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Atteinte de dépression. Témoignage. «La dépression n'est ni une fatalité, ni une malédiction»

Atteinte de dépression. Témoignage. «La dépression n'est ni une fatalité, ni une malédiction»

Santé | -   Abouhariat Said Abdallah

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Atteinte de dépression sévère en 2014 et mise à la retraite anticipée depuis mars 2020, elle a accepté de nous parler de sa maladie, son quotidien et comment elle vit cette dépression auprès de sa famille. Elle, c’est Oissila Abdullah-Bosvy. Elle vit à Auxerre en France. Cette mère de deux enfants est originaire de Singani dans la région de Hambu. Professeure de Math-Physique formée à l'Enes de Nvuni et a occupé le poste de responsable de la recherche, de la documentation et de l'information au Haut-Commissariat à la condition féminine en 1992. Elle est également Co-fondatrice et Vice-Présidente de l'association Ysia (Yonne Singani Auxerre) qui œuvre depuis 1999 pour la jeunesse comorienne dans les domaines de l'éducation, de la culture, du sport et de la santé. Oissila a également occupé le poste de secrétaire de mairie dans une commune rurale du département de l'Yonne (France) jusqu'en mars 2020, où elle a été mise en retraite anticipée pour invalidité. Entretien.

 

Vous êtes dépressive. Vous êtes prise en charge en France. Parlez-nous un peu de votre cas. Comment vivez-vous cette maladie ?

Je souffre de « dépression sévère » depuis juillet 2014. Tout a commencé en avril de la même année, suite à un différend familial, j'ai commencé à perdre du poids, à souffrir d'insomnies, à pleurer fréquemment. Je me sentais extrêmement angoissée et tout cela rejaillissait sur mon travail et sur ma vie de famille. En juillet 2014, mon médecin traitant a été le premier à mettre un mot sur ce dont je souffrais : la dépression. Depuis, en dépit du suivi assuré conjointement par mon médecin généraliste et psychiatre, j'ai malheureusement dû être hospitalisée pour cette raison à trois reprises. Ma dernière hospitalisation, en mars 2017, a permis de mettre en place un traitement de fond qui permet une stabilité relative de mon état de santé. Aujourd'hui, je suis suivie régulièrement par mon généraliste et accompagnée par une psychologue.


Vous avez accepté de faire cette interview à visage découvert. Pourquoi avez-vous accepté de nous livrer votre témoignage sachant que c’est une maladie mal perçue chez nous ?

Plusieurs raisons m'ont poussée à témoigner ainsi. Tout d'abord, je pense que grâce à mon engagement associatif en faveur de la jeunesse comorienne (je suis la co-fondatrice d'Ysia, ce qui au passage m'a valu d'être nommée Personnalité Al-watwan en 2013), je bénéficie d'une modeste notoriété et je pense que celle-ci peut s'avérer utile puisqu'elle me permet d'accéder à vos colonnes pour sensibiliser l'opinion comorienne à ce fléau qui touche tout de même près de 280 millions de personnes dans le monde ! Et combien dans notre pays ? Ensuite, je suis enseignante de formation et je suis donc très attachée à la transmission des connaissances. Or, il me semble que la dépression demeure une maladie encore mal connue par la population comorienne, et même mal perçue. En effet, lors d'une rechute fin 2021, alors que j'avais expliqué mon état de santé à deux interlocuteurs pourtant issus du monde de la santé publique aux Comores, j'ai compris que même pour eux, il s'agissait d'un sujet tabou quand ils ont brutalement mis fin à nos contacts. Partagée entre la honte et la gêne, je me suis alors dit qu'il était temps de réagir en livrant un témoignage qui pourrait être utile à d'autres malades n'osant pas prendre la parole ainsi qu'à leurs familles


Quelles sont les principales manifestations de cette maladie ?

Ce sont celles que j'ai évoquées plus haut : troubles du sommeil, pleurs irrépressibles, angoisse, profonde tristesse allant jusqu'aux idées suicidaires, prise ou perte brutale de poids, chute des cheveux... En pleine crise, les simples gestes du quotidien nécessitent de mobiliser une grande énergie. A tel point qu'il peut être impossible de quitter le lit au réveil...C'est toute l'énergie vitale qui fait défaut. Sur la dépression, peuvent également se greffer d'autres pathologies comme l'hypertension par exemple.
Y-a-t-il plusieurs types de dépression ?
Je ne peux pas répondre à cette question. Je sais que, pour ma part, je suis suivie et soignée pour une dépression sévère. Sans doute un médecin Psychiatre serait-il plus à même de répondre à cette question.

