais si comme nous l’avons démontré, nous considérons son usage de l’article 12-3 comme étant inconstitutionnel, alors tout ceci ne se pose même pas. Toute décision et initiative prise sur ce fondement est aussi inconstitutionnelle. Tous étant entachés du péché originel du 12 avril 2018. Ce ne serait pas une initiative de révision régulière, mais une mécanique au départ anticonstitutionnelle qui ne ferait que se poursuivre.

Mohamed Rafsandjani
Doctorant contractuel en droit public
Chargé d’enseignement à l’Université
de Toulon

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