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40 ans après la déclaration de Port-Louis sur la COI I Hamada Madi Boléro : «Notre région exprime la diversité»

40 ans après la déclaration de Port-Louis sur la COI I Hamada Madi Boléro : «Notre région exprime la diversité»

Société | -   A.S. Kemba

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La Commission de l’Océan Indien (COI) célèbre aujourd’hui, mercredi 21 décembre 2022, les 40 ans de la Déclaration de Port-Louis, fondatrice de l’organisation. A la veille d’une session extraordinaire du Conseil des ministres de la COI, Al-watwan s’est entretenu avec Hamada Madi Boléro, ancien secrétaire général de la COI et actuel conseiller diplomatique du chef de l’Etat. Il revient sur les 40 ans d’action de cette organisation régionale composée de 5 pays (Comores, France (La Réunion), Madagascar, Maurice, Seychelles). Notre interlocuteur a profité pour évoquer la place des Comores dans l’organisation et son avenir.

 

La Commission de l'Océan Indien célèbre ce 21 décembre les 40 ans de la Déclaration de Port-Louis portant annonce du projet de création de l'organisation. Quelle mémoire gardez-vous de cet acte historique ?

D’abord, c’était l’expression d’une envie, celle de rapprocher nos peuples qui partagent plus qu’un espace géographique. Ils partagent des histoires, une langue, des liens biologiques. Nous sommes des cousins de l’Océan Indien, des Africains insulaires avec des origines qui nous ouvrent au Moyen-Orient, à l’Asie et aussi à l’Europe. Notre région exprime la diversité. C’est cela aussi la COI, la diversité en action.Cela dit, les Comores n’étaient pas signataires de la Déclaration de Port-Louis…
Mais les pères fondateurs ont exprimé dès 1982 l’opportunité d’un élargissement de la Commission nouvellement créée aux Comores et à La Réunion. Les Comores sont ainsi devenues, tout naturellement, membre de la COI en 1986.

Il y a la Déclaration de Port-Louis et le fameux accord de Victoria de janvier 1984. Qu'est ce qui avait grandement motivé les États à créer la COI?

L’idée que nos îles avaient la possibilité de créer un espace de solidarité agissante, qu’ensemble nous pouvions relever des défis que nous ne pouvions pas relever seul, chacun dans son coin. La coopération permet de mutualiser les moyens, de se faire entendre, de peser davantage dans le concert des Nations. La coopération n’est pas figée, elle s’adapte. A ses origines, la COI ciblait la coopération diplomatique, technique et scientifique, culturelle et éducative. Elle est allée bien au-delà. Par exemple, la santé n’était pas un axe de coopération de la Commission mais c’est dans ce domaine, notamment, qu’elle a démontré l’utilité et la valeur ajoutée de l’action collective. Aux Comores, on se souviendra que le plan régional de riposte lancé sous présidence comorienne de la COI lorsque j’étais encore secrétaire général a permis de doter en équipements de protection et en matériels de diagnostic et de prise en charge les services nationaux de santé.

Aujourd'hui, 40 ans après, quel bilan pourrons-nous tirer de cette organisation régionale ? Quels sont les grands actes posés par les Etats membres ?

Au moment de sa création, les ministres des Affaires étrangères souhaitaient une structure légère. Sur la première décennie, les Etats membres ont mis en œuvre des projets sectoriels pour lesquels un pays était l’ordonnateur régional. Ces premiers projets ont concerné le développement de l’artisanat avec des formations en perfectionnement, marketing et des appuis pour participer à des foires régionales et internationales, les plantes aromatiques et médicinales améliorant la connaissance de cette biodiversité et de ces applications mais aussi la pêche avec des formations, la météorologie et même la cardiologie avec des dons d’équipements et des formations de techniciens. Dès le départ, il y avait donc du concret. Et au fil des années, la COI est devenue un acteur incontournable de la coopération régionale avec un secrétariat général basé à Maurice à partir de 1989 et un portefeuille de projets qui s’est élargi en domaines d’intervention et en financements.


Vous savez, le fonctionnement de la COI coûte environ 1,5 millions d’euros par an à nos cinq pays membres. En retour, les dépenses de la COI au bénéfice de nos Etats étaient de près de 10 millions d’euros la dernière année de mon mandat. C’est beaucoup. La COI, c’est d’abord une organisation de proximité, spécifiquement insulaire – elle est d’ailleurs la seule d’Afrique. Elle est une enceinte de dialogue et d’action qui fait sens parce qu’on se comprend. Nos problèmes sont similaires, on s’inquiète de la santé de nos récifs quand nos Frères du continent se soucient de la santé des éléphants. Ensemble, on peut mieux faire valoir nos besoins spécifiques. D’un point de vue diplomatique, la COI a montré sa valeur ajoutée quand elle est intervenue dans le processus de sortie de crise à Madagascar entre 2009 et 2013. Elle a aussi montré sa capacité d’actions en santé, en sécurité maritime, en gestion durable des ressources marines et des zone côtières.

