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132 ans de soins sous colonisation, 50 ans d’indépendance : Quelles leçons pour notre système de santé? (suite et fin) I Un passé «colonial» qui a du mal à passer

132 ans de soins sous colonisation, 50 ans d’indépendance : Quelles leçons pour notre système de santé? (suite et fin) I Un passé «colonial» qui a du mal à passer

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Le système de santé comorien n’a pas su tirer parti de la solidarité communautaire traditionnelle qui est, actuellement, détourné à tort vers des investissements communautaristes, irrationnels. Il s’est largement inspiré de modèles étrangers, notamment la réforme de 1994, qui a favorisé le secteur privé et réduit les dépenses publiques, imposant aux malades le recouvrement des coûts. Trente ans plus tard, l’Etat tente difficilement de corriger cette orientation avec la mise en place de l’Assurance maladie généralisée.

 

L’histoire du riz aux Comores illustre les effets pervers des politiques coloniales. Dans les années 1920, les cultures vivrières locales sont abandonnées au profit de cultures de rente imposées par l’administration coloniale (girofle, vanille, coco, etc.). En compensation, du riz subventionné est importé d’Asie. Mais ce riz de mauvaise qualité provoque une épidémie de béribéri.Pour y faire face, les autorités coloniales recommandèrent un traitement peu conventionnel : intégrer la noix de coco dans les rations des hôpitaux et prisons. Ce produit de rente, jusque-là, interdit entre ainsi dans l’alimentation courante des Comoriens. Quatre-vingts ans plus tard, les effets de ce bouleversement alimentaire persistent : 25 % des Comoriens de 25 à 65 ans souffrent d’hypertension artérielle. Or, la glycyrrhizine présente dans la noix de coco est reconnue pour son effet hypertensif via le métabolisme du cortisol. Comme un écho du passé colonial, le béribéri (une maladie disparue) refait surface en 2004 à Mayotte, illustrant la persistance de pratiques alimentaires héritées d’un passé imposé.


Entre 1843 et 1908, avant le rattachement des Comores à Madagascar, les infirmeries coloniales employaient du personnel paramédical peu ou pas scolarisé. Ces jeunes, recrutés comme «bénévoles»*, apprenaient le métier d’infirmier ou de sage-femme sur le tas, avant d’être désignés comme «sages-femmes ou infirmiers auxiliaires». Avec le temps, cette catégorie a évolué, donnant naissance à des bénévoles de la Croix-Rouge. Aujourd’hui, la présence de paramédicaux diplômés mais «bénévoles» pourrait être perçue comme un héritage persistant de cette logique d’exploitation coloniale. Les évacuations sanitaires sont une forme d’anomalie congénitale du système de soins comorien.


A ses débuts, sous l’administration dite de «Madagascar et Dépendances», l’hôpital de référence était Girard et Robic à Tananarive. Plus tard, dans le Territoire des Comores, la référence devint l’hôpital de La Réunion. Après l’indépendance, des partenariats ont été noués avec des hôpitaux étrangers, notamment le Val-de-Grâce en France, ainsi que des établissements en Afrique du Sud et à Maurice. Le transfert de patients vers l’étranger répondait alors à une logique de continuité et de qualité des soins.


L’afflux de patients vers Mayotte trouve son origine en 1997, lors des troubles liés à la tentative de sécession de Ndzuani. Sous embargo, l’île voit ses blessés accueillis, sans visa, à l’hôpital de Mamudzu, grâce à l’intervention d’Ong internationales comme Humanis ou Aide Médicale Internationale. Ces évacuations d’urgence, marquées par une certaine condescendance, ont ensuite ouvert la voie à des évacuations sanitaires programmées. Ce mouvement a progressivement relégué l’hôpital El Maarouf au second plan, au profit du Centre hospitalier de Mayotte (Chm), devenu la nouvelle référence régionale.

Les gros défis

Il est essentiel de traduire la vision propre des Comores émergeantes en actions concrètes qui protègent efficacement la population par une promotion, une prévention adaptée des soins de qualité. Or, cette cohérence fait défaut, laissant la place à des projets importés, souvent proposés par les partenaires au développement.Le système de santé comorien n’a pas su tirer parti de la solidarité communautaire traditionnelle qui est, actuellement, détourné à tort vers des investissements communautaristes, irrationnels. Il s’est largement inspiré de modèles étrangers, notamment la réforme de 1994, qui a favorisé le secteur privé et réduit les dépenses publiques, imposant aux malades le recouvrement des coûts. Trente ans plus tard, l’Etat tente difficilement de corriger cette orientation avec la mise en place de l’Assurance maladie généralisée.


Les orientations marchandes dans nos établissements de santé rendent difficile la promotion des valeurs humanistes et la régulation stricte de la profession médicale. Les directeurs d’hôpitaux doivent régulièrement équilibrer les comptes. Les cliniques privées encore peu contrôlées retiennent certains malades graves pour plus de profit. Dans plusieurs pays de la sous-région, les malades comoriens font face à une forme de commercialisation des soins, exacerbée par des tensions d’intérêts au sein des établissements hospitaliers.


L’autre défi majeur pour les Comores – Petits Etats Insulaires en Développement (Pied), est celui du changement climatique. Il y a un risque que les maladies infectieuses telles que les maladies hydriques (choléra), maladies vectorielles (paludisme, dengue, chikugunya), jusque-là contrôlées, réapparaissent. Et comme tous les Petits Etats Insulaires en développement, par leur dépendance alimentaire, les Comores sont en train d’assister à une flambée des maladies non-transmissibles telles que le diabète, les Avc et les cancers.

DR Anssouffoudine Mohamed

*Bénévole : étymologiquement «qui veut le bien», personne qui agit sans être rémunérée, par volonté propre, au service des autres ou d’une cause

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