Le détachement des Comores de Madagascar a été un processus de longue haleine opéré avec méthode et détermination suite à des revendications incessantes de demandes d’autogestion portées par l’élite politique comorienne. Le député Saïd Mohamed Cheikh, très sensible au sort de la population indigène face à l’exploitation des colons, en avait fait une affaire personnelle. (Lire nos précédentes éditions). Le premier élu comorien sera rejoint par d’autres ténors comme Mohamed Ahmed, les princes Saïd Ibrahim Saïd Ali et Saïd Mohamed Jaffar El Macelie et, plus tard, Ahmed Abdallah Abdérémane.
La loi du 29 mai 1946 change la donne dans les rapports entre l’archipel et la Grande Ile. Alors que l’administrateur supérieur des Comores (Adsup) était, jusqu’ici, placé sous l’autorité du gouverneur général de Madagascar, un décret pris en septembre 1946 en application de cette loi adoptée six mois plutôt, sonne la fin de la dépendance avec Tananarive puisque désormais «un administrateur supérieur était nommé par un décret sur proposition du ministre de la France d’Outre- Mer» avec les mêmes pouvoirs qu’exerçait le gouverneur général de Madagascar.
Ce changement s’explique, surtout, par le contexte politique en France puisque l’Hexagone vient d’adopter une nouvelle constitution, celle «de 1946 qui avait confirmé le désir de décentralisation de l’empire colonial, maintes fois exprimé par les dirigeants politiques français», selon Mouhssini Hassani–El–Barwane dans Bréviaire sur l’histoire politique des Comores (1946-2006) qui soutient que l’article 87 de cette constitution française était plus explicite lorsqu’il stipule que «les collectivités territoriales s’administrent librement par des conseils élus au suffrage universel».
Un «Conseil général»
Les Comores disposeront alors désormais d’un conseil général propre avec un chef nommé directement à Paris. La nouvelle structure sera composée de «vingt-quatre membres élus par deux collèges différents au suffrage universel direct, mais siégeant ensemble», rappelle Damir Ben Ali dans «Evolution du statut politique et administratif des Comores de 1814 à 1972», citant « vingt conseillers autochtones dits de statuts civils locaux élus par quatre circonscriptions au scrutin de liste majoritaire : dix à Ngazidja, cinq à Ndzuani, trois Maore et deux à Mwali, quatre conseillers européens dits de statut civil de droit commun, élus sur une liste commune pour les quatre îles».
Avec le temps, les Comores se détachent juridiquement et politiquement de Madagascar. «En 1952, le Conseil Général avait pris la dénomination d’Assemblée Territoriale.
Son domaine de compétences couvrait la gestion des intérêts patrimoniaux du territoire et l’organisation de son administration», souligne Mouhssini Hassani–El–Barwane, rappelant que le conseil était dirigé par le prince Saïd Hussein. «En 1946, la présidence du Conseil Général était confiée au prince Saïd Hussein. Il avait inauguré cette tradition comorienne qui confiait naturellement les nouveaux pouvoirs démocratiques à l’élite coutumière.Tout simplement parce que ces personnages étaient d’abord investis d’un pouvoir qu’ils mettaient au plus haut des «Wafomamdji»», écrit-il.L’enseignant-chercheur a mis ensuite en avant la portée de la «Loi-cadre Defferre» du nom du ministre français des Outre-Mer à l’époque, Gaston Defferre, qui a fait adopter la loi N°56-619 du 23 juin 1956, posant les bases de l’autonomie au sein des anciennes colonies de l’empire français.
Un nouveau palier
«Le décret du 27 juillet 1957, pris en application de la loi N°56-619 du 23 juin 1956 dite «Loi cadre ou Loi Defferre» pour les territoires d’Outre-Mer, modifié par la loi N° 57-702 du 19 juin 1957 avait créé à côté de l’Assemblée Territoriale un conseil de Gouvernement. Ce conseil formait un exécutif décentralisé qui comprenait six à huit ministres élus par l’Assemblée au scrutin de liste et placé sous la présidence du chef du territoire», ajoute le maître de conférences à l’Université des Comores.
Mais avec le contexte international marqué par la montée des mouvements de libération nationale en Afrique, l’archipel franchit un nouveau palier dans sa quête vers l’autonomie large. Un autre contexte politique en France renforce ses aspirations d’autonomie portées toujours par l’élite comorienne.
La constitution du 4 octobre 1958 adoptée en France, instituant la Vème République, a été largement plébiscitée aux Comores, permettant à Saïd Mohamed Cheikh, très proche du Général De Gaulle, de conforter sa position de leader incontesté de l’archipel. Les hommes politiques comoriens «avaient opté pour le maintien du statut juridique du territoire d’Outre-Mer, mais avec des institutions renouvelées et libéralisées», précise Mouhssini Hassane El-Barwane.«Par la délibération Nº 58-42 du 11 décembre 1958, l’assemblée décidait que «dans le cadre de la constitution du 4 octobre 1958, le Territoire des Comores garde son statut actuel au sein de la République», souligne, de son côté, Damir Ben Ali qui ajoute qu’une autre «délibération N° 58-51 du 17 décembre 1958 déclarait notamment que le choix du statu quo n’implique pas l’immobilisme législatif et réglementaire» et que «l’assemblée votait une motion réclamant : le renforcement de la position du Vice-président du conseil du gouvernement qui prendrait le titre de président».C’est Mohamed Ahmed qui fut alors vice-président du Conseil de gouvernement des Comores avant d’être succédé par le premier président du conseil de Gouvernement Saïd Mohamed Cheikh (élu avec des pouvoirs élargis, symbole d’une autonomie accrue), suivi par les princes Saïd Ibrahim et Saïd Mohamed Jaffar, puis par le sénateur, Ahmed Abdallah Abdérémane.
Ainsi, quinze ans après la création d’un conseil général et huit ans après la transformation de celui-ci en assemblée territoriale et la mise en place d’un conseil de gouvernement, un nouveau contexte accélère le processus d’autonomie large. Il s’agit en effet de la proclamation de l’indépendance de Madagascar le 26 juin 1960. «Le Territoire des Comores ne pouvait plus être compris dans le ressort de la Cour d’appel de Tananarive. Un décret N°60-761 du 28 juillet 1960 promulgué par arrêté N° 60-1012 du 19 septembre 1960 créa un tribunal supérieur d’appel à Moroni», explique l’anthropologue Damir Ben Ali.
Un texte d’une portée symbolique sera ensuite adopté dans la continuité de l’esprit de la loi Gaston Deffere. Il s’agit de la loi du 22 décembre 1961 qui accordera l’autonomie large à l’archipel des Comores. «La loi du 22 décembre 1961 avait mis en place les nouvelles dispositions de l’autonomie interne. Ce fut une autonomie interne de gestion élargie qui intégrait; au fil de l’évolution de l’histoire politique, socio-culturelle..., des nouvelles améliorations des statuts du territoire jusqu’à favoriser l’accession des Comores à sa souveraineté internationale», souligne Mouhssine Hassane El-Barwane. «Il eut donc la création, aux Comores, des services chargés du Trésor, des Domaines, Contributions Directes, Travaux Publics, Santé et Enseignement et d’un tribunal supérieur d’appel. Une Fonction Publique comorienne était mise sur pied depuis juillet 1960», ajoute-t-il.
«Deux générations politiques vont croiser le fer»
«Il a fallu créer immédiatement une fonction publique comorienne», souligne Damir Ben Ali. «Une convention signée le 28 juin 1960 entre la République française et la République Malgache, rendue exécutoire le 17 juillet 1960 prévoyait que «l’accès de la fonction publique de l’un ou l’autre pays était ouvert sans distinction à leurs ressortissants, les fonctionnaires d’origine comorienne en service à Madagascar avaient un droit d’option entre les cadres comoriens et les cadres malgaches, de même que les fonctionnaires d’origine comorienne nés hors des Comores, mais qui y servent, les fonctionnaires comoriens en service aux Comores étaient intégrés d’office dans les cadres comoriens, les fonctionnaires des cadres malgaches pouvaient être détachés aux Comores».
L’archipel, sous l’autonomie interne, aura donc deux structures principales : un conseil de gouvernement composé de six à huit membres, qui faisait office d’exécutif en établissant le budget et en assurant l’administration et «une chambre des députés de trente-et-un membres élus au suffrage universel direct qui votait le budget territorial». Mais toujours est-il que l’archipel était toujours sous tutelle de la puissance colonisatrice en dépit de son nouveau statut juridique qui a fortement évolué depuis 1946. «La loi du 22 décembre 1961 mettait au sommet du territoire comorien le Haut-commissaire de la République représentant le pouvoir central de la métropole. Il dirigeait les services d’Etat, promulguait les lois et décrets, et contrôlait la légalité des actes des autorités locales. Il assumait, également, la défense et la sécurité extérieure de l’archipel», précise l’enseignant-chercheur Mouhssine Hassane El Barwane. Des tensions politiques vont toutefois animer le petit monde politique comorien en pleine autonomie interne. Une deuxième génération d’hommes politiques croise le fer avec la première, faisant émerger deux approches différentes dans la gestion des affaires de l’archipel et même sur la conduite à tenir dans le processus d’accession à l’indépendance.
Les présidents du Conseil de gouvernement de 1957 à 1975
NOMS ET PRENOMS PERIODES PARTIS
Mohamed Ahmed (Titre de vice-président) 13 août 1957 au 22 décembre 1961 Indépendant
Said Mohamed Cheikh 22 décembre 1961 au 16 mars 1970 UDC (Vert)
Prince Said Ibrahim Said Ali 2 avril 1970 au 16 juillet 1972 Parti Blanc
Prince Said Mohamed Jaffar 16 juillet 1972 au 26 décembre 1972 Parti RDPC
Ahmed Abdallah Abderemane 26 décembre 1972 au 6 juillet 1975 UDC (Vert)