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Sylvain Riquier : «Il faut entendre ce que disent les gens, il faut écouter les Mahorais»

Sylvain Riquier : «Il faut entendre ce que disent les gens, il faut écouter les Mahorais»

Politique | -   Chamsoudine Said Mhadji

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Dans une interview exclusive avec Al-watwan, l’ambassadeur de France en Union des Comores, Sylvain Riquier, et le Chef du bureau de l’Union européenne à Moroni, Pierre Beziz, ont abordé le sujet de l’appui financier et technique accordé aux projets de développement des Comores. Ils ont mis en avant l’importance de ces initiatives pour le progrès économique et social du pays. Bien entendu, l’entretien n’aurait su faire l’impasse sur la question de Mayotte.

 

En 2019, les gouvernements français et comorien ont signé un Plan de développement France-Comores. Qu’est-ce qui a été fait depuis, suivant ce plan ? Qu’est-ce qui n’a pas pu être fait et pourquoi ? On dit que moins du quart des 150 millions d’euros annoncés pour l’exécution de ce plan ont été dépensés. Est-ce la réalité ?


Sylvain Riquier : «Ce document a été adopté par les Comores et la France en 2019. Il est en effet doté de la somme que vous évoquez et moins d’un quart de l’argent a été dépensé aujourd’hui. C’est tout à fait normal car il a fallu définir ensemble les projets que les Comores souhaitaient privilégier et que la France acceptait de financer. Car il faut bien comprendre qu’il ne s’agit pas d’argent versé sous forme d’aide budgétaire qui irait directement dans le budget de l’Etat comorien. Il s’agit d’argent destiné à financer des projets d’investissements solidaires, définis en commun entre les Comores et la France. La France par ailleurs dépense l’argent avec prudence et une grande attention, pour chaque projet. Elle y veille dans le détail. Nous y tenons beaucoup et les autorités comoriennes en sont pleinement conscientes. D’autant que ces investissements solidaires font travailler des entreprises locales. Autrement dit, ces projets bénéficient directement à l’emploi local. Par exemple, ce sont des entreprises comoriennes et des salariés comoriens qui rénovent ou construisent les écoles publiques. Il s’agit d’opportunités importantes pour les entreprises, car au total ce sont près de 50 établissements scolaires concernés, écoles élémentaires, collèges et lycées qui font l’objet de travaux. Je suis heureux que mon pays ait accepté de financer ces travaux en appui à une demande des Comores. Nous sommes très attachés à ce modèle qui bénéfice directement à l’économie du pays et aux familles, aux travailleurs comoriens».

La France est le deuxième fournisseur des Comores, derrière les Emirats arabes unis. Pourtant les Comoriens avaient longtemps été habitués aux produits français. Est-il possible de revenir à la situation d’antan, que les Comores s’approvisionnent de nouveau préférentiellement en France ?


Sylvain Riquier : «Je vois souvent des produits français dans les magasins à Moroni, à Mutsamudu, à Fomboni et dans d’autres localités. Parfois, je me laisse même surprendre dans les boutiques, tant les marques françaises sont présentes. Les membres de la diaspora de France (« les Je viens») qui viennent rendre visite à leurs familles y contribuent bien sûr, mais ces produits sont vendus également tout au long de l’année aux familles comoriennes ici. Je m’en réjouis.En réalité, ce que vous décrivez s’explique : si l’on regarde de près les circuits mondiaux des marchandises, beaucoup de produits français, par exemple dans l’alimentation, la pharmacie, l’automobile, passent par des centrales d’achat à Dubaï. Ils sont déclarés en provenance des Emirats, mais ce sont bien des marques françaises ou européennes. Et il faut se réjouir aussi que des marques des Emirats arabes unies soient vendues aux Comores, et des produits issus d’autres pays et partenaires. Beaucoup de produits sont d’ailleurs achetés aux Emirats ou ailleurs pour les festivités des grands mariages et je voudrais dire à ce propos, qu’il ne faut pas oublier les produits traditionnels comoriens : les kofya, les djouba, les kandu et d’autres produits locaux. Ils sont produits ici par des artisans, des femmes et des hommes qui ont un grand savoir-faire. Ils sont essentiels à la préservation des coutumes et de l’emploi local. Les Comores ont des artisans de grand talent. Je souhaite rendre hommages aux fundis et aux femmes qui continuent à fabriquer ces produits ici aux Comores, pour le bonheur de tous».

L’Union européenne s’est engagée à financer plusieurs projets aux Comores, quels sont les principaux projets réalisés aux Comores en 2023 ? Qu’est-ce qui est prévu en 2024 ?

Pierre Beziz : «L’Union européenne est très engagée aux Comores à travers un portefeuille ambitieux en appui au Plan Comores émergent. Le montant total des engagements en cours est substantiel et s’élève environ à 100 millions d’euros, ce qui souligne l’importance géopolitique du pays. Nos actions sont résolument tournées vers le secteur privé, le commerce et l’entreprenariat, en vue de soutenir la croissance et créer des emplois notamment pour les jeunes et les femmes. L’économie bleue, la pêche et le développement d’un secteur agricole plus moderne et respectant les règles environnementales sont des domaines prioritaires d’intervention.