L'accord de Victoria a été plusieurs fois révisé pour des raisons légitimes d'adaptation. Mais nombreux s'interrogent notamment aux Comores sur l'incapacité évidente à favoriser la libre circulation au sein même de l'espace commun. Quarante ans après, faut-il toujours continuer à gommer cette triste réalité ?

On ne peut pas la gommer mais, vous savez, la COI est une organisation partitaire technique de rang ministériel. Elle n’est donc pas décisionnaire sur ce sujet qui est de la prérogative des Etats. C’est une fonction régalienne et chaque Etat a sa politique d’entrée sur son territoire. Cela dit, on en parle au sein de la COI. Il est question de faciliter la mobilité des opérateurs économiques, des étudiants et des enseignants, par exemple. Cela prend du temps parce qu’il y a, d’un côté, des Etats membres qui sont des membres de l’Union africaine et des communautés économiques régionales, la SADC et le COMESA. Là, il y a des actions qui ont été entreprises pour faciliter la mobilité. Ensuite, il y a, au sein de la COI, un territoire européen qui a sa propre politique qui relève autant de Paris que de Bruxelles.

L'avenir institutionnel a toujours été posé. L'élargissement à d'autres États ou organisations a été acté depuis l'adoption en 1989 du protocole additionnel de l'accord de Victoria puis en 2014 à Moroni. En quoi cet élargissement était-il nécessaire pour la vie de l'organisation ?

Les possibilités d’élargissement sont en fait très limitées. Du moins, pour les membres à part entière qui doivent être des Etats insulaires du Sud-Ouest de l’océan Indien et francophones. L’élargissement se fait surtout au niveau des membres observateurs. La COI en compte sept. Après la Chine en 2016, j’ai eu l’honneur d’accueillir dans la famille des observateurs l’Union européenne, la Francophonie et l’Ordre de Malte en 2017, puis l’Inde, le Japon et les Nations unies en 2020. Cet élargissement est une opportunité de dialogue, de partenariats et d’actions pour nos îles.

Il y a moins de trois ans, les États membres ont adopté la Déclaration de Moroni sur l'avenir institutionnel de l'organisation. Quel est le constat posé et les grandes nouveautés opérées ?

La Déclaration de Moroni sur l’avenir de la COI a ouvert la voie à une refonte institutionnelle et fonctionnelle. L’Accord de Victoria, le texte fondateur de 1984, a ainsi été révisé et les Comores ont été le premier Etat membre à le ratifier en juin 2020. Cette évolution institutionnelle vise à donner un rôle plus important à nos chefs d’Etat et de gouvernement. Ils doivent être les premiers décideurs de la politique générale et de la stratégie globale de la COI. C’est aussi un facteur de visibilité pour la COI.
La réforme donne aussi la possibilité d’organiser des conférences ministérielles thématiques pour mieux engager les administrations sectorielles de nos pays.
Le ministère des Affaires étrangères coordonne l’action mais cette action n’est concrète, utile et bénéfique que si les ministères techniques sont pleinement mobilisés. C’est avec le ministère de la santé qu’on doit agir en santé, avec le ministère en charge de l’Agriculture qu’on peut améliorer la sécurité alimentaire… Les ministres sectoriels seront donc appelés à s’engager plus dans la coopération au sein de la COI.

Le projet Sega One Health a fait ses preuves pendant la COVID. Il y de nombreux programmes déjà engagés comme la connectivité entre les îles et la sécurité maritimes. Mais on est loin dans la réalité. Il fait plus cher d'aller à Maurice qu'au Kenya. Comment expliquez-vous ce paradoxe qui met à mal l'esprit même de l'intégration régionale ?

