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Sortie médiatique d’Iklilou Dhoinine I L’opposition et le pouvoir réagissent aux propos de l’ancien président

Sortie médiatique d’Iklilou Dhoinine I L’opposition et le pouvoir réagissent aux propos de l’ancien président

Politique | -   Abdallah Mzembaba

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La prise de parole d’Ikililou Dhoinine à Mohéli, rare et très commentée, relance le débat sur la tournante présidentielle. Quatre figures politiques, Me Fahmi Saïd Ibrahim El Maceli, Mouigni Baraka Saïd Soilihi, Mohamed Jaffar Abbas et Dr Mohamed Rafsandjani, livrent leurs lectures, parfois convergentes, parfois opposées, d’une intervention qui divise l’opposition.

 

La sortie médiatique, dimanche 7 décembre dernier, d’Ikililou Dhoinine, ancien président de la République, continue de faire réagir. Dans une réunion tenue à Fomboni, l’ancien chef de l’État, accompagné de plusieurs personnalités et organisations de l’île, a exprimé son inquiétude quant à l’affaiblissement de l’autonomie des îles, dénoncé les pénuries de carburant qui frappent Mohéli et rappelé entre autres la nécessité d’apporter des réponses concrètes au quotidien des mohéliens. Dans ce rassemblement, les organisateurs ont appelé à respecter la Constitution issue des Accords de Fomboni de 2001. Surtout, ils ont soutenu la revendication d’une « tournante pour Mohéli en 2026 », un positionnement qui a immédiatement suscité des réactions contrastées au sein de la classe politique. Présent à ce rassemblement, l’ancien locataire de Beit-Salam, soutient cette volonté commune de voir le tour échoir à l’île de Djumbe Fatima l’année prochaine.

Défendre l’unité nationale et l’esprit de la constitution

Pour Me Fahmi Saïd Ibrahim El Maceli, ancien garde des Sceaux, cette prise de position soulève un véritable choc. Selon lui, Ikililou Dhoinine ne peut pas aujourd’hui plaider pour une tournante spécifique après être resté silencieux lors de moments cruciaux notamment en 2018 lors de la révision constitutionnelle, puis en 2021 lorsqu’il s’agissait de défendre la tournante de Ndzuani. L’ancien candidat à la présidentielle de 2019 souligne que l’ancien président avait alors le devoir, par son statut, de défendre l’unité nationale et l’esprit de la constitution. Son silence passé lui apparaît comme une rupture avec cette responsabilité.


Me Fahmi Saïd Ibrahim El Maceli estime ainsi qu’Ikililou Dhoinine «a perdu le sens de l’intérêt général», se positionnant désormais comme «un porte-voix insulaire plutôt que comme un garant national». Pour lui, la revendication d’une tournante pour Mohéli en 2026 ne peut qu’ajouter «de la confusion à la confusion», d’autant plus qu’elle intervient à seulement quelques mois de cette « échéance présidentielle en 2026 » qu’il juge matériellement, techniquement et légalement impossible d’organiser dans un délai aussi court. Selon Me Fahmi Saïd Ibrahim El Maceli, cette démarche ne peut que fragiliser davantage l’opposition. «A qui profite réellement cette posture aujourd’hui ? Je ne sais pas, mais je m’interroge».


À l’opposé, Mouigni Baraka Saïd Soilihi, ancien gouverneur de Ngazidja, adopte une lecture bien plus conciliante. Il rappelle qu’Ikililou Dhoinine est «le seul président issu de l’Accord-cadre de Fomboni ayant pleinement respecté ses principes, allant jusqu’à organiser l’élection de 2016 au profit d’un natif de Ngazidja, sans hésitation ni pression politique». À ses yeux, l’ancien chef de l’État a incarné l’autonomie des îles à une époque où les gouverneurs exerçaient encore de véritables prérogatives, et non des «non des subordonnée d’un secrétaire nommé par décret». Mouigni Baraka Saïd Soilihi dit soutenir «de tout cœur» l’intervention d’Ikililou Dhoinine et se déclare favorable au respect de la tournante telle que prévue en 2001. Questionné sur cette posture alors qu’il a pris part à deux présidentielles issues de la Constitution de 2018 il assume, mais à l’en croire, il ne s’agissait pas d’une adhésion à l’état de fait, mais d’une participation politique rendue nécessaire par le contexte. Pour lui, l’enjeu premier demeure le retour à l’esprit des Accords de Fomboni, qui garantissent un équilibre entre les îles.

«Peiné par la position d’Ikililou Dhoinine»

L’analyse de Mohamed Jaffar Abbas, porte-parole du mouvement Front Insulaire pour la Défense de l’intérêt d’Anjouan (Fidia) et vice-président de l’Union de l’opposition, apporte une nuance supplémentaire au débat. S’il reconnaît lui aussi l’impossibilité matérielle d’organiser une présidentielle en mai 2026, il apporte un éclairage plus empathique sur la sortie de l’ancien président de la République. Pour lui, la parole d’un ancien président «discret, mesuré et respecté ne peut qu’avoir un impact national et international». Il voit dans cette intervention non «un geste insulaire, mais un signal d’alarme lancé par un homme d’État préoccupé par l’unité du pays». Le silence prolongé, affirme-t-il, aurait pu finir par être perçu comme une «complicité passive face aux dérives institutionnelles du régime actuel».

 

«Cela m’a un peu surpris. Et en prenant la parole, le président Ikililou Dhoinine a fait, il faut le dire, une analyse erronée de la situation du pays. Si j’étais à sa place, avec les fonctions nobles qu’il a exercées, je n’allais pas me réduire à des arguments régionalistes ou à un nombrilisme insulaire. Il faut penser collectif et inclure toute la nation dans nos logiciels de pensée».

Youssoufa Mohamed Ali

 


Mohamed Jaffar Abbas reconnaît toutefois être profondément «peiné par la position d’Ikililou Dhoinine sur la tournante 2026». Selon lui, l’ancien président sait pertinemment qu’une telle élection est irréalisable dans les délais. Il soupçonne donc «l’existence de pressions locales autour de la revendication d’un président mohélien en 2026». Si stratégie il y a, dit-il, il ignore si elle est pertinente. Il poursuit, « la fracture entre les partisans d’une tournante Mohéli 2026 et les défenseurs d’une tournante Anjouan 2029, dont son propre mouvement Fidia, ne se rencontreront jamais» et se demande à qui profite l’existence d’une opposition désunie. Pour lui, la réponse est claire, il s’agit de l’actuel régime qu’il accuse de se nourrir de ces divisions internes.Leader du parti Ushe, Dr Mohamed Rafsandjani, explique que «tout ce qu’on peut dire à ce stade, c’est rappeler le bon sens et la règle. Toute cette classe politique fait honneur au système qui les a fait naître. Ceux qui la compose ont fait campagne pour cette constitution de 2018, ont voté dans toutes les élections postérieures jusqu’en 2024 y compris d’ailleurs l’ancien président Ikililou». Ainsi, pour le président de Ushe, «il est donc incohérent de venir se rappeler au bon souvenir d’une constitution qu’ils ont eux-mêmes contribué à renverser».


Il rappellera dans le même temps que la Constitution de 2018, « qui sert de référence, prévoit une alternance dans la tournante en 2029. C’est cette perspective qui se dégage pour l’instant. En réalité, cette sortie ainsi que toutes les revendications qui l’entourent témoignent du manque de confiance criante entre les comoriens divisés", selon lui, par un pouvoir qui, à l'entendre, "a fait de cette méfiance mutuelle sa politique générale. Tout le monde a besoin d’être rassuré que son droit ne sera pas lésé et les Comoriens de l’île de Moheli ne sont pas en reste". Toute notre démarche consiste à se battre pour cela dans le respect des règles établies ». Al-watwan a approché plusieurs autres acteurs politiques dont des élus qui ont tous décidé de ne pas donner suite à nos sollicitations. Du côté du pouvoir, Youssoufa Mohamed Ali, secrétaire national de la Crc explique que la tournante a débuté à Ngazidja.

 

Le tour est ensuite allé à Ndzuani puis à Mwali. Revenu à Ngazidja, il doit «en toute logique retourner à Ndzuani si c’est vraiment une tournante. Maintenant, le reste n’engage qu’eux». Il déplore, par ailleurs, la présence de l’ancien président de la République dans une telle démarche. «Cela m’a un peu surpris. Et en prenant la parole, le président Ikililou Dhoinine a fait, il faut le dire, une analyse erronée de la situation du pays. Si j’étais à sa place, avec les fonctions nobles qu’il a exercées, je n’allais pas me réduire à des arguments régionalistes ou à un nombrilisme insulaire. Il faut penser collectif et inclure toute la nation dans nos logiciels de pensée», poursuit-il. Youssoufa Mohamed Ali parle d’un «non-sens» s’agissant d’une élection en 2026. «Il y a eu une constitution en 2018, des élections en 2019 et même en 2024. Il ne faut pas quand même penser à des choses irréalisables. Il y a une constitution qui est là et qu’il faut respecter».

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