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Saïd A. Dahalani, président du Mouroua : «Il nous faut retrouver une dynamique consensuelle de reconstruction du système institutionnel actuel»

Saïd A. Dahalani, président du Mouroua : «Il nous faut retrouver une dynamique consensuelle de reconstruction du système institutionnel actuel»

Politique | -

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Le président du parti Mouroua, Said Abasse Dahalani, fait son entrée politique, après le long silence qui a suivi l’élection présidentielle. Dans l’interview qui suit, il aborde les sujets d’actualités, sur les partis, les Assises nationales, la tournante, l’émergence, des travaux du «consensus historique». Une interview sans faux-fuyants.

 


Depuis  la célébration du 11ème anniversaire de votre parti, il y a 8 mois, le Mouroua s’est cloitré dans le silence. Pour des raisons tactiques ? Ou est-ce l’expression d’un désarroi politique ?


Ni l’une, ni l’autre. Chacun peut comprendre, qu’après une défaite électorale qui a semé le doute dans une partie de nos rangs et de notre électorat, le parti ait eu besoin, de faire le bilan d’une période aussi riche d’enseignements, de nous concerter avec nos partenaires dans ces élections, avant de redéployer notre action dans le pays.

Notre silence était également l’expression de notre prise de position claire, dès les premières heures du nouveau régime, pour lui accorder une période de grâce, contrairement aux coutumes politiques locales qui privilégient les affrontements réflexes et partisans, au nom d’une certaine conception de l’opposition.

En effet, nous continuons de penser que l’heure est grave. Le pays vit, depuis plus de quinze ans, dans une sorte de chaos. Les victoires électorales des uns ont, sans doute, donné des parcelles de pouvoirs à ceux qui les détiennent, mais n’ont nullement triomphé ni de l’extrême fragilité croissante de nos institutions étatiques et insulaires, ni de la souffrance sociale de nombreuses couches de la société, en particulier, les milliers de jeunes en détresse, sans espoir de retrouver, un jour, un emploi, ni leur juste place dans la société.

Notre État devient quasi-inopérant face à la grave crise de confiance de nos citoyens en notre pays et en ses dirigeants. Une grande partie de la population trouve refuge dans les distractions sociétales qui les sur-endettent, plutôt que de prendre des engagements publics pour construire leur choix d’avenir.

 


Est-ce une situation liée au gouvernement actuel, ou à des maladies chroniques du système ?


C’est la conséquence de longues crises structurelles non résolues jusqu’à ce jour et qui appellent des réponses claires, audacieuses nécessitant un puissant élan collectif débarrassé de tout égoïsme politique. Vous le savez, des années durant, nos gouvernants se sont installés dans une mendicité chronique, pudiquement appelée «coopération avec nos pays frères et amis», pour parer au plus pressé et justifier leur présence au pouvoir.

De telles mœurs de gouvernance les privent d’une vision claire, tant de l’évolution de l’économie mondiale et de ses tendances lourdes de réduction drastique des aides budgétaires, que d’une bonne conception de nos vrais leviers de croissance et des réformes à engager pour lever les obstacles sociaux qui freinent le progrès du pays.

Cette improvisation, au jour le jour, face aux exigences brûlantes de la nation, incline nos dirigeants au clientélisme villageois, pour les affaires intérieures, et à la dilapidation de notre capital de souveraineté au plus offrant, en guise de politique extérieure.

Il en résulte une désarticulation totale de notre capacité à insérer correctement notre pays dans une géopolitique régionale explosive, qui mêle des enjeux religieux, économiques, de sécurité liée au terrorisme, aux perspectives de ressources pétrolifères et gazières dans notre pays.

Une telle myopie nous fait confondre la proie et l’ombre, au risque de faire passer les amis pour des ennemis ; ou l’inverse. Pendant ce temps, nos populations en déshérence, à l’image de certains dirigeants de la classe politique et de la société civile, vendent leur âme au diable, en contrepartie de quelques privilèges apparents et de promesses sans lendemain, pulvérisant ainsi le socle des valeurs civiques indispensables à une nouvelle renaissance de notre République.

Cet ensemble de constats nous a conduits à proposer en août 2013, le «Consensus historique» des forces vives de la Nation  pour «rebâtir l’État et sauver la Nation» et qui a permis de tenir la conférence nationale du 12 avril 2014.

Quant à la situation actuelle, je constate des améliorations salutaires dans le domaine de l’énergie et la volonté déclarée du président Azali d’opérer de profonds changements dans le pays. Il lui faudra, toutefois, un puissant levier de compétences et d’adhésion forte, pour ne pas que cette vigoureuse ambition ne devienne qu’une intention aussi noble qu’inopérante, ou ne se transforme, par boomerang, en un cuisant échec politique! Ce serait un grand dommage pour le pays.

Les anciennes habitudes sont tenaces ! Les entreprises publiques s’enfoncent dans la mauvaise gestion, pendant que certains responsables de l’État poussent le secteur privé vers son effondrement par pans entiers. Les affaires récentes d’Inter-île et AB aviation sont là pour le rappeler.

