Al-watwan : L’année dernière l’on avait annoncé 374 cas de lèpre à Ndzuani. Ils sont combien cette année ?
Dr Grillone Saverio : D’abord il faut rectifier ce chiffre car en réalité, l’année dernière c’était 502 cas. Et c’était dans le cadre d’une grande campagne menée dans toute l’île grâce à la fondation Damien, à la fondation nippone et l’Oms [Organisation mondiale de la santé]. Et grâce aussi au soutien du ministère de la Santé des Comores et du président Azali Assoumani.
Et dans le cadre donc de cette campagne, nous sommes arrivés à dénombrer 502 cas de lèpre. Cette année ce n’est pas une nouvelle campagne, mais après le résultat de celle de l’année dernière, nous sommes retournés dans les régions où le nombre des cas a été faible, à Nyumakele, à Domoni… Nous avons complété les activités de dépistage dans le Nyumakele et nous y avons dénombré 28 nouveaux cas. Lundi et jusqu’à la fin de la semaine nous interviendrons dans le district sanitaire de Domoni. Cette année le nombre global des malades est de 191. C’est donc moins que la moitié de l’année dernière.
Al-watwan : L’on dit que 95 % des cas de lèpre recensés aux Comores sont situés à Ndzuani. Comment cela s’explique-t-il ?
Dr Grillone Saverio : Il y a plusieurs facteurs, dont certains qui n’ont pas encore été bien expliqués. Les autres c’est la pauvreté et la démographie élevée. S’il n’y pas une alimentation adéquate, s’il n’y a pas des conditions d’hygiène optimales, les capacités immunitaires de l’individu pour lutter contre la maladie diminuent. A Mwali on a des cas de lèpre mais en général ils proviennent de Ndzuani. A Mayotte il y en a également, mais c’est au sein de la communauté en situation irrégulière, et ceux-là hésitent à se présenter au service hospitalier de prise en charge de la lèpre.
Al-watwan : Quel est le taux de guérison de cette maladie chez nous ?
Dr Grillone Saverio : Le taux de guérison de la maladie est presque de 100 % parce que le traitement est efficace. Le seul problème c’est que c’est un traitement de longue durée, et il faut donc suivre le malade de très près afin qu’il ne l’interrompt pas. Il y a de toute façon des cas qu’on a perdu de vue, parce qu’ils sont partis dans les autres îles.
Al-watwan : Il semble qu’il y a un programme national de lutte contre la lèpre ainsi qu’une stratégie de lutte. Comment se déclinent-ils ?
Dr Grillone Saverio : La stratégie, vous l’avez vue en visitant notre service : c’est une technologie avancée qui nous permet de faire un dépistage très précoce de la maladie. Et donc de soigner à temps. Mais la stratégie la plus importante qui est en train de se mettre en place c’est une prophylaxie avant que la maladie se manifeste avec tous ses symptômes. C’est une prophylaxie de masse. Maintenant nous sommes en train d’étudier quelles sont les couches de population cible qui devraient bénéficier de ce traitement de masse. Ce qui diminuera énormément l’impact de la maladie sur la population.
Al-watwan : Pensez-vous, au vu de l’évolution des choses, qu’il est possible d’arriver à un taux d’un cas de lèpre sur 10 000 habitants d’ici à 2025, comme l’a promis notre gouvernement ?
Dr Grillone Saverio : Il faut toujours se poser des objectifs ambitieux, pour arriver à un taux de guérison majeur, et donc à un impact de la maladie qui va diminuer rapidement. Mais comme la lèpre est une maladie à durée d’incubation très longue, scientifiquement on ne peut pas garantir que d’ici à 2025 elle va rejoindre ce taux d’1 cas sur 10 000 habitants. Donc nous pensons qu’il faut travailler encore dans les années à venir pour arriver à éliminer la lèpre d’une façon définitive.
Al-watwan : Et d’ici à 2030, comme le veut l’Oms ?
Dr Grillone Saverio : Oui je pense que 2030 est un délai raisonnable pour éliminer la lèpre aux Comores.
Al-watwan : Est-ce qu’un traitement de masse est-il possible avec cette maladie ?
Dr Grillone Saverio : C’est cela que nous sommes en train d’envisager. Il y a actuellement un travail de recherche combiné pour arriver à définir le terme d’un traitement de masse, qui ne sera pas généralisé à toute la population mais à certains groupes de population cibles susceptibles de s’infecter plus facilement. C’est une étude qui est en cours et qui est menée par des grands savants de l’institut de médecine tropicale d’Envers, en Belgique. Je voudrais aussi souligner que toute cette activité qui se développe de façon satisfaisante, soit pour la recherche soit pour le traitement des malades de la lèpre mais aussi la tuberculose, c’est un travail combiné, car les maladies sont semblables et les traitements se ressemblent. Mais pour faire face à cela, d’abord c’est la gratuité. Tous les malades ont un accès gratuit au traitement. Ensuite c’est le soutien technique et financier de la fondation Damien de Belgique, qui nous permet d’avancer avec beaucoup de satisfaction pour nos malades.
Al-watwan : Certains pensent que ce service de prise en charge des lépreux et tuberculeux ne devraient pas se trouver dans l’enceinte de l’hôpital de Hombo, mais à un endroit isolé. Est-ce votre avis ?
Dr Grillone Saverio : Cette question a été résolue il y a 39 ans. Quand le président Ahmed Abdallah a inauguré l’hôpital de Hombo en 1981, le service de dermatologie se trouvait loin en haut. Il a été détruit pour faire place nette à la construction de l’hôpital qatari, qui n’a jamais vu le jour [l’hôpital Cheikh Jassim, du nom de cette fondation qatarie qui avait financé sa construction mais dont les travaux se sont arrêtés vers fin 2015].
C’est pour cette raison qu’il est transféré ici en bas. Mais la lèpre est une maladie comme les autres, et qui ne pose plus de problème du moment qu’elle est dépistée et que l’on commence le traitement. Donc il n’y a pas à craindre d’être contaminé. D’ailleurs il faut un contact prolongé avec un malade de la lèpre pour être contaminé. Le président Abdallah avait dit qu’il n’y a plus de lépreux aux Comores, mais des malades de la peau comme tant d’autres. Il faut donc lutter contre l’exclusion et cesser de voir la lèpre comme une maladie honteuse.
Al-watwan : Quelles sont les avancées enregistrées dans la lutte contre la lèpre ?
Dr Grillone Saverio : Quand je suis arrivé aux Comores il y a 42 ans, j’étais seul. Maintenant il y a une équipe, des médecins, des infirmiers, des techniciens de laboratoire qui mènent un travail de qualité et une excellente performance médicale. C’est le pas en avant que nous avons fait et c’est cela l’espoir. Et donc les Comoriens vont sortir de tous leurs problèmes avec des Comoriens capables.
Propos recueillis par Djalali-Eddine Madi
Transcris par Sardou Moussa