L’actualité leur taille de nouveau la part belle. Ils sont cités un peu partout. Garant de l’islam vertueux, ils sont visés par le gouvernement pour distinguer le bon du mauvais prédicateur. Ils sont invités par l’opposition à dénoncer le projet de délivrance de carte d’autorisation de prêche. Parfois, sans y être conviés, ils s’expriment d’eux-mêmes pour des mises en garde ou des exhortations. Il y’en a de toute sorte et de tout lieu, l’on a même appris qu’il existait des «ulémas de Moroni». Est-ce sûrement à dire qu’il en existe pour toutes les communes?
Pourtant, il faut le dire d’emblée, au regard de l’état actuel de notre droit, les ulémas n’ont pas encore droit de cité dans la République. En effet, s’ils sont, certes, prévus par notre Constitution, cette mention ne suffit pas à ce qu’ils existent. Puis surtout, même s’ils eussent existés, la manière dont ils se comportent dépasse le cadre constitutionnel qui est le leur. Les ulémas ne sont qu’un organe de consultation et non pas de régulation. Tout ce que déclarent les ulémas est informel. Il ne saurait en être autrement. La Constitution dispose effectivement qu’il existe en Union des Comores des organes dits consultatifs. Un titre entier leur est réservé, assez laconique puisqu’il n’est composé que d’un seul article. Mais cette disposition, même unique, est assez claire à leur propos.
Une disposition unique mais claire*
Parmi les organes consultatifs qui peuvent être constitués, il y’en a deux qui ont eu le privilège d’être réclamés par le constituant lui-même : le Conseil économique et social ainsi que le Conseil des ulémas. Mais, pour que l’un et l’autre puissent exister, la Constitution exige qu’une loi de l’Union soit adoptée pour détailler les modalités de fonctionnement et de consultations. Or, dix-sept ans après la mise en place de la Constitution, le législateur est toujours muet sur la question. A défaut de cette loi, le Conseil des ulémas ne peut remplir aucune mission. L’on ne sait pas qui la compose, comment il fonctionne, ni par le biais de quelles procédures. Si bien que, ceux qui sont identifiés comme des ulémas ne le sont que par la volonté de ceux qui s’en autoproclament et ceux qui les reconnaissent comme tels. Ils ne le sont pas encore aux yeux de la loi et de la Constitution. Quoi qu’il en soit, l’on voit bien que seuls sont des ulémas ceux qui font partie de ce conseil. Il n’y en a qu’eux pour toute la République. Il ne peut en exister pour Moroni ou pour Fomboni, par exemple.
Les missions des ulémas sont décrites dans l’article 41 de la Constitution. Celui-ci précise qu’il s’agit pour ces derniers d’aider à la prise de décision dans les domaines intéressant la vie religieuse. L’aide prend ici la forme de la consultation par la production de simples avis. De sorte que les ulémas ne s’expriment que pour autant qu’ils ont été saisis d’une question. Et leurs réponses ne sont adressées qu’à ceux qui les ont sollicitées. La saisine des ulémas n’est pas ouverte à toute autorité. La Constitution en mentionne limitativement deux : le président de l’Union et, avec lui son gouvernement, ainsi que les gouverneurs des îles.
Consultation et non régulation
Cela emporte deux conséquences. La première, c’est qu’ils ne peuvent être consultés par aucune autre institution, que ce soit les députés, les conseillers des îles ou les maires. La seconde conséquence, c’est que les ulémas ne disposent d’aucune espèce d’initiative. Ils ne peuvent pas s’autosaisir, donner des avis ou convoquer des conférences de presse pour donner leur point de vue. A fortiori, ils ne peuvent pas non plus prendre des décisions et les exécuter. Les ulémas ne sont pas des autorités de police administrative religieuse.
Notre constitution renvoie à une dizaine de lois organiques et ordinaires. Seulement quelques-unes d’entre elles ont été adoptées. Nous avons une loi fondamentale à trou qui ne peut, dès lors, que fonctionner partiellement. Le Conseil des ulémas est loin d’être une exception. Le silence du législateur organique et ordinaire empêche, par exemple, l’existence juridique du Conseil supérieur de la magistrature ou encore du statut spécial de la ville de Moroni. Que le législateur revienne à l’essence de sa mission, qu’il exécute les commandements du constituant pour éviter que l’État ne soit régi par des structures informelles et inconstitutionnelles.
* Tirés du texte par Al-watwan
Mohamed Rafsandjani
Doctorant contractuel en droit public
Chargé d’enseignement à l’Université
de Toulon