On avait cru que l’émergence de nouvelles “Grandes puissances” venues d’autres coins de la planète, d’autres Cultures et, désormais, présentes sous tous les cieux, allait damer le pion aux puissances “traditionnelles” venues, depuis trop longtemps, d’une seule et même sphère de la planète. Mais, surtout, qu’elle allait ouvrir la voie à l’égalité des Nations et des peuples, à l’égalité des droits, à l’épanouissement des libertés, de la justice, à une plus grande garantie de paix et de sécurité pour les pays et les populations après ces trop longues années passées sous la coupe des mêmes puissances “civilisées”.
On doit déchanter et se rendre à une évidence glaçante : on avait compté sans les appétits insatiables, la brutalité et l’égoïsme exacerbés des “Puissances”, qu’elles soient “traditionnelles” ou nouvelles, régionales ou mondiales.On avait compté sans les matières premières “stratégiques” qui se raréfient là-bas, apparaissent ici et sur lesquelles il faut, nécessairement, faire main basse, quoi qu’il en coûte.
On avait compté sans la nécessité “existentielle” – du point de vue de ces puissances – de s’imposer aux autres, de surclasser l’autre en le chassant sans ménagement partout sur les terres et les océans “stratégiques”. S’il le faut, aux dépens des Nations, des peuples, des populations, de leurs droits, de leurs rêves, de leur gîte, de leur sécurité, de la paix, et mêmes des Cultures et croyances qui les fondent et dont ils croyaient acquis ad vitam aeternam.
Un rêve a fait son temps
On avait compté, last but not least, sans l’émergence de cette nouvelle conception de la conduite des affaires de la planète qui veut que quand il s’agit de minerais, d’hydrocarbures, d’industrie du numérique, de “présence stratégique” et de “leur” sécurité – à laquelle elles “doivent aller veiller”, parfois à des milliers de kilomètres de… leurs propres territoires –, les “intérêts” des puissances valent tout, et les peuples, les Nations, le droit et la liberté ne valent que dalle. Cette nouvelle conception de la gestion des affaires du monde qui veut que la planète ne soit rien d’autre qu’un hypermarché à ciel ouvert où les puissances, quelles qu’elles soient, viennent se servir à leur guise, par la ruse ou, à défaut, par la force brutale.
De cette chevauchée folle – qui est en train de ranger la “bonne” vieille Course aux armements dans la préhistoire de l’histoire moderne – et qui, de plus en plus, accorde tous les droits aux plus puissants, ce sont les peuples, les Nations, leurs institutions, les droits, les libertés, les croyances, les idéaux et les espoirs qui font les frais.
Désormais, les alliances historiques tissées au bout de longues histoires parfois jonchées de sacrifices et de malheurs indescriptibles, celles nées d’épreuves historiques plus emblématiques les unes que les autres, celles fondées sur la croyance en des valeurs communes et sur le rêve en un avenir commun au profit des pays et des peuples, ne résistent plus au rouleau compresseur des appétits monstres de matières premières, des sacrosaintes positions stratégiques et des “nécessités de sécurité” des “Puissances” sur lesquelles elles doivent aller veiller dans ces contrées lointaines qui, comme par hasard, sentent fort les minerais et les hydrocarbures.
Des puissances qui, par-dessus le marché, se sont arrogés le droit de définir, souverainement, ce que sont “leurs intérêts” partout sous le ciel et face auxquels les autres doivent, nécessairement, se plier.Désormais, même entre alliés historiques de longues dates, les chaleureux tapotements amicaux sur l’épaule peuvent se transformer, en un rien de temps, en de glacials coups de poignard dans le dos. Il ne faut pas plus que l’affaire du contrat des sous-marins mettant aux prises Français, Américains et Australiens pour s’en convaincre.
