logo Al-Watwan

Le premier journal des Comores

À contre-courant (aussi) du droit africain…

À contre-courant (aussi) du droit africain…

Politique | -   Contributeur

image article une
Il est clair que ce qui se passe depuis le 12 avril 2018 ainsi que tout ce qui sous-tend le projet de référendum est une forfaiture qui dépasse le seul cadre de nos dispositions constitutionnelles. C’est une situation qui va jusqu’à renverser certains des principes fondamentaux consacrés par les instruments juridiques de l’Union africaine.

 

Ramtane Lamamra est, paraît-il, un diplomate perspicace. On veut bien le croire. Seulement l’on peut craindre que l’émissaire spécial ne tombe pas par facilité dans le travers qui consisterait à considérer que tout ceci n’est qu’un imbroglio comorien. On lui exposerait un argumentaire rigoureux démontrant la violation de notre Constitution qu’il aurait du mal à se sentir concerné. «Après tout, ce sont vos textes, il s’agit de vos problèmes et nous ne comptons pas nous immiscer». C’est assez louable, cela marquerait beaucoup d’égard pour notre souveraineté, mais serait, à n’en pas douter une erreur d’analyse juridique.


Il est clair que ce qui se passe depuis le 12 avril 2018 ainsi que tout ce qui sous-tend le projet de référendum est une forfaiture qui dépasse le seul cadre de nos dispositions constitutionnelles. C’est une situation qui va jusqu’à renverser certains des principes fondamentaux consacrés par les instruments juridiques de l’Union africaine. Que ce soit l’acte constitutif de l’Union, la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples ou encore la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance, tous accompagnent la Constitution sur le banc des bannis de notre République.

En la matière, c’est l’essence même de la construction communautaire africaine qui est frappée de plein fouet. L’acte constitutif de l’Union africaine du 11 juillet 2000 nous fait une liste des principes qui organisent la communauté.

Logique battue en brèche*

L’article 4 de l’Acte impose aux États membres de respecter les principes démocratiques, les droits de l’Homme, l’État de droit et la bonne gouvernance. Il n’aura échappé qu’à ceux qui ne souhaitent pas voir que la logique même d’un État de droit est sévèrement battue en brèche. Dès lors que les règles posées par le constituant pour encadrer l’exercice du pouvoir ne sont plus observées, l’on est plus tenu par un texte qui contraint. Quand le pouvoir n’est plus contraint, il se sert.

Mais, le droit africain interdit surtout les changements anticonstitutionnels de gouvernement. Au départ, on faisait référence par cette expression aux coups d’État militaires. Aujourd’hui, est aussi considéré comme un changement anticonstitutionnel de gouvernement, le fait d’altérer la Constitution en vue de rogner l’intégrité de la compétition électorale et rendre difficile l’alternance démocratique. Le projet de révision envisagée aux Comores s’il est mené à son terme risque de rebattre les cartes légales de la conquête du pouvoir. La nouvelle formule, notamment de la présidence tournante, risque de favoriser la conservation du régime en place. De plus, cela pourrait s’étaler sur une durée suffisamment longue pour rendre difficile toute forme d’alternance. Il est clair que les objectifs de l’acte constitutif de l’Union africaine se trouveraient ainsi ignorés.

Un problème du continent

Il ne s’agit pas d’une mince affaire. Le droit africain, par le biais du chapitre 8 de la Charte sur la démocratie, sanctionne très sévèrement les violations des principes démocratiques et de l’État de droit. Elles sont considérées comme des menaces à la paix dont peut en être saisi le Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine. Entre autres sanctions, le pays concerné peut se voir retirer son droit de vote, imposer des sanctions économiques, mais surtout il peut même y être décidé le recours à la force armée pour rétablir la normalité constitutionnelle.

En outre, il faut que nos gouvernants se représentent les conséquences sur leur propre personne. Les instruments juridiques africains allant jusqu’à interdire ceux qui se seraient rendus coupables de changement anticonstitutionnel, d’inéligibilité, pour toute autre élection postérieure.

Monsieur l’émissaire, il s’agit bien d’un problème qui intéresse le continent. Les violations dont on a pu vous rapporter contreviennent également aux textes dont vous devez assurer le respect. La diplomatie c’est aussi la promotion de l’État de droit. Contribuez alors à rétablir l’ordre institutionnel de l’Union africaine. Vous contribuerez, ainsi, à ramener la normalité constitutionnelle aux Comores et assurément la concorde nationale.
 
*Les intertitres ont été tirés du texte

Mohamed Rafsandjani
Doctorant contractuel en Droit public
Chargé d’enseignement à l’Université de Toulon

Commentaires