La route qui mène au pôle hospitalier de Samba Nkuni a été refaite à neuf l’année dernière, du tournant de Milembeni à la structure qui accueille les patients positifs au Covid-19 présentant des complications. Une guérite s’élève juste à l’entrée, une tente bleue en son sein. C’est là que les militaires qui assurent la garde du pôle ont leurs affaires et filtrent les visiteurs impromptus. Nul ne peut accéder au centre de prise en charge des covidés sans autorisation préalable. Après quelques coups de fil, on nous laisse passer. Le chemin pentu qui y mène est inégal. La moitié est praticable, l’autre en piteux état.
Protection exigée avant la visite des lieux
Nous nous dirigeons vers le bâtiment qui se trouve le plus au Sud. Nous empruntons une allée, où gisaient deux lits déglingués. Le médecin référent nous reçoit dans son bureau. Pour la visite des lieux, il met le coordinateur des soins, Tadjidine Mohamed Toihir et la psychologue Abdallah Kouati Sayidat à notre service. Quant à lui, il a préféré reporter notre interview.
Avant d’entamer notre visite à proprement parler, il nous faut au préalable nous protéger. Trois équipements de haute protection, 3 charlottes, des lunettes, des masques, des surchaussures, des gants nous sont fournis. A peine, nous enfilons ces espèces de scaphandres que la sueur perle de nos corps déjà moites.
La visite peut commencer. Direction le centre de réanimation où les bips des machines brisent le silence des lieux. Un malade est recroquevillé sur son lit, la respiration soutenue par une machine. L’on apprend que le centre ne comptait que 14 malades vendredi dernier. «10 sont en détresse respiratoire mais les 4 devraient partir rapidement», a déclaré Tadjidine Mohamed Toihir.
«10 malades seulement
sous détresse respiratoire»
Au mois dernier, ce n’était pas aussi calme. Le pôle était arrivé à saturation avec plus d’une centaine de patients. «Le personnel soignant était débordé, notre effectif était réduit au vu de la masse de travail qui nous attendait, certaines prises en charge ont pu se faire avec du retard», reconnait notre interlocuteur. Est-ce cette saturation et les conséquences qui en ont découlé qui alimente la peur et l’inquiétude ? «Je sais qu’il y a beaucoup plus de cas guéris que de patients que nous avons perdus, par exemple pour cette deuxième vague nous comptabilisons plus de 350 admissions pour environ 43 décès», a-t-il fait observer.
L’on apprendra que les décès de Ngazidja rendus publics par le ministère de la Santé par le biais d’un communiqué quotidien sur l’avancée de l’épidémie n’ont pas tous eu lieu à Samba, loin de là. L’on apprendra également «que des patients, en provenance de cliniques privées, sont morts peu de temps après leur admission», assombrissant davantage aux yeux de l’opinion publique l’image du principal pôle anti-Covid de Ngazidja. A Samba, il n’y a qu’un réanimateur, l’idéal selon Tadjidine Mohamed Toihir, serait d’avoir 4 réanimateurs surtout en temps de crise. Il est conscient que cela risque de ne pas être possible. «Nous avons seulement 3 réanimateurs pour toute l’île mais 4 réanimateurs, ce serait le top». En attendant, l’équipe médicale fait avec les moyens du bord.
«Le personnel médical souffre
du manque de reconnaissance»
L’on les oublie souvent mais les traumatismes psychologiques des patients admis à Samba sont légion. Certains malades entendaient les râles, les longues agonies ou les ambulances qui venaient chercher les corps. Beaucoup en seraient devenus dépressifs. D’aucuns se demandent s’il n’était pas possible d’isoler le bruit. «Il faudrait pour ce faire une adaptation des locaux pour justement isoler le bruit mais ce sont des améliorations qui peuvent être proposées par les ingénieurs», a expliqué Abdallah Kouati Fayidat. « Nous faisons en sorte de connaitre les patients qui nécessitent un suivi ici et parfois, quand le besoin se fait ressentir, nous poursuivons nos visites à domicile», a-t-elle ajouté.
La pression n’est pas seulement du côté des malades, elle est aussi du côté des soignants, qui bénéficieraient de «prise en charge adaptée en cas de relâchement». Les infirmiers et paramédicaux ont en outre besoin de reconnaissance. De reconnaissance morale mais pas seulement. «Le personnel soignant n’a pas été suffisamment encouragé, nos efforts n’ont pas été reconnus si bien que le corps médical a le sentiment d’être délaissé alors que nous menons une guerre sans merci contre un ennemi invisible et particulièrement dangereux», s’est plaint le coordinateur des soins.
"J’étais paniquée à l’idée
de venir à Samba"
Le personnel soignant aurait aimé, le temps que dure cette bataille contre le coronavirus, loger loin de leurs foyers comme ce fut le cas lors de la première vague. «Cela fait presque 3 mois que je n’ose pas approcher ma mère parce qu’elle est hypertendue et je sais que je peux être un propagateur du virus. Moi, j’ai de la chance, je vis tout seul à Moroni, mais qu’en est-il des autres qui sont obligés de rentrer chez eux après Samba, en empruntant les transports en commun avec comme hantise : la possibilité de contaminer les autres», s’est longuement exprimé notre interlocuteur.
Peu après cette complainte, nous sommes partis interroger la patiente qu’il nous a été permis de rencontrer. «J’étais paniquée à l’idée de venir à Samba alors même que mon mari y a été admis et est ressorti en bonne santé. Le docteur Ali Mohamed est venu me consulter et a constaté que les choses n’allaient pas dans le bon sens», a témoigné Asna Said Allaoui toujours sous oxygène le vendredi dernier mais dont l’état était en nette amélioration. Asna Said Allaoui est connue sur les réseaux sociaux pour avoir décidé d’investir la terre et pour sa production de melons et de pastèques entre autres.
Décision est prise de la transférer à Samba non sans appréhension de sa part. «J’ai paniqué à l’idée de venir et je m’en excuse car c’était la meilleure décision à prendre, franchement je n’ai que des louanges à l’égard du personnel soignant. C’est même dur émotionnellement d’exprimer toute ma reconnaissance pour toute l’attention qui m’a été témoignée», s’est émue Asna Said Allaoui qui n’a pas pu empêcher ses larmes de couler, marquée par tant d’attention.
Notre interlocutrice a exhorté «les malades à vite se rendre à Samba et non pas attendre jusqu’au dernier moment»