La session budgétaire vient de clore. Quelle lecture faites-vous de ces trois mois de travaux?
Nous sommes face à des élections majeures qui arrivent. Ainsi, tous les esprits et toute la concentration vont se tourner vers ces prochaines échéances qui vont essayer de donner au pays un nouvel élan politique. Nous devons donc faire le bilan de cette législature que les Comoriens nous ont donnée pour essayer de redresser ce pays, le donner un cadre juridique et législatif.
Les députés ont principalement deux missions. La première prérogative, c’est de faire les lois concurremment avec le président. Les membres de cette Assemblée doivent se regarder devant une glace et faire le bilan de leur apport.
Que chaque député se demande ce qu’il a apporté durant cette législature pour doter à ce pays un cadre législatif qui permettrait d’amorcer le développement. Que chacun se regarde, fasse son propre bilan, calcule le nombre de proposition de loi qu’il a déposé et celles qu’il a pu mener jusqu’à l’adoption à l’hémicycle et à la promulgation.
La deuxième mission consiste à contrôler l’action gouvernementale. Il revient à chaque député de faire également le bilan des actes qu’il a posés pour contrôler l’action gouvernementale dans sa totalité. Personnellement, je pense que nous allons retourner devant les électeurs et beaucoup d’entre nous n’ont pas de bilan à proposer.
Peut-on par conséquent parler d’échec de cette législature dans sa globalité?
Je n’aime pas le mot échec parce que ça fait partie des éléments qui fondent l’expérience de l’homme. Est-ce que nous avons tiré les conséquences, les leçons de ces manquements? Cette législature est composée, à mon avis, de parlementaires compétents, instruits raison pour laquelle je pense que le peuple comorien était en droit d’attendre autre chose de nous que des guerres, des chamailleries, tout ce que nous avons pu vivre depuis le premier jour de l’ouverture de cette législature jusqu’à la fin.
Ça doit nous interpeller et interpeller les Comoriens parce qu’un député n’est pas là pour demander s’il a plus d’avantages ou pas, s’il occupe une place dans un bureau ou commission. Il est là pour faire la loi et contrôler l’action gouvernementale. Je peux vous confirmer que certains d’entre nous, des plus intelligents, des plus formés et des plus professionnels, ne peuvent pas vous dire combien de propositions de loi ils ont présentées.
Cela fait donc deux sessions que les parlementaires n’ont pratiquement rien fait?
On a ouvert la session le premier vendredi du mois d’octobre comme le stipule les textes. Elle ne peut excéder quatre vingt dix jours. Il nous reste dix jours. La loi de Finances a été déposée dans les délais, soit le 29 octobre, la loi de règlement est également venue dans les délais ainsi que celle de rectificatif. Jusqu’alors, la loi de Finances n’a même pas été examinée par la commission permanente. En dehors de l’exposé des motifs du ministre des Finances, aucune suite n’a été donnée.
On nous dit que les employés de l’Assemblée n’ont pas travaillé, que les députés ne se sont pas mis au travail pour un problème de droits. Mais n’oublions pas que les enseignants aussi peuvent faire deux ou trois mois sans être payés. Malgré tout, ils continuent à travailler tout comme d’autres fonctionnaires qui accusent des retards de salaire.
Le député a un salaire qu’il touche indépendamment des avantages qu’on évoque ici et là. Pour moi, les retards et autres impayés ne sont pas des excuses suffisantes pour ne pas remplir sa mission.
Concrètement, je pense qu’en tant que députés, nous avons quelque part trahi la confiance qu’on nous a donnée.
On n’a pas mené la mission que le peuple nous a confiée jusqu’au bout. Nous n’avons pas travaillé et moi en tant que membre de la commission de Finances, je pense que nous avons failli à notre mission. On n’a pas été à la hauteur. Un budget est quelque chose de vital. Au risque de me répéter, on ne l’a pas rejeté.
On a tout simplement décidé de ne pas l’examiner.
En quoi alors, c’était une session budgétaire?
Beaucoup d’entre nous sont déjà dans les élections. Nous privilégions donc les postures partisanes comme dans le passé. Il y a certaines personnes qui ne voudraient pas donner au chef de l’État un moyen politique de s’exprimer. Raison pour laquelle, elles ont tout fait pour que le budget ne soit pas examiné.
On aurait pu tout sacrifier pour donner au pays ce budget. Nous ne l’avons pas fait et nous n’avons pas d’excuses parce qu’on avait largement le temps. Le texte était déposé à temps et le ministre a toujours montré sa disponibilité.
Outre la commission des Finances, toutes les autres commissions n’ont pas travaillé. Il y avait des textes qui étaient là auparavant. Je prends l’exemple de la commission de loi, j’ai un texte déposé depuis deux ans portant sur l’aide juridictionnelle devant permettre à nos concitoyens les plus démunis d’avoir un soutien, un accès à la justice. Ce texte n’a jamais été débattu ni examiné.
D’autres textes que j’ai portés sont dans les tiroirs dans les commissions à commencer par la proposition sur la cybercriminalité, la micro-finance, la monnaie électronique... Ce n’est pas le travail qui manquait, ce sont les parlementaires qui ne travaillent pas.
Le budget peut-il faire l’objet d’une session extraordinaire?