C’est, également, la leçon qui nous est donnée de tirer des évènements de Birmanie avec l’incroyable prise de pouvoir, dans un silence de mort, par les militaires dans une brutalité extrême, du malheureux sort réservé à ces peuples, communautés et minorités ethniques ou religieuses d’Asie du sud-est et orientale, d’Afrique orientale, centrale et de l’Ouest, ou encore, plus récemment, d’Europe de l’Est, contre lesquels on peut tout se permettre, de celui des Chrétiens d’orient menacés dans leur existence en tant quel tel, des Palestiniens qui voient leur légitime revendication millénaire d’exister reléguée au niveau d’un vulgaire objet de marchandage diplomatique, celui des îles Comores au sud-ouest de l’Océan indien qui assistent, impuissantes, depuis près d’un demi-siècle, à l’occupation d’un quart de leur territoire légal, celui des peuples et populations de Syrie, de Yémen, de Lybie, etc. devenus, depuis des décennies, les otages de conflits sans fin “suivis de près” par des “Puissances” qui prennent tout leur temps pour trouver des solutions de “sortie de crise”… à leur propre convenance.
Détourner le regard,crier dans le désert
Dans ces évènements, pour éviter d’avoir à faire à ces puissances, les organisations mondiales, internationales et régionales font, désormais, profil bas si elles ne se voient pas contraintes de dérouler le tapis rouge devant des pouvoirs locaux arrivés au pouvoir parfois à la faveur de méthodes inavouables à midi, dans la clairière et sous le soleil, mais qui bénéficient, argument imparable, du parapluie protecteur d’un ou de plusieurs “Puissances” en échange de boulevards ouverts vers les richesses nationales, vers des présences stratégiques ou encore de pans entiers de territoire.
Ces organisations que les Nations et les peuples se sont dotées pour, justement, défendre leurs droits et libertés et garantir leur sécurité sont tout simplement ravalées au rang de faire valoir. Leurs prises de position et autres “déclarations communes” – quand il y’en a – ne sont que de pures formes et doivent, souvent, avoir l’aval affiché de ces mêmes puissances.
En effet, face au rouleau compresseur que constitue la primauté absolue des intérêts stratégiques et économiques immédiats, à court et à moyen terme des puissances, il n’est un secret pour personne que Onu, Union européenne, Union africaine, Asean, Cedeao et autre Ligue arabe, ont fait le choix de détourner le regard en abandonnant des pays, des peuples, des communautés et des populations, à leur triste sort, les contraignant ainsi à se résigner ou, en désespoir de cause, à descendre les mains nues dans la rue où les pouvoirs en place, dûment munis du quitus des “Puissances”, peuvent foncer dans le tas en chantant.
Parallèlement, sur plus de la moitié de la terre, les médias sont réduits au silence. Les mieux lotis, aussi prolifiques et audacieux qu’ils puissent être, doivent se contenter d’être la vox clamantis in deserto*, et les quelques voix dissonantes de l’élite de tous les continents, plus elles sont nombreuses et pertinentes, moins elles sont audibles.
Vivement un autre “Nouveau Monde!
Désormais, sur tous les continents et dans tous les océans, un seul refrain a cours : “c’est la loi du plus fort qui prime, la main qui “protège” qui décide et, s’il le faut, qui dispose du droit divin de réprimer” souvent par pouvoirs locaux, “amis” et “protégés”, interposés. Une règle qui peut se résumer en ces quelques mots du célèbre dicton comorien selon lequel Izo mfaume yandzao ndokodo**.
Face à tant de brutalités et d’abandons, la peur et l’inquiétude semblent avoir changé de camp. De celui des occupants et des pouvoirs les plus féroces, elles sont passées dans celui des peuples, des minorités de tous genres et natures, des combattants des libertés et des droits désabusés.
Assurément, nous nous dirigeons vers un nouveau monde.
Vivement un autre “Nouveau monde” !
*“La voix de celui qui crie dans le désert”
**“Ce que le roi veut absolument, il l’obtient absolument”.