Aussi loin que l’on remonte, c’est en 1843 que l’administration coloniale française installe sur Petite-Terre à Dzaudzi le premier hôpital des Comores doté de soixante lits et tenu par un seul médecin, un chirurgien de la Marine.
En 1886, la France annexe les trois autres îles, la nécessité d’établir une présence médicale minimale, ne serait-ce que pour soigner les colons européens sur place, s’impose. Deux infirmeries naissent, une à Ndzuani et une autre, en paille, à Moroni. Deux à trois médecins des troupes coloniales sont régulièrement affectées dans cet archipel où le seul hôpital est celui de Dzaudzi.
Un système de soins né dans les plantations coloniales.
En même temps les plantations coloniales se multiplièrent. La Société Agricole de Comores du colon, Humblot, occupa la majeure partie des terres fertiles de Ngazidja. Ndzuani fut saucissonnée entre plusieurs domaines coloniaux. Le bassin de la Cuvette et de Bambao Mtsanga aux mains de Boin et Ragoin de la Société Bambao. Tout le Nyumakele pour Jules Mocquet. La région de Pomoni pour l’anglais Williams Sunley. Et Patsi pour l’Américain Wilson. Les terres de Mwali, d’abord aux mains de Joseph Lambert, furent reprises par Humblot.
Dans ces plantations se développent des infirmeries dont le rôle principal est de maintenir en bonne santé la main d’œuvre servile et corvéable. Les infirmiers qui y travaillaient, sont appelés «infirmiers auxiliaires». A peine scolarisés, ils sont formés sur le tas, pour quelques mois.En 1908, les Comores sont rattachées à Madagascar et deviennent une province de cette île dans ce qui est appelé à l’époque «Madagascar et dépendances». Avec cette annexion, les Comores intègrent l’»Assistance Médicale Indigène» (AMI) créée en 1896 par le gouverneur de Madagascar, Galliéni.
Cette «Assistance» est un réseau de plusieurs formations sanitaires intriquées et hiérarchisées dont le but ultime est de fournir à la population de la colonie de Madagascar des soins médicaux, de favoriser la prévention des maladies par l’amélioration de l’hygiène et la vaccination. C’est dans ce cadre que va être créée, en 1896, l’Ecole de médecine de Tananarive ainsi que les Ecoles régionales d’infirmiers. C’est dans cette dynamique que va émerger le premier médecin comorien, Saïd Mohamed Cheikh (1926).Les premiers infirmiers comoriens de l’AMI formés à l’Ecole régionale des infirmiers de Majunga vont également faire leur apparition.
Dans «Madagascar et dépendances», un médecin des Troupes Coloniales dirige cette circonscription sanitaire de Madagascar que sont les Comores. Deux médecins malgaches assistés d’infirmiers auxiliaires comoriens (formés sur le tas) s’occupent des infirmeries de Mtsamdu, à Ndzuani, et de Moroni, à Ngazidja, essentiellement destinées à soigner l’élite européenne sur place. Ils s’occupent également de toutes les autres infirmeries des plantations coloniales. Les trois médecins de l’archipel doivent assurer la prise en charge des patients hospitalisés. Ils doivent, par ailleurs, faire le tour des îles pour visiter Shisiwa Mbuzi à Ndzuani, Shisiwa wenefu à Mwali et le cratère de Ikoni, à Ngazidja, où étaient isolés les lépreux. Ces îlots étaient des léproseries qui faisaient partie intégrante de ce qu’était le système de soins des Comores coloniales.
Dans leurs tournées médicales entre les îles, les médecins ont également en charge de visiter les différentes infirmeries ténues par des infirmiers auxiliaires, des plantations. En ces années troubles où les épidémies de variole, de grippe espagnole et de peste font des ravages dans le monde, les médecins sont également les responsables des lazarets où sont mis en quarantaine les bateaux en provenance des pays où sévissaient ces épidémies. A Mayotte, c’est Shisiwa Mbuzi qui a fait office de lazaret, à Anjouan c’est la petite baie attenant au quartier actuel de «Lazarre», pour ne citer que ces deux-là.