En 2024, nous allons approfondir notre appui à un climat des affaires favorable au développement du secteur privé et des investissements y compris de la diaspora pour encourager le commerce. Ce sont là, les véritables leviers de la croissance. La gouvernance financière est une autre priorité pour favoriser la transition vers une fiscalité moins dépendante des droits de douanes, compte tenu des ambitions du pays en matière d’intégration économique. Je fais référence à l’adhésion des Comores à l’Organisation mondiale du commerce dès ce mois de février 2024, la ratification de la Zlecaf et l’Accord de partenariat économique avec l’Ue et les pays de la région Afrique australe. La fiscalité devra être assise sur une assiette plus large permettant le financement de politiques publiques au bénéfice des populations. Sur ce dernier sujet et sur les autres, nous travaillons conjointement avec la France. Nous savons aussi que l’investissement et la croissance économique ne peuvent exister sans Etat de droit. Nous travaillons pour cela avec les institutions comoriennes et la société civile dans toute sa diversité. L’Ue est très active pour la défense des droits humains et des libertés fondamentales, et nous mettons en œuvre différents projets notamment pour la protection des femmes et des enfants contre tout type de violence et en faveur de la liberté d’expression.

Je voudrais aussi rappeler que nous avons financé ces dernières années des projets ambitieux d’infrastructures : la centrale solaire de Mwali qui a permis de raccorder dix mille habitants, soit 20% de la population de l’île, pour la première fois au réseau électrique. Nous mettons aussi en œuvre un projet d’adduction d’eau à Domoni conjointement avec l’Afd, qui permettra le raccordement de vingt-cinq mille habitants au réseau d’eau potable sur l’île de Ndzuani».

Vous avez parlé du projet d’adduction d’eau à Domoni ya Ndzuani, pourquoi les travaux de ce projet annoncé depuis 2019, ne sont toujours pas terminés ?


Pierre Beziz : «Ce projet cofinancé par l’Ue et l’Agence française de développement (Afd) était en phase de finalisation en 2019. Malheureusement, l’ouragan Kenneth a détruit une partie des installations situées en amont de la collecte de l’eau dans une zone montagneuse. Reprendre les travaux a nécessité de mener des études techniques complémentaires et de trouver des financements additionnels. L’Afd a ajouté 1,5 millions d’euros au projet initial afin de finaliser les travaux. Ceux-ci ont été ralentis par des désaccords entre certains acteurs comoriens, mais les activités ont pu reprendre fin 2023. D’après le calendrier établi, l’eau coulera dans les robinets de la population dès 2025».

 

D’un autre côté, la France reste le premier client des Comores. Mais l’on remarque que les huiles essentielles et la vanille comorienne s’exportent de moins en moins facilement. Que faudrait-il faire pour renverser cette fâcheuse tendance ?

Sylvain Riquier : «Chacun et chacune peut observer que le marché est mondial. Vous avez des grands pays producteurs par exemple Madagascar et l’Indonésie, qui produisent de très grandes quantités. Leurs producteurs fixent les prix. Les entreprises comoriennes exportatrices raisonnent différemment. Les entreprises comoriennes ne sont pas de la même taille, mais elles ont un énorme atout, la qualité des produits. Elles peuvent capter un marché dans cet ensemble mondial en vendant des produits, certes en petite quantité, mais de grande qualité. Plusieurs de vos produits d’exportations ont obtenus des labels bios ou équitables, que ce soit pour la vanille ou les huiles essentielles. Et vos entrepreneurs ont raison de se positionner ainsi. Je comprends que les autorités comoriennes souhaitent aller au-delà, en s’inspirant d’un modèle qui fonctionne en France et en Europe. On appelle cela « des produits du terroir ». Lorsqu’ils sont certifiés, ces produits entrent dans la catégorie de ce que les Européens et le monde entier appellent des «appellations géographiques». Je prends un exemple, en France, nous avons le camembert de Normandie. Aux Comores, vous avez sans doute les meilleures gousses de vanille au monde, les meilleures huiles essentielles. C’est la même chose. Je comprends que les autorités souhaitent s’inspirer de ce modèle européen pour appuyer les producteurs ici localement et les aider à exporter davantage. Nous sommes heureux d’accompagner cela. Et nous le faisons, concrètement en appuyant le ministère de l’Agriculture dans son soutien aux producteurs».

Au sujet de Mayotte, la résolution de cette question n’implique tout simplement pas une renégociation du statut de cette île ?

Sylvain Riquier : «Nous savons que nous ne sommes pas d’accord sur la question de Mayotte. Depuis longtemps, les chefs d’État et les gouvernements de la France et des Comores se sont mis d’accord pour dire : ‘nous sommes d’accord sur le fait que nous ne sommes pas d’accord ; cela ne doit pas nous empêcher de travailler ensemble sur des sujets d’intérêt mutuel’.Plus généralement, Mayotte n’est pas un objet : ce sont des femmes et des hommes qui, depuis plusieurs générations, expriment clairement deux choses : qu’ils et elles sont français et veulent le rester ; et qu’ils et elles ne se sentent pas de destin politique commun avec les trois îles des Comores. Il faut entendre ce que disent les gens, il faut écouter les Mahorais. Mes compatriotes le disent souvent et de mille manières, encore tout récemment».