Qu’en est-il du traitement ?

Aujourd'hui, huit ans après le déclenchement de cette maladie, je suis globalement stabilisée mais je sais que je ne suis pas à l'abri d'une rechute. C'est une des caractéristiques de la dépression qui peut devenir chronique. Il faut bien comprendre que dans ce cas, c'est une maladie invalidante. En ce qui me concerne, je suis placée par mon administration en retraite anticipée pour invalidité depuis mars 2020.


Comment votre famille arrive-t-elle à vous supporter avec cette maladie ?

J'ai toujours pu compter sur mon mari et mes deux enfants qui m'ont toujours soutenue ainsi que sur quelques personnes précieuses qui se reconnaitront. Face à cette maladie, le rôle de l'entourage est primordial. Je remercie Allah qui m'a destiné un mari comme le mien et je rends un grand hommage à ce dernier car en 2014, nos enfants étaient encore étudiants. En plus de son travail et d'Ysia, il veillait donc au bon déroulement de leurs études tout en m'apportant son aide au quotidien avec beaucoup de patience et de bienveillance.

De nombreuses personnes ne bénéficient pas d’une prise en charge aux Comores. Qu’est-ce que vous suggériez à leurs familles ?

C'est vrai, toute personne souffrant de dépression aux Comores n'a pas ma chance. Voici ce que je veux dire d'ailleurs aux familles : la dépression n'est ni une fatalité, ni une malédiction : c'est une maladie avec ses causes, ses symptômes et ses traitements. Il faut donc sortir du sentiment de honte et de culpabilité qui touche souvent les malades et leur entourage. Comme me l'a dit un médecin psychiatre, « on ne culpabilise pas si l'on se fracture le bras, pourquoi le ferait-on lorsque c'est le psychisme qui souffre ? La dépression n'est pas la folie. ». Très concrètement, je dirais qu'il faut rester calme et compréhensif car une personne en dépression est déjà dans le désarroi.

Se montrer impatient avec une personne dépressive, se moquer d'elle, la « bousculer » en lui disant de « se secouer » est totalement contre-productif. La personne malade a, au contraire, besoin de calme et d'écoute. Cacher la personne, l'isoler, l'enfermer, sans que cela ne soit accompagné d'une prise en charge médicale ne peut qu'aggraver son état. Quand la personne se sent en état de sortir de la maison, il ne faut pas hésiter à l'accompagner pour l'aider à changer d'air. A titre personnel, j'ai trouvé beaucoup de réconfort dans la pratique quotidienne de la marche. Dans tous les cas, je dirais aux familles de ne pas rester seules face à la maladie et de consulter sans attendre un médecin qui pourra poser le diagnostic et mettre en place un traitement adapté à la situation et au malade.

Quels conseils donneriez-vous aux autorités médicales comoriennes ?

Je ne suis pas une experte en santé publique et je ne prétends pas pouvoir conseiller nos autorités médicales. Cependant, le bon sens voudrait sans doute que notre pays mette en place une véritable politique de santé mentale, par exemple en amplifiant la sensibilisation et la formation des personnels de santé à cette problématique. Dans l'idéal, il me semble que notre pays devrait également se doter d'un centre de santé mentale par île. La prise en charge des traitements (souvent coûteux, d'autant qu'ils peuvent s'inscrire dans la durée) devrait également faire l'objet d'une réflexion.

Enfin, aux Comores comme ailleurs, tout ne relève pas de l'Etat : il appartient peut-être également aux malades, à leurs familles et aux personnels soignants sensibles à cette pathologie et à sa prise en charge de s'organiser en association, à l'instar par l'exemple de ce que fait l'Accf dans le cadre de la lutte contre les cancers féminins. Si mon témoignage pouvait contribuer à changer notre regard sur la dépression et contribuer à la création d'une telle structure aux Comores, j'en serais heureuse.

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