 


À propos du «mouvement du Consensus historique», y-a-t-il une différence d’approches avec celui du 11 août 2015 ?


En avril 2014, le Consensus historique a regroupé une trentaine de partis politiques, des organisations de la société civile, les gouvernorats des 3 îles autonomes, de nombreuses personnalités politiques de l’ancienne génération dont M. Bazi Sélim, Abdallah Halifa, Mouzaoir Abdallah, et de la nouvelle génération, dont le chef de l’État de l’époque, M. Ikililou Dhoinine, et l’actuel président Azali qui avait pris une part très active dans cette conférence ainsi que son parti, la Crc, dirigée par son Sg de l’époque, Houmed Msaidié.

Le consensus était recherché autour de 3 axes principaux : quel nouveau modèle institutionnel capable de porter un État de droit efficace, impartial et le vivre-ensemble de nos îles, quel nouveau modèle économique pour organiser la prospérité durable de nos populations, et enfin, comment inventer une nouvelle unité viable et durable des 4 îles de l’Archipel, qui règle progressivement et résolument notre contentieux territorial et qui instaure, à la place, un véritable partenariat de confiance avec la France.
Pour ce qui nous concerne, il faut mettre définitivement le cap vers l’avenir et non retourner vers le passé !

 


Vous voulez dire que vous ne trouvez pas utile de faire le bilan des 42 années d’indépendance ?


Le passé doit principalement nous éclairer sur le rôle joué par les hommes et les évènements pour comprendre ce que nous sommes devenus. Lorsqu’on conduit une voiture, on a 5 vitesses pour aller vers l’avant,  une vitesse pour la marche-arrière, et des rétroviseurs pour jeter un coup d’œil vers les côtés, en cas de besoin.

Il me paraît donc plus salutaire de projeter hardiment mon pays vers les 42 prochaines années que de revisiter les 42 dernières !! Le mouvement accéléré des changements dans le monde et des bouleversements technologiques qui s’opèrent chaque jour ont modifié le cours des choses.

Le présent a cessé, depuis belle lurette, d’être le produit plus ou moins linéaire du passé. L’avenir est devenu l’expression de l’engagement des hommes pour construire, par saut de rupture, leur futur, et non  le prolongement passif de leur présent et de leur passé…

 


Quelle sera la contribution du Mouroua dans les prochaines assises ?


Nous développerons  les 3 axes énumérés depuis 2014 et proposerons d’ajouter deux axes complémentaires qui porteront sur la paix et la sécurité, et l’autre, sur la tradition et la modernité.

Ces deux axes d’accompagnement devront aider à clarifier nos choix d’une démocratie humaniste qui défend notre bien le plus précieux qu’est la paix, y compris contre le radicalisme qui puise son militantisme dans une religion obscurantiste qui n’a jamais été celle pratiquée dans notre pays.

L’axe sur la tradition et la modernité se propose de poser un regard lucide sur nos traditions, pour encourager les réformes et les innovations sociales qui permettront aux Comores de prendre le train de la modernité sans perdre ni son âme, ni son identité. Le statu quo serait la pire des solutions.

Il nous faut, absolument, retrouver une nouvelle dynamique consensuelle de reconstruction du système institutionnel actuel

 


Sans langue de bois, quelle est votre position sur la Tournante ?


En 2014, dans le cadre du Consensus historique, nous avions présenté 2 solutions. La première consistait à la supprimer la Tournante en lui adjoignant un certain nombre d’institutions pour garantir l’égalité et la complémentarité des îles pour que chacune participe entièrement aux affaires de l’État sans le sentiment d’être dominée par une autre.

La deuxième, celle que nous avons retenue, consiste à maintenir la Tournante et de l’améliorer considérablement, à la lumière de l’expérience acquise ces 15 dernières années. Il nous faut développer équitablement et fortement l’économie de notre pays, de promouvoir la décentralisation des îles pour qu’elle bénéficie à son destinataire final qu’est le citoyen, dans sa commune.

Notre décentralisation n’est pas seulement celle qui protège les autorités insulaires contre l’arbitraire de l’Union, elle sera celle qui permet à l’individu, dans son village, d’être autonome et de s’arbitrer dans sa quête du bonheur. Dans cette idée, depuis la création du Mouroua, nous avons défendu le principe « d’éclater l’économie dans les îles, pour ne pas éclater les îles ».
Le développement puissant de notre économie constitue la clé principale pour renforcer l’unité de notre Archipel et, en bonus,  mettre la politique à sa place !

 


Vous soutenez donc la politique de faire des Comores un pays émergent à l’horizon 2030 ?


Mon âge avancé ne m’autorise plus à vivre avec des slogans ! L’approche sera pertinente si ce slogan s’inspire du mot de Goethe, selon lequel « il faut rêver l’impossible pour réaliser le possible ! ».

Pour signifier au pays, que nous devons abandonner définitivement l’ancien monde de l’égoïsme et de la futilité, pour consacrer, désormais, toutes nos forces, au service du développement d’une économie prospère et d’une civilisation ouverte et de progrès.  


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