Rien n’interdit une session extraordinaire, mais je pense qu’on entre dans une période charnière. Par conséquent, le débat ne serait pas honnête, réaliste mais plutôt partisan et biaisé d’avance.
Vous estimiez que les postures partisanes ont pris le pas sur vos missions. Jusqu’où peuvent conduire de telles postures?
Ces derniers temps des parlementaires ont eu cette volonté d’entraver l’action gouvernementale parce que nous allons dans des élections. Ils ont estimé qu’en donnant au gouvernement un outil pour mettre en place sa politique, c’est lui faire un cadeau.
Pendant toute cette législature, le bilan des textes votés porte sur des traités à part quelques textes majeurs portant sur la promotion immobilière, sur les énergies renouvelables, le partenariat public-privé, sur l’encadrement des loyers. Sans me vanter, c’est moi qui ai porté ces lois, en me battant pour qu’elles soient votées, promulguées et travaillées. A part moi, il y a la loi Hadjira sur la parité homme-femme et la loi Oumouri sur l’utilisation des sachets et puis plus rien. En ce qui concerne le contrôle sur l’action gouvernementale, j’ai déposé la motion sur l’affaire Branda sans oublier l’affaire connue de tous, à savoir la citoyenneté économique. Pour le reste, c’est le néant.
Je saisi cette occasion pour rendre hommage au président Azali parce qui, contrairement à ce que certains avancent, a accompagné cette Assemblée. Il a donné l’autonomie à cette institution. Cette dernière, pour la première fois, avait les moyens pour faire son travail. D’autant plus que les députés s’échangent des tirs groupés régulièrement notamment lors de l’épisode de la loi d’habilitation...
En ce qui concerne cette loi, je dirai que généralement, il y a eu des incompréhensions. J’ai entendu un peu de tout. Des députés affirmaient qu’ils ne votent pas cette loi parce qu’au village on a menacé de couper leur tête. D’autres racontaient qu’elle allait donner les pleins pouvoirs au président y compris pour décider qui serait ou non candidat aux élections. Puisque l’on est une société à tradition orale, nos concitoyens sont souvent victimes de ceux qui manipulent les gens. Je peux donc dire que cette loi qui aurait aplani les choses, a été considérée comme un problème insurmontable. Certains d’entre nous ont compris que peut être en bloquant cette loi, ça serait la fin du régime. À un moment donné, tous les députés votaient en fonctions de leurs petits intérêts puisqu’il ne s’agit que de ça, les petits avantages.
Dernièrement, nous avons vu deux propositions de loi portant sur l’élection du président de la République et sur le code électoral portés par les députés Oumouri M’madi Hassani et Mohamed Msaidié. Pourquoi avoir bouclé la session alors qu’il vous restait plus de dix jours pour les examiner?
Vous savez, animés de bonne volonté, ces deux députés avaient tout le temps pour déposer des propositions de loi allant dans ce sens. Pourquoi avoir attendu dix jours avant la fermeture de la session? Peut-on réellement examiner un texte et le faire élire en dix jours? C’est de la démagogie, juste pour pouvoir dire encore une fois : «voilà nous sommes présents !». Le code électoral est là, les conditions d’éligibilités d’un président sont là et bien définies.
Les Comoriens se moquent des élections et de tout ce qui va avec. Seul le développement importe pour eux!
J’exhorte le président de l’Union à accélérer le processus. Tous les députés contestataires ou non de Ngazidja ont aujourd’hui l’opportunité de candidater lors de ces élections. C’est l’opportunité rêvée pour montrer qu’ils sont les meilleurs, qu’ils ont des projets.
Au final, je dirai que le fait de n’avoir même pas examiné la loi des Finances n’est peut-être pas une si mauvaise chose. Nous allons bientôt avoir un régime politique, renouvelé ou confirmé. Étant donné que la loi de Finances porte sur une vision d’un président, le prochain ne va donc pas se retrouver à exécuter une loi qui serait en contradiction avec sa vision politique.
Des députés vous accusent d’avoir manœuvré «illégalement» pour lever l’immunité de certains de vos collègues…
… Chacun est responsable dans le présent, dans l’histoire et dans l’au-delà. J’essaie de peser l’impact de chacune de mes décisions. On parle de cette immunité comme si en l’enlevant, on envoie quelqu’un à la guillotine. En réalité, il est question de permettre à quelqu’un de pouvoir accéder à son dossier et se défendre devant le juge. Pourquoi une personne qui ne se reproche rien a-t-elle besoin d’une immunité? Est-ce que tous les Comoriens qui sont au tribunal ont des immunités?
La première fois que le bureau s’est réuni, je n’étais pas présent et mes collègues ont décidé que celle d’Abou Achirafi Ali Bacar n’a pas été levée parce qu’il a déjà été entendu, jugé et inculpé pour le même sujet par le même juge. Convoqué comme tous les autres membres, j’ai pris part à la seconde réunion.
Dois-je rappeler que je ne suis pas le président de l’Assemblée et que je prends part aux réunions si je suis convoqué comme tout le monde. Je n’ai pas manœuvré, j’ai juste voté et je suis parti. Les réunions de bureau n’ont pas de quorum tout comme les conférences des présidents. Je reste sur le principe que l’immunité parlementaire ne doit pas être un rempart pour quelqu’un de ne pas se présenter devant la justice en cas de demande.
Propos recueillis par
Mohamed Youssouf