Lors des trois dernières années, le Programme national de lutte contre le paludisme (Pnlp) a enregistré 19 735 cas en 2018, 17 795 (2019) et 4 546 (2020). Ces chiffres ne concernent que la seule île de Ngazidja où, contrairement à Mwali et à Ndzuani, la population n’a pas bien suivi le traitement de masse réalisé à base d’Artequick et de Primaquine. Et même si ces chiffres tendent à baisser au fil des ans, on est encore loin des 1 641 cas enregistrés en 2016.
Lors du Conseil des ministres du mercredi 9 juin dernier, le ministre de l’Economie et porte-parole du gouvernement, Houmed M’saidie faisait d’ailleurs savoir que le ministère de la Santé et la République populaire de Chine ont tablé sur un programme d’un milliard et demi de francs comoriens pour éliminer, d’ici trois ans, le paludisme à Ngazidja. Une politique poussée donc par la montée des cas.
Un cinquantenaire décédé
En effet, au premier trimestre de 2021, Ngazidja a par exemple enregistré 1 192 un chiffre qui n’est pas loin des données de toute l’année 2015. Au Pnlp, on compare les données, des premiers trimestres 2020 et 2021 où il y effectivement une baisse de 524, ce qui en soi n’est pas négligeable. C’est ainsi qu’au Pnlp, le responsable régional (Ngazidja), docteur Salim Abdoulkarim Mmadi, on est formel : «il n’y a pas de recrudescence des cas». Pourtant, à Fumbuni, Mbeni et Mitsamihuli, les médecins-chefs confirment qu’il y a bien des cas de paludisme tous les jours «ou presque». Une situation qui conforte la volonté des autorités de lancer une nouvelle campagne à Ngazidja même si, encore une fois, on est bien loin des données paludiques des années 2000 où c’était clairement la catastrophe.
A Fumbuni, par exemple, docteur Nassuria Mhadjiri, médecin-chef du district de Mbadjini-est, parle de 39 cas en deux mois (mai et juin). Son collègue de l’hôpital pôle de Mitsamihuli, docteur Djounaid Houmadi, indique lui que des localités comme Ndzuaze et Chamle sont plus touchées par le paludisme, mais à l’hôpital, «on en est à deux ou trois cas et ce n’est pas tous les jours». Au nord-est de Ngazidja, docteur Ben Djabir Mbae Hamidou, médecin chef de l’hôpital de Mbeni, est quant à lui plus alarmiste et parle de 140 cas rien qu’au mois de mai et tous les jours «nous avons de nouveaux patients».
Pour sa part, docteur Djabir Ibrahim, chef du service des urgences d’El-maarouf, soulève un autre problème «ce qui nous dérange est que les cas de fièvre que nous avons sont liés au paludisme, mais malheureusement la confirmation est tardive et survient après une deuxième voire une troisième lecture. Une situation qui est compréhensible. La lecture d’une goutte épaisse est minutieuse et parfois on doit s’y prendre à plusieurs fois. La première lecture peut en effet être négative alors qu’en réalité le patient est positif».
Pour l’intéressé, la situation est complexe. «Avant le traitement de masse, on pouvait administrer le traitement de masse contre le paludisme même sans connaitre les résultats de la goutte épaisse. Aujourd’hui, cela n’est plus possible, nous devons en effet attendre d’avoir les résultats pour administrer le traitement». Cette situation a été à l’origine, il y a peu, d’un décès d’un homme de 59 ans.
Ce dernier est décédé du paludisme cinq heures de temps après son arrivée à l’hôpital El-Maarouf. Cela montre, si besoin était, que le paludisme est toujours présent et qu’il faut redoubler d’efforts dans la lutte. Et dans ce sens, le Pnlp a de son côté maintenu ses tournées sur le terrain et travaille avec des agents communautaires, des chefs de village, des personnes influentes pour que justement la population puisse comprendre la nécessité de toutes les mesures surtout celles préventives comme le traitement de masse. Et à en croire le responsable régional du Pnlp, les résultats sont probants.