Pourquoi le président Emmanuel Macron n’a pas écrit officiellement au président Azali Assoumani pour sa réélection mais a préféré le féliciter par téléphone ?


Sylvain Riquier : « En effet, j’ai vu comme vous, le communiqué de Beit-Salam. Je n’étais pas présent lors de la discussion entre les deux présidents et je ne sais donc pas ce qu’ils se sont dit. Pour ce qui est des déclarations écrites, la France et l’Ue se sont exprimées par communiqués le 19 janvier et depuis, en effet, nous n’avons pas eu d’autres expressions publiques. Il y a le temps de l’élection et celui de l’investiture. D’ici le 26 mai, nous continuons de travailler et quand le président de la République française écrira, vous le verrez et vous le saurez, assurément».

La présidence comorienne de l’Union africaine prend fin le 17 février prochain et la Mauritanie prendra le relais. Quelles sont vos impressions par rapport au mandat comorien ?

Sylvain Riquier : «Avec un regard extérieur, je peux vous livrer un sentiment personnel. Mon sentiment, c’est que le président Azali n’a pas ménagé ses efforts dans ce cadre et qu’il a mené une présidence vraiment très active. On peut souligner des réussites diplomatiques de la présidence comorienne. J’en vois personnellement au moins deux. D’abord l’organisation d’un sommet des Etats insulaires d’Afrique et de l’Océan indien sur l’économie bleue et l’action climatique qui a abouti à l’adoption d’une déclaration à Moroni le 14 juin 2023. Ensuite, l’adhésion permanente de l’Union africaine au G20 actée lors du sommet de New Delhi en septembre 2023, et qui a été fortement soutenue par la France et l’Union européenne. L’adhésion de l’Union africaine au G20 ne va pas forcément changer la vie quotidienne des personnes aux Comores à court terme, pour autant il s’agit d’une bonne nouvelle pour le continent africain, pour le G20 et pour le multilatéralisme».

Quels résultats tangibles peut-on attribuer au programme de l’Ue de renforcer la sécurité et la sûreté maritime dans la région quand on voit aujourd’hui que, par exemple, Mayotte reçoit régulièrement des vagues d’immigrés venus d’Afrique continentale, qui transitent aussi parfois par les trois autres îles de l’archipel ?

Pierre Beziz : «La sécurité maritime est une priorité de l’Ue dans la région du sud-ouest de l’Océan indien et aux Comores. Je rappelle que l’océan représente 90% de l’espace géographique des Comores, d’où l’importance de la question pour la sécurité du pays et de la région. Nous intervenons à travers les programmes «Critical maritime routes in the Indian Ocean» (Crimario) et le Programme pour la sûreté maritime (Mase) afin de faciliter les échanges d’informations et la gestion des incidents en mer.
Vous avez parlé de migration, certes mais ce n’est pas le seul sujet. Cela concerne aussi la lutte contre la criminalité, le trafic de drogue ou encore la pêche illégale. Nous travaillons aux Comores avec les garde-côtes, la douane ou encore le centre de surveillance des pêches. Ensuite, les interceptions en mer des bateaux suspects qui en découlent sont de la seule responsabilité nationale».

Où en est-on avec l’accord de pêche entre l’Union des Comores et l’Union européenne ?

Pierre Beziz : « L’accord de pêche a été dénoncé en 2017, car le pays avait reçu à cette époque ce que l’on appelle un «Carton rouge» en raison d’une coopération insuffisante en matière de lutte contre la pêche illégale, illicite et non règlementée. Depuis 2021, le dialogue a repris de façon soutenue avec l’Ue, notamment avec la Direction générale des pêches, et le pays a fait des réels progrès en matière de réformes du cadre légal, de ratification d’accords maritimes internationaux et de surveillance des pêches.Si les efforts en cours se concrétisent, l’UE pourrait lever prochainement le carton rouge, et il sera alors possible de négocier un nouvel accord qui permettra aux Comores de bénéficier d’un soutien technique et financier en échange de droits de pêche. Cela permettra notamment de développer la filière de la pêche et favoriser l’exportation de poissons et des produits de la mer vers l’Ue».

Un dernier mot ?

Sylvain Riquier : « Nous voudrions ici, à l’approche du 24 février, rappeler que cela fait maintenant deux ans que le peuple ukrainien subit l’agression armée de la Russie sur son sol. Cette agression est inqualifiable et nous exprimons notre soutien total à la nation ukrainienne. Nous saluons la lucidité et le courage des Comores et de leur président, Son Excellence Azali Assoumani au sujet de cette guerre illégitime qui affecte le monde entier, son économie, l’Europe et l’Afrique en particulier. Et pour clore, nous voudrions aussi vous dire qu’il n’y a pas de projets de la France ou de l’Union européenne. Il y a des projets des Comores que nous appuyons».

 

 

 

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