Autonomie interne : naissance d’une élite médicale comorienne et début d’un système de santé
En 1946, c’est la fin de «Madagascar et dépendances». Les Comores deviennent un territoire d’outre-mer sous l’appellation de «Territoires des Comores». Elles acquièrent une autonomie de gestion croissante, c’est l’»Autonomie interne».
La petite élite médicale comorienne incarnée par Saïd Mohamed Cheikh prend conscience du grand retard qu’accuse l’archipel en matière de santé ainsi que des grands défis du secteur. Entre autres défis, celui des ressources humaines : vingt ans après sa sortie de l’Ecole de Médecine de Tananarive, Saïd Mohamed Cheikh était le seul médecin autochtone de l’archipel. C’est seulement trente ans après sa sortie qu’il va commencer à avoir des confrères comoriens : Docteur Maturaf Abdoulatuf (1956), Docteur Martial Henry (1956), Docteur Abass Ben Cheikh Ahmed (1957).
Les conditions sanitaires, quant à elles, sont catastrophiques. L’espérance de vie est de 37 ans, en 1950. Sur mille naissances, cent quatre-vingt-neuf enfants meurent.L’Archipel croule sous des endémies séculaires : la filariose (marende, mapvumbu) , le pian (masilifi), les helminthiases ( mahare, majunge) la lèpre, la syphilis, le paludisme, les blennorragies, l’ulcère de Buruli, etc.Des épidémies à répétition déciment les enfants : la variole, la rougeole, la poliomyélite, le tétanos, etc. Les villages en viennent à créer des cimetières pour enfants.
Les infrastructures restent rudimentaires. L’hôpital de Dzaudzi continue à être le seul de l’archipel. Pour des stratégies d’économie coloniale, les malades graves sont évacués à Girard et Robic. Les évacuations sanitaires apparaissent comme une marque de fabrique du système de soins naissant. A l’indépendance de Madagascar en 1960, l’hôpital de référence des Comores devient celui de l’île de la Réunion où nombre de Comoriens y seront évacués.Un détail qui en dit long : c’est, seulement, en 1942 que va être réalisée la première opération chirurgicale aseptique. Les premières radiographies ainsi que les premières analyses de laboratoire sont réalisées cette même année.
Avec l’autonomie interne, les Comoriens commencent à reprendre en main leur destin et posent les bases d’un véritable système de santé, capable d’assurer des soins de santé primaires sur l’ensemble du territoire. Dans cette dynamique, les années 1950 voient la construction des premiers hôpitaux des Comores : Hôpital El Maarouf, Hôpital de Hombo, Hôpital de Mamoudzou, les centre de santé de Domoni, Mitsamihuli. En place et lieu des infirmeries des plantations, naissent des vrais postes de santé.
Une évolution importante
A la veille de l’indépendance, les Comores amorcent une évolution importante dans le domaine de la santé publique. Les notions de prévention, de promotion de la santé et d’autonomisation des communautés émergent progressivement dans les discours et les pratiques. En 1970, cette dynamique prend forme avec la création du «Service de Santé de Base et de Lutte contre les Grandes Endémies» (SSBG), considéré comme l’ancêtre du système de soins de santé primaires et de la surveillance épidémiologique tel qu’on le connaît aujourd’hui.
Le Service des Grandes endémies introduit des principes novateurs pour l’époque : l’équité dans l’accès aux soins, la justice sociale en santé et la participation active des communautés à la gestion de leur bien-être. Il marque un tournant en reconnaissant que la santé ne peut être durable sans l’engagement des populations elles-mêmes.Cette approche se traduit par de vastes campagnes d’assainissement, de vaccination, ainsi que par la mise en place de programmes de protection maternelle et infantile. L’action sanitaire ne se limite plus au curatif : elle devient globale, préventive et communautaire.
DR Anssouffoudine Mohamed