Rhinobronchite, fièvre, incertitude…
A cette montée des cas, il y a parallèlement une fièvre qui sévit dans le pays, et qui de l’avis du Pnlp prête à confusion, «il y a actuellement une fièvre à Ngazidja, mais ce n’est pas le paludisme. Le service de surveillance épidémiologique doit toutefois être en éveil».
En effet, les principaux hôpitaux de Ngazidja enregistrent un nombre croissant de patients atteints de «fièvre». Et du côté du service de surveillance épidémiologique, le responsable national, docteur Saindou Ben Ali Mbaé, médecin épidémiologiste, reconnait l’existence d’une «fièvre». Seulement, «il faut comprendre que toute fièvre n’est pas synonyme de paludisme. Il peut notamment s’agir d’une infection respiratoire aiguë, de la dengue voire même du Chikungunya», fait savoir docteur Saindou Ben Ali Mbaé.
A la question de savoir pourquoi ne sait-on pas encore de quoi il s’agit, l’intéressé affirme qu’habituellement «les prélèvements sont acheminés vers l’Institut Pasteur de Madagascar, mais la situation étant ce qu’elle est rien n’a encore été fait» en faisant allusion à la fermeture des frontières vers la Grande île. Pour autant, des «dispositions devraient être prises pour trouver une solution dans les meilleurs délais», affirme le médecin épidémiologiste.
En attendant, sur le terrain ce sont surtout les enfants qui sont touchés par cette fameuse fièvre.
Toutes les tranches d’âges sont touchées
A l’hôpital pôle de Mitsamihuli, on a atteint la capacité d’accueil et le médecin chef, docteur Djounaid Houmadi se dit submergé. «Ici, ce sont surtout les enfants de 4 mois à 8 ans qui sont les plus touchés. Les adultes sont plutôt épargnés même si on a quelques cas», déclare-t-il. Au sud de l’île, à Fumbuni la situation n’est guère meilleure. Docteur Nassuria Mhadjiri, médecin chef du district de Mbadjini-Est, fait savoir que toutes les tranches d’âges sont touchées.
Et, à l’en croire, le rythme est quotidien pourtant les tests du paludisme qui sont réalisés sur ces patients sont négatifs malgré une fièvre atteignant les 40° chez certaines personnes. Toux, forte fièvre, rhume, gastroentérite, ballonnement sont quelques-uns des symptômes enregistrés chez les patients selon le médecin chef de l’hôpital pôle de Mitsamihuli. Pour ce dernier, c’est une infection virale et en attendant d’avoir des résultats plus avancés, «nous estimons qu’il s’agit d’une rhinobronchite». Les prélèvements sont faits, mais il n’y a pas eu de retour «et nous attendons les directives des autorités».
Le docteur Ben Djabir Mbae Hamidou, médecin chef de l’hôpital de Mbeni, va dans le même sens et parle d’une rhinobronchite qui touche particulièrement les enfants, «c’est viral et donc aussi lié au climat. Ce n’est pas quelque chose d’anormal en cette période, mais les parents ont tendance à stresser». Comme à Mitsamihuli, la capacité d’accueil est aussi atteinte à Mbeni. Selon un agent d’El-maarouf, le service de néonatologie enregistre quinze hospitalisations par jour. Malheureusement, Al-watwan n’a pas pu entrer en contact avec les responsables de ce service.
Toujours à El-maarouf, mais cette fois au service des urgences, son chef, docteur Djabir Ibrahim déclare qu’ils ne sont pas «dépassé par la situation. La moyenne de cinquante patients par jour n’est pas dépassée. Nous n’avons donc pas une situation inhabituelle». Pour ce qui est de la mystérieuse fièvre «nous n’en sommes pas plus dérangé que ça. Par contre nous sommes embêté par le paludisme nous aux urgences à cause de la situation dont je vous ai parlé», rapporte le médecin chef d’El-Maarouf.
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