La COI a conduit des études qui ont confirmé la cherté des déplacements inter-îles. Elle a créé des comités régionaux des aviations civiles et des transporteurs aériens. Ces derniers ont même créé en 2016 l’Alliance Vanille des transporteurs aériens pour mieux coopérer, faire des économies d’échelle et rendre les déplacements plus compétitifs. Je déplore qu’aujourd’hui on en soit revenu à une situation peut être pire qu’avant ! La COI est un facilitateur, elle ne fait pas, elle sensibilise, mobilise et accompagne d’autres à faire. En l’occurrence, il est question ici de compétition commerciale entre des compagnies qui représentent chacune un pays. C’est une fierté d’avoir une compagnie nationale mais cela a aussi un coût. La logique qui prime aujourd’hui est concurrentielle et non pas complémentaire. La COI devra continuer de plaider pour une révision du modèle mais finalement ce sont les opérateurs économiques et surtout les compagnies aériennes qui doivent repenser leur modèle. C’est pareil pour la connectivité maritime : on attend de voir ce que le comité technique régional mis en place par la COI et élargi aux pays du continent permettra de réaliser.

Des menaces planent dans la zone. A Cabo Delgado au Mozambique, les risques sont toujours là. Que peut faire la COI en termes de prospective pour empêcher que la région devienne un sanctuaire du terrorisme et de l'extrémisme ?

La COI porte attention à ce sujet depuis quelques années déjà parce que le risque est aux portes de l’Indianocéanie, tout près de notre pays. Nous avions organisé à Moroni une rencontre des services en charge de la surveillance et de la lutte contre le terrorisme. Nous avions facilité le dialogue inter-agence. La COI intervient surtout à travers le sujet de la sécurité maritime avec les centres d’information à Madagascar et d’opérations en mer aux Seychelles. L’architecture de sécurité maritime, que j’ai vu se créer avec la signature en 2018 des accords régionaux par nos Etats membres, le Kenya et Djibouti, permet aussi aux pays et à leurs partenaires de mobiliser l’intelligence, de disposer d’informations sur les risques. J’ai lu récemment que le Mozambique souhaite adhérer à cette architecture de sécurité maritime, ce serait très utile pour mieux prévoir les risques éventuels. J’ai aussi compris qu’une suite du programme MASE est en préparation. Je souhaite que ce programme continue sur sa lancée et renforce aussi la concertation avec les services de police et de lutte contre le terrorisme.

Vous êtes le deuxième Comorien à avoir dirigé la COI après Caambi El Yachouroutu au milieu des années 1990. Quelle leçon tirez-vous de cette expérience personnelle ?

D’abord, c’était une fierté de pouvoir servir mon pays au niveau régional et de servir aussi l’Indianocéanie. Ces liens qui unissent nos îles, je les ai bien ressentis quand j’étais en poste à Maurice et en déplacement dans toutes nos îles. Puisque vous me posez la question, je dirai que je me suis attaché à accompagner l’évolution institutionnelle de notre organisation voulue par nos Etats membres parce qu’ils attendent beaucoup de la COI et pour obtenir autant, il fallait revoir certains fonctionnements. Durant mes années à la COI, nous avons aussi fait un grand bond en avant pour la sécurité maritime avec la signature des accords MASE et l’établissement du Centre régional de fusion d’information maritime à Antanarivo et de coordination des opérations en mer à Mahé.

La COI a-t-elle vraiment un avenir ?

Il ne fait aucun doute que la COI a un avenir. Et cet avenir, c’est aux Etats membres de le décider et de le créer ensemble parce que la COI n’est pas une entité supranationale. Permettez-moi de rappeler quelques réalisations de la COI aux Comores pour que nous prenions conscience de son apport. Disons qu’il y a, dans le domaine de la santé, les équipements de protection, de diagnostic et de prise en charge pour la Covid dont des lits d’hôpital, des respirateurs, des appareils de test, une ambulance. Il y a aussi eu des matériels pour les laboratoires de l’INRAPE et de l’hôpital El Maarouf, des formations pour les épidémiologistes.

La première caserne de pompier, nous la devons à la COI. Il y a aussi des techniciens formés dans la gestion des risques naturels, dans le suivi de l’environnement marin, dans l’aménagement du territoire ou encore en météorologie. Il y a eu, à Domoni, le nettoyage du site de débarquement de poisson et l’aménagement de trois sites de vente. Une vingtaine d’unités de distillation de l’ylang-ylang ont été déployées par la COI et je crois plus de 2000 cuiseurs économes. Et à Mohéli, le classement du parc marin comme réserve de Biosphère, qui est un label international reconnu, est largement dû au travail de terrain de la COI avec la communauté. Et puis s’il faut un chiffre : je vous dirai, par exemple, qu’en 2020 les dépenses de la COI au profit des Comores ont été 25 fois plus élevées que sa contribution… Il est sans doute dans l’intérêt même de nos Etats que la COI ait un avenir !

 

 

